Le Noël du soldat en solde.
La solde est la rémunération du soldat. Le solde (et non la solde, comme on dit en Belgique) est ce qu’on vend à bon prix lors de périodes dites de soldes. On écrit donc des soldes pharamineux même si, avenue Louise, elles furent longtemps pharamineuses avant de devenir carrément Sales.
C’est à ce niveau-là — pharamineux — que l’on solde aujourd’hui certains principes pourtant fondamentaux, réseaux sociaux aidants.
L’histoire est banale : un soldat a acheté un cadeau à sa belle pendant ses heures de service. Il a ensuite patrouillé avec le sac de marque dans une main, rendant son fusil mitrailleur inaccessible en cas d’urgence. Lizz Printz, connue comme militante ou sympathisante du PTB, l’a pris en photo, de dos, et a posté ce cliché cocasse — un soldat avec un sac Rituals, c’est en effet marrant — sur Facebook (pour la retirer ensuite vu l’ampleur que prenait l’affaire). La hiérarchie du soldat l’aurait reconnu et suspendu. Apprenant ça, des tas de gens se sont mis à sa place et ont protesté sur les réseaux sociaux.
Sur Facebook, ils sont désormais plus de 21.000 à le défendre, ce pauvre goumier. Lizz Printz, en revanche, se prend un déluge de messages haineux.
Les journaux ont répercuté l’émoi de ces défenseurs du soudard lécheur de vitrines, qui pensent apparemment soutenir ainsi les militaires qui nous protègent. Tout ça à cause d’une photo, disent-ils. Ou pire : salope de photographe ! Mais non, la photo n’est pas la cause de la sanction du soldat : il a bel et bien failli et, pire, s’est fait prendre. En fait, la seule info ici est qu’on est entrés illico dans l’irrationnel que les réseaux sociaux adorent produire et faire gonfler : il n’y a aucune logique à soutenir l’armée sans en soutenir l’un des principes fondamentaux, la discipline. Et elle a été rompue.
L’engouement des défenseurs de notre troufion de roman courtois profite de l’angoisse ressentie quand nous sommes passés au niveau 4. Tout à coup, le béret patrouillant dans les rues est devenu rassurant pour beaucoup de monde, y compris des gens qui, quelques mois plus tôt, criaient que des militaires dans la ville, c’était une sorte de coup d’État. Après le Bataclan, ces dangereux mercenaires prêts à bondir dans l’esprit de certains se sont transformés en protecteurs bienveillants, à remercier chaleureusement dès que possible !
Il faut dire que nos braves fantassins ont tout fait pour. La population s’est rendu compte que beaucoup de ces militaires souriaient volontiers, répondaient quand on leur disait bonjour. On a rapidement vu les hommes au-delà de l’uniforme, à juste titre et quoi de plus rassurant qu’un mercenaire portant un sac de boutiques ? Ils n’étaient pas seulement rassurants par la force défensive qu’ils représentaient, mais aussi par leur caractère bonhomme, sympathique mais néanmoins prêts à agir. Tout le contraire de ce qui s’est passé dans les années 80, où l’entrée des militaires dans Bruxelles avait une odeur de soufre — j’en ai ainsi vu deux extraire un monsieur d’une BMW en pointant un fusil-mitrailleur sur sa tempe.
Aujourd’hui, rien de tout ça. Leur mission a été visiblement bien préparée (profitez-en, je fais là un compliment à Jan Jambon, ce n’est pas tous les jours !) Et l’armée est littéralement revenue dans nos vies. Une armée populaire. C’est littéralement le retour auprès de la population de soldats qu’on ne voyait plus jamais, tant leurs missions les appelaient souvent à l’étranger, au point qu’un de leurs syndicats a cru bon d’affirmer qu’ils étaient plus formés à patrouiller à Kaboul qu’à Bruxelles ! (Oui, les voyages forment la jeunesse, mais la défense du territoire commence évidemment sur son propre territoire…)
Et les revoici chez nous, autour de nous, devant certaines écoles, on les croise, on les salue, on les remercie, on vit avec. Quitte à désespérer mes amis antimilitaristes, je trouve ça très bien qu’on renoue avec notre armée, une armée citoyenne au service de la population. Je trouve très bien qu’on les félicite — ce que je fais aussi —, qu’on leur montre un respect qu’on avait perdu pour ceux qui pourraient tout de même, un jour, devoir sacrifier leur vie ou leur santé pour nous.
Oh mais non, je ne suis pas militariste, qu’allez vous imaginer ? Je suis pacifiste. Mais qui veut la paix assure sa défense. Et l’armée en est le maillon fondamental. La question n’est pas de savoir s’il nous faut des militaires, mais quels militaires, pour quelles missions, avec quelle formation. La mission qu’ils effectuent en ce moment dans nos villes, et particulièrement à Bruxelles, entre absolument dans le cadre du maintien de la paix, de la protection des citoyens, de leur défense, et donc de celle de la « patrie ». Qu’on ait de la sympathie pour eux, c’est très bien : une armée appréciée est toujours plus fiable. Être congratulé quand on passe sa journée debout à s’embêter (ben oui, quand même), c’est mieux pour le moral.
Mais le bon fonctionnement de l’armée est basé, aujourd’hui encore, sur la discipline. Lorsqu’on défend, on ne sait pas quand ni ou une attaque peut survenir. La moindre erreur coûte des vies humaines. Dans 99,99 % des cas, le militaire ne risque rien et son entourage non plus. Mais voilà, il doit être prêt, systématiquement, à tout moment, pour cet improbable 0,01 %. Appelé, j’ai moi-même été sanctionné pour avoir fumé dans un mirador, en Allemagne, pendant la guerre froide. Le risque de me faire abattre à cause du bout incandescent de ma clope, repérable à des kilomètres, était franchement nul. Mais la sanction était juste. J’avais eu un réflexe qui, en d’autres circonstances, aurait pu me tuer.
Donc, lorsqu’un soldat censé assurer la sécurité des citoyens se permet, en service, d’acheter vite fait du savon pour sa belle, puis se promène en ville une main enchaînée à son petit sac de marque, il n’est pas cocasse : il compromet sa mission. S’il est pris « la main dans le sac », il doit en subir les conséquences. Surtout si c’est de manière aussi publique.
C’est Noël, me direz-vous ? Mais dans quel état ce « Noël » serait-il si ce soldat s’était tout à coup retrouvé face à des terroristes ? Oh, ce n’est pas arrivé ! me rétorquerez-vous. Mais si la présence des militaires est si peu utile, renvoyons-les dans leurs casernes, non ? Ah, mais ce n’est pas si grave ! insisterez-vous. Mais si ce n’est pas si grave, pourquoi tous les autres militaires ne font-ils pas de même ? Il achetait un cadeau en service, voilà tout, arguerez-vous. Oui mais voilà, il exerce un métier où se priver d’une main peut être fatal. Un métier où le respect de certaines règles est fondamental, même lorsque les règles semblent absurdes. Un métier où le simple fait d’acheter un cadeau à ce moment-là est inacceptable, sauf accord éventuel de son supérieur, bien entendu — un accord apparemment absent.
Le dilettantisme en matière de sécurité nous a déjà valu l’affaire Dutroux et, ensuite, son évasion. Le même dilettantisme a permis à une bande de terroristes d’organiser, depuis Bruxelles, l’assassinat sauvage de 130 innocents à Paris. Et peut-être aussi la fuite de Salah Abdeslam. Bien sûr, le terroriste a toujours une longueur d’avance, mais le nombre de choses qu’on n’a pas vues venir nous interdit tout droit à l’erreur. Il faut arrêter les passe-droits, l’amateurisme, le bofisme sympatoche, les haussements d’épaules. Publier la photo d’un militaire en service promenant un sac est un signe envoyé aux terroristes. Si cette photo existe, c’est parce que l’infraction a été commise. Elle ne fait que confirmer une impression de langueur dans notre sécurité, que les candidats-kamikazes ont pu, eux-mêmes, remarquer.
L’engouement pour ce militaire sur Facebook et dans certains médias est donc un mauvais service militaire à lui rendre. Autant à lui qu’à ses collègues. Qu’on implore sa hiérarchie de ne pas le sanctionner trop durement, mais oui, bien sûr, c’est vrai que c’est Noël, c’est vrai qu’un cadeau n’est pas non plus une trahison. Ce monsieur ne doit pas servir d’exemple, il doit juste être sanctionné pour son erreur de jugement, sa bêtise, sa désinvolture. Mais qu’on plaide pour qu’on passe l’éponge plutôt que le savon, non ! Il était en fonction, et même en fonction publique, il devait être irréprochable.
Surtout qu’aujourd’hui, des policiers (et des pompiers) se sont mis à le soutenir en se faisant prendre en photo, à leur tour, avec des sacs de magasins. Et les réseaux, la presse répercutent à bout de bras ces facéties en s’amusant de ces soutiens. C’est à croire qu’interrompre son service selon son gré pour faire des courses est désormais la norme ! Cela montre bien entendu que nous avons besoin de nous détendre, de penser qu’au final, toute cette force policière en ville n’est pas franchement utile, que tout va à peu près bien. Eh bien non. Si on a besoin des forces de sécurité (du moins, si nos dirigeants jugent qu’on en a besoin), c’est que les choses peuvent arriver. C’est arrivé dans le Thalys. C’est arrivé à Paris, au départ de Bruxelles, c’est arrivé à Verviers.
Que l’armée soit là pour simplement rassurer la population ou non, que l’alerte soit réelle ou non, dès lors qu’on donne aux militaires la mission de patrouiller pour empêcher tout acte terroriste, on ne peut les inciter à prendre ce travail par-dessus la jambe. La reconnaissance de leur action, c’est d’abord celle de l’efficacité, du courage de s’emmerder en faisant le guet des heures durant, du renoncement à toute une série de plaisirs, de la soumission parfois pénible à la hiérarchie, et de maintenir malgré tout ça leur cordialité.
Et c’est bien parce qu’on veut que le soldat au sac Rituals fête Noël l’an prochain, que nous ne voulons pas de soldats de Noël. Ni de soldats en solde.
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68 Comments
Rivière
décembre 30, 14:30Bison, la colle super-puissante
décembre 30, 15:01Pierre@s
décembre 30, 15:17Marcel Sel
janvier 03, 13:36Georges-Pierre Tonnelier
janvier 03, 14:28u'tz
janvier 03, 20:35MUC
décembre 30, 15:55u'tz
janvier 03, 20:24MUC
janvier 05, 22:20u'tz
janvier 08, 21:10u'tz
janvier 08, 21:16Debière Pascal
décembre 30, 16:52Marcel Sel
janvier 03, 13:39Georges-Pierre Tonnelier
janvier 03, 14:31Pascal Debière
janvier 03, 18:24u't z
janvier 27, 16:38Georges-Pierre Tonnelier
décembre 30, 16:53Evgeni
décembre 30, 16:55Georges-Pierre Tonnelier
janvier 03, 14:34Thomas Lahaine
décembre 30, 17:14Tournaisien
décembre 30, 17:17u'tz
janvier 03, 20:53Exprimer son soutien aux militaires par de la haine sur Internet | La haine sur Internet
décembre 30, 17:42Eridan
décembre 30, 18:43u'tz
décembre 30, 18:45LilAngel
décembre 30, 18:53moinsqueparfait'
décembre 30, 23:55Wallon
décembre 31, 10:41hansen
décembre 31, 10:52Salade
décembre 31, 13:18Tournaisien
décembre 31, 20:55Marcel Sel
janvier 03, 13:49Tournaisien
janvier 03, 15:01Pfff
janvier 04, 18:58Eridan
janvier 05, 12:50Tournaisien
janvier 06, 21:10Tournaisien
janvier 01, 17:48Debière Pascal
janvier 02, 15:29Marcel Sel
janvier 03, 13:51u'tz
janvier 03, 19:32Marcel Sel
janvier 04, 14:54Shanan Khairi
janvier 02, 19:36Eridan
janvier 05, 12:25Shanan Khairi
janvier 08, 20:32Eridan
janvier 13, 11:09Tournaisien
janvier 03, 12:56Tournaisien
janvier 03, 19:27Marcel Sel
janvier 04, 14:53Pfff
janvier 04, 17:48Tournaisien
janvier 04, 17:56Pfff
janvier 04, 18:25u'tz
janvier 03, 19:46Tournaisien
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janvier 06, 12:50Alperen
janvier 04, 16:21Marcel Sel
janvier 04, 17:04hilarion lefuneste
janvier 04, 17:36Marcel Sel
janvier 06, 20:02Tournaisien
janvier 06, 21:16Tournaisien
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janvier 10, 21:41Tournaisien
janvier 11, 21:33Tournaisien
janvier 04, 18:08Tournaisien
janvier 04, 22:47Capucine
janvier 05, 14:13Alperen
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janvier 11, 02:24Tournaisien
janvier 11, 21:46