Le gouvernement Michel, forteresse infaillible d’un pays failli.
Dossier Niveau 4 – partie 2.
La fermeture de Bruxelles (appelons ça comme ça) est en partie due à une séance hystérique de paniekvoetbal de la N-VA, qui s’est arrogé les ministères sécuritaires et risquait de payer très cher tout attentat (voir article suivant). Mais si elle a été possible, et si aujourd’hui, Charles Michel peut maintenir une épaisse couche de secret défense sur les raisons concrètes qui ont amené à étouffer la « capitale de l’Europe » pendant une petite semaine, c’est notamment parce que le gouvernement fédéral s’est transformé en forteresse.
Cette forteresse produit sa propre « vérité » et s’emmure dedans. Une vérité qui ressemble souvent à celle de la N-VA. Charles Michel repousse même chaque jour les limites de l’imaginable : cet après-midi, à la Chambre, il en est arrivé à défendre, non plus les partis flamands du gouvernement fédéral, mais bien le gouvernement flamand lui-même, en affirmant que ce n’est pas la Flandre qui a refusé l’accord COP 21 ce dimanche, mais la… Wallonie. Une version qui semble hautement fantaisiste, à entendre les débats au Parlement flamand où on a bien reproché au ministre Geert Bourgeois d’avoir rejeté l’accord préalablement accepté par la Wallonie. Autrement dit, Charles Michel est aujourd’hui plus flamand que le CD&V !
Mais ça devait arriver. Car ce statut de forteresse gouvernementale n’est que la suite logique de la structure inédite du gouvernement Michel : d’un côté, un seul parti de langue française qui ne représente qu’un peu plus d’un quart des Francophones de Belgique, contre tous les autres partis du Sud. De l’autre, un simple calque du gouvernement flamand, représentant les trois quarts des électeurs néerlandophones, avec 65 sièges sur 87. À la tête de ce machin, un Francophone.
Le MR en état de siège invente le factjacking.
Ce déséquilibre impressionnant a amené le MR à s’installer dans une mentalité d’assiégé. Et de fait, assiégé, il l’est à la chambre où il est minoritaire dans sa communauté, avec 20 sièges sur 63, et où il n’est même pas le plus grand parti francophone, le PS ayant 23 sièges à lui seul ! Ceci semble expliquer pourquoi l’équipe de communication de Charles Michel est plus prompte qu’aucune autre à intervenir pour tenter de faire modifier une tendance dans une rédaction, un article, un reportage. Ils sont en damage control permanent.
Logique. Non seulement, le premier ministre appartient à un parti isolé et se doit de défendre un parti nationaliste ultradominant, mais en plus, le MR a dû livrer la moitié des ministres, dont une majorité de débutant-e-s (Galant, Marghem, Jamar, puis Wilmes), tandis que la N-VA, ayant déjà réservé ses foudres de guerre expérimentés au gouvernement flamand (Weyts, Bourgeois, Muyters ou encore le bras droit de Bart De Wever, Liesbeth Homans), envoyait au fédéral deux inconnus (Sleurs, Vandeput), un idéologue sans expérience (Van Overtveldt) et deux sulfureux débutants (Jambon, Francken). Pas étonnant que ce gouvernement, qu’on appela kamikaze, et qui se baptisa suédoise, est de plus en plus évoqué comme celui des bras cassés.
Du coup, Charles Michel passe le plus clair de son temps à parer les attaques, dans une défense radicale et sans nuances qui oppose la vérité du gouvernement à toute autre. Même quand un journaliste fait du très bon factchecking (comme Himad Messoudi présentant la preuve écrite de la baisse du financement de la sûreté au premier ministre), Charles Michel nie. Et ses partisans le suivent dans ce déni permanent. Conclusion : la Suédoise a inventé le factjacking : seule la version du gouvernement est la bonne, aussi incohérente soit-elle, un point c’est tout.
On en est rapidement arrivé à une méthode de communication basée sur la diversion : l’équipe Michel n’attend même plus les critiques, elle surcommunique d’avance et peu importe si c’est en disant n’importe quoi — une tactique que la N-VA connaît bien ; l’essentiel est que le citoyen ou du moins l’électeur potentiel soit convaincu.
Après le trône de fer, le bouclier d’acier.
Ainsi, voyant arriver les questions embêtantes sur la gestion du niveau 4, Charles Michel a pris les devants et sans sourciller, exigea la création d’une CIA européenne. Une idée « qui n’a aucun sens » d’après Gilles de Kerchove, le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, qui requiert probablement une modification du Traité de Lisbonne et que les Danois ont déjà implicitement rejeté en refusant l’intensification de la coopération policière et sécuritaire en Union européenne.
Bien sûr, personne n’est dupe, l’idée d’une CIA européenne, c’est de la poudre aux yeux. Mais ces diversions fonctionnent : au lieu de discuter des errements du gouvernement pendant la vraie crise qui vient de se terminer, on pinaille sur le bien-fondé d’une idée stupide (CIA) ou d’un mensonge parmi tant d’autres.
Et puis, il y a une sorte de gêne médiatique : si on casse trop le gouvernement, ça devient à son tour suspect. Dans une interview, on ne peut pas attaquer sur chaque question, contredire chaque déclaration de l’interlocuteur. Alors, le meilleur journaliste n’a d’autre choix que de lâcher un peu de lest au premier ministre. Et de sélectionner ses sujets d’attaque.
On se remémore alors les suites de l’engueulade d’un journaliste de la RTBF par le patron de la com de Charles Michel, Frédéric Cauderlier. Un parfait exemple de cette mentalité de forteresse. Après les événements, Cauderlier ne s’est pas excusé, même si Charles Michel l’a publiquement trouvé maladroit, mais sans le désavouer, encore moins le renvoyer. Du coup, l’attitude martiale de Frédéric Cauderlier est restée en suspens dans l’esprit des journalistes : « il ne faut pas déconner, les gars, on est des durs, et on ne vous laissera pas faire si vous nous critiquez trop. » À bon entendeur…
Comment dit-on « Alles voor Vlaanderen » en français ?
S’il dirige effectivement un gouvernement « flamand », Charles Michel n’est pas pour autant au service des partis flamands. Du moins, pas au départ. Il a tiré profit du droitisme de la N-VA pour mettre en place son « vrai gouvernement de droite », un vieux rêve qu’on tenait pour irréalisable en Belgique, pays de compromis. Charles Michel a montré qu’il était réalisable, mais c’était au prix d’un pacte faustien : laisser les nationalistes flamands préparer en douce l’étape suivante, la scission définitive du pays, qu’ils n’ont en fait jamais perdu de vue. Étrange paradoxe : pour en finir avec les gouvernements de compromis à la belge, Charles Michel a dû en passer par le plus audacieux mais aussi le plus dangereux des… compromis !
Pris entre deux feux, le premier ministre apparaît aux francophonissimes comme le « traître » qui vend, bout par bout, insensiblement, le pays à Bart De Wever, pour lequel il n’est qu’utilitaire. Le comble, c’est qu’en tant que chef d’équipe, iI est aussi constamment obligé de défendre une N-VA qui ne lui facilite pas la vie (Linkebeek, Molenbeek, attaques contre les Francophones, refus d’un accord sur le climat, survol de Bruxelles, etc.), ce qui aggrave encore sa mauvaise réputation en Belgique francophone.
Pour corser l’affaire, dans ce gouvernement, tout se décide entre partis flamands. Non pas que le MR n’ait rien à dire, mais il n’a pas grand-chose à ajouter aux débats qui se tiennent principalement en Flandre, entre l’aile néoconservatrice du gouvernement — la N-VA —, et l’aile sociale-démocrate — la gauche du CD&V.
Le MR étant le seul parti important de « droite » dans le paysage francophone, il couvre un champ d’opinions extrêmement large, du centre droit libéral-social à la limite de l’extrême droite. On peut pratiquement juxtaposer son étendue politique à celui couvert par les trois formations flamandes de la majorité. Il n’y a donc pas de raison que le MR ne se satisfasse pas des décisions conclues entre les trois partis flamands. Pour le Francophone, cela donne l’impression d’un premier ministre fantoche au service de la Flandre.
Il est vrai que, de par l’absence du « premier ministre naturel », Bart De Wever, à la tête du gouvernement, Charles Michel se retrouve le plus souvent à soutenir le camp de la N-VA, amplifiant encore le poids de celle-ci dans la coalition, ne laissant à l’aile gauche du CD&V que peu d’espoir d’influer réellement sur sa politique. D’où les ruades régulières de Kris Peeters ou d’Éric Van Rompuy dont on se demande presque s’ils sont dans la majorité ou dans l’opposition.
Charles Michel est donc à la fois l’esclave consentant et l’atout francophone du poids lourd du gouvernement, la N-VA. Cette dernière, hyperactive, ne lui lâche la bride sur presque aucun dossier. Ainsi, quand il s’est agi de « reconnaître » le génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques — une affaire qui n’intéressait vraiment que les Francophones —, c’est tout de même Peter De Roover, N-VA, qui a dégainé un premier texte de loi !
L’opposition dans les tranchées.
Épiphénomène de la rupture, la forteresse Michel a des effets curieux sur l’opposition : celle-ci a beau être massive et groupée, elle n’a déjà plus que les mots pour exister. À chaque nouveau scandale brandi à la chambre, la réponse de Charles Michel à l’opposition est indifféremment « non, tout va bien ». « Vous mentez ». « Vous n’avez pas fait mieux ». Ou encore « on a fait ce qu’il fallait, j’assume, je suis courageux, vous pas ». En substance. Et sur un ton qui monte jusqu’à devenir tonitruant en fin de tirade. L’énervement devient presque systématique. À force, on ne l’entend plus. Et il ne change jamais d’avis.
Du coup, étrangement, l’opposition francophone est démunie, pratiquement inutile, et doit se contenter du verbiage caméral. Confrontée à un jeu démocrate tronqué, elle pourrait tout autant quitter l’hémicycle où elle se heurte à un mur quand elle ne se prend pas des insultes pour avoir osé soulever un tapis et dévoilé un peu de poussière. Elle est finalement plus efficace quand elle alimente les rédactions en nouveaux scandales, en documents révélateurs, ou quand elle révèle les mensonges ou les manipulations du gouvernement. Elle en arrive même à passer en moderato cantabile sur l’alerte niveau 4 et ses conséquences.
La seule stratégie d’opposition efficace est désormais à long terme : miner le MR, affaire révélée après affaire révélée, pour qu’il s’écrase lamentablement aux prochaines élections, ce qui rendrait impossible la mise en route d’un second « gouvernement de droite ». Dégoûter les Francophones des libéraux. Charles Michel peut bien s’en plaindre, c’est lui qui, en lançant la coalition kamikaze, a mis en place les conditions nécessaire à un éventuel ratatinage de son parti aux fédérales de 2019 (ou d’avant). Logiquement, l’opposition fera tout pour l’amplifier, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Charles Michel lui en donne le pouvoir. Il ne lui reste qu’une seule chance : que son pari sur l’emploi fonctionne et que le salaire poche augmente sensiblement. Et c’est pas gagné.
Cette opposition systématique et massive n’incite pas non plus Charles et son équipe à la modestie. Il en a acquis la certitude absolue d’être dans le bon, tant idéologiquement que sur le plan pragmatique. Même quand le bureau du plan lui explique qu’il lui manque 3 milliards de moyens dans son budget pluriannuel, tout va bien, à l’entendre. Cette certitude et ces dénis répétés renforcent encore l’esprit de forteresse du gouvernement omnipuissant. Le seul pouvoir qui lui échappe est celui de la presse, qu’il noie logiquement de déclarations tonitruantes.
C’est aussi dans cette perspective de fortification qu’il faut comprendre l’incroyable attaque envers la France par le premier ministre Charles Michel : à la moindre petite flèche venue de l’extérieur, le gouvernement sort l’huile bouillante, peu importe la nature ou l’importance de l’agresseur. Ça peut être les journalistes, comme pour Marie-Christine Marghem. Ou un haut fonctionnaire, comme dans l’affaire Galant. Ou la région bruxelloise. Ou des opposants quelconques. Pire, le gouvernement fédéral continue son jeu de massacre sur Bruxelles tout en tentant de sauver l’image de la Belgique, ce qui est parfaitement ridicule.
Non Charles, TINA pas la solution.
À la fois prisonnier de lui-même — il n’y a pas d’alternative (TINA) — et de la N-VA, et forcé d’aller toujours plus loin pour faire la différence, la machine s’échauffe et s’affole. Et après les attaques terroristes parisiennes, il faut s’inquiéter des messages martiaux mais vains.
On a en effet vu les propositions les plus fantaisistes de la N-VA reprises avec le plus grand sérieux par l’ensemble du gouvernement Michel, au grand dam du CD&V resté plus réaliste. Il s’agissait de frapper un grand coup de com contre le terrorisme. Dix-huit mesures inquiétantes, à la fois pour la santé de notre démocratie que de par leur carractère irréaliste, donc populiste.
Le gouvernement Michel a aujourd’hui à peu près tous les pouvoirs. Les murs qu’il a érigés, sa communication hystérique, proactive, défensive, compliquent le travail de contestation et renvoie la moindre critique à l’envoyeur. Le pays est aux mains de la N-VA flamande et d’une sorte de copie conforme francophone incarnée désormais par le MR. Il n’y a plus de contre-pouvoir réel.
Le gouvernement, enfermé dans sa forteresse infaillible refuse de reconnaître la moindre erreur. La Belgique n’en réparera donc que quelques-unes, et pas les plus fondamentales. Reste cet autre paradoxe curieux : c’est désormais une forteresse infaillible qui dirige sans partage ce pays failli.
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40 Comments
Dossier niveau 4 : c’est parce que le gouvernement refuse le débriefing qu’il faut le faire. | UN BLOG DE SEL
décembre 04, 02:11Hansen
décembre 04, 03:55Marcel Sel
décembre 04, 11:13Georges-Pierre Tonnelier
décembre 04, 14:07Renal de Waterloo
décembre 04, 10:14Salade
décembre 04, 11:19u'tz
décembre 09, 02:14Axle
décembre 04, 12:34u'tz
décembre 09, 02:29Axle
décembre 11, 16:10denis
décembre 04, 13:22u'tz
décembre 09, 02:25Georges-Pierre Tonnelier
décembre 04, 14:03Wallon
décembre 04, 18:18u'tz
décembre 09, 02:22Lecomte Serge
décembre 04, 23:19Marcel Sel
décembre 06, 15:27Renal de Waterloo
décembre 06, 21:31denis
décembre 07, 11:23Marcel Sel
décembre 08, 10:51denis dinsart
décembre 08, 15:23Renal de Waterloo
décembre 09, 13:18u'tz
décembre 05, 02:23guypimi
décembre 04, 12:20moinsqueparfait'
décembre 07, 10:14u'tz
décembre 05, 03:20Marcel Sel
décembre 06, 15:28u'tz
décembre 07, 04:43u'tz
décembre 07, 05:09Tournaisien
décembre 05, 09:45Martine - Bxl
décembre 06, 17:51u'tz
décembre 07, 04:38moinsqueparfait'
décembre 07, 10:18u't z
décembre 08, 15:55u'tz
décembre 09, 02:19Shrek.Be
décembre 05, 14:05Salade
décembre 06, 14:21bronkart
décembre 06, 15:28wallimero
décembre 07, 23:49hansen
décembre 23, 02:11