Canal Plus : Biraben a dit « la vérité », elle doit être twéxécutée.
Jeudi, dans le Grand journal de Canal +, Maïtena Biraben a demandé à l’avocat Éric Dupond-Moretti (très à la mode ces jours-ci pour avoir défendu le roi du Maroc contre deux journalistes français) s’il n’avait pas peur du « discours de vérité » du Front national. Auparavant, elle lui avait dit : « Vous savez que ces propos, les propos de la vérité, sont souvent tenus et incarnés par le Front national aujourd’hui. » L’avocat a répondu par l’affirmative.
Gros scandale, accéléré par les réseaux : l’association du mot vérité et du Front national fait très mauvais genre, surtout à une heure de grande audience (du moins espérée). Ces propos peuvent en effet être interprétés comme la confirmation que le Front national dit la vérité. C’est du moins de cette façon que les gens sensibles à ses thèses, sans en être forcément convaincus, l’interprèteront. Associer vérité et front national sans démontrer que cette vérité n’est qu’apparente, c’est laisser entendre que le FN est bien le parti qui dit la vérité ! Le FN lui-même l’a bien compris, Florian Philippot et Marion-Maréchal ayant illico pris la défense de Biraben avec beaucoup d’entrain !
D’où un tollé légitime. Parce que pour le moins, Maïtena Biraben s’est mal exprimée. Mais oui, quand tout le monde comprend son intervention comme un soutien au réalisme supposé d’un parti d’extrême droite, c’est qu’elle a très mal fait son boulot. L’information du public passe d’abord par une description correcte, et compréhensible par tous, sans ambiguïté, des sujets qu’on aborde.
Le parler-vrai, c’est autant la prétention de Mélenchon, Sarkozy ou Hollande.
Vendredi soir, Maïtena Biraben a signé et persisté. Selon elle, le « discours de vérité » dont elle parlait la veille ne portait pas sur le fond, mais sur la forme ! L’explication n’est hélas pas limpide, ni correcte : en quoi le Front national prétendrait-il plus à la vérité sur la forme que n’importe quel parti ? Le « parler-vrai », c’est autant la prétention d’un Mélenchon ou d’un Sarkozy. Hollande lui-même a promis que lui, président, il n’y aurait plus de mensonges, de compromission. Tous les partis ont leur vérité à vendre et il y a toujours une part de mensonge. Ce n’est pas parce que le Front crie le plus fort, qu’il est exceptionnel, même sur la forme. Bien sûr, tous les partis ne construisent pas, comme le fait le Front national, des concepts qui flattent les sentiments de haine ou jouent sur les peurs inconscientes, sur base des chiffres qui les arrangent. La différence est là et c’est ça qu’il faut expliquer.
À gauche toute, cependant, cette nécessaire explication n’a pas effleuré les journalistes et penseurs. Il y avait plus grave : Biraben a dit le mot vérité, elle devait être twexécutée. Il n’y avait pas beaucoup de nuances dans cette gauche bonhomme et souriante sous une grosse moustache médiapartée. Elle a pris Maïténa pour traîtresse parce que travaillant pour Bolloré, ce droitiste qui a placé Guillaume Zeller à la tête de l’info à iTélé (groupe Canal), un monsieur qui n’a auparavant pas souvent hésité à fricoter avec Radio Courtoisie ou Boulevard Voltaire, deux antennes d’extrême droite. Alors, on a tout mélangé, tout secoué. Sur Twitter, je n’ai rien à dire, j’ai fait pareil. C’est la vitesse twitérienne qui veut ça, il vaut mieux y dire une connerie que rester coi. On s’y plante tous.
Une certaine gauche a profité du fait que le dérapage de Maïtena Biraben intervenait dans un contexte de berlusconisation de Canal Plus.
Mais les articles, c’est fait pour remettre en contexte. Certes, on assiste à une berlusconisation de la chaîne cryptée, autrefois rempart de la gauche contre le reste du monde. Certes, il est légitime de penser que Bolloré prépare ainsi l’élection de Nicolas Sarkozy. Et certes, le dérapage de Maïtena Biraben intervient dans un contexte où le soupçon plane sur la chaîne.
Mais ça ne signifie pas que Biraben ait joué sur une gamme Zeller-compatible ou qu’elle ait sciemment voulu plaire à Bolloré. Ça signifie plus probablement qu’elle n’écoute plus le public, le cœur de l’audience, ce « peuple » dont on parle tant de nos jours, sans s’encombrer de garde-fous.
Pour qu’on comprenne mieux, invoquons un instant Saint-Godwin et imaginons qu’elle ait parlé du « discours de vérité d’Adolph Hitler sur les Juifs ». Je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit, tout le monde a compris qu’il y aurait eu comme un énorme problème.
Pour s’expliquer — sans s’excuser —, la nouvelle présentatrice du Grand journal a dit qu’elle aurait tout aussi bien pu dire « un discours cash » ou « un discours sans langue de bois ». Visiblement, elle n’a toujours pas compris ce qui lui a valu cette chasse aux sorcières. Au contraire, elle s’enfonce. Car on découvre que, selon elle, sur la forme, le FN ne pratique pas la langue de bois (ou le politiquement correct, ce qui était le sujet de l’émission).
Il faudrait nous livrer Maïtena Biraben avec un décodeur.
Cela signifierait que le discours des autres partis serait, sur la forme, plus langue de bois que celui de Marine Le Pen ? Moins Vérité ? Mais Marine Le Pen ment à peu près à chaque fois qu’elle ouvre la bouche ! Ce n’est pas une idée, c’est un fait journalistiquement démontrable. Elle tripote les chiffres, comme Anne-Sophie Lapix l’a montré un jour en plateau. Elle n’a aucun moyen de démontrer ce qu’elle prétend « vrai » parce qu’elle se base rarement sur de vrais chiffres, sur une étude cohérente d’un problème, mais sur son fonds de commerce : comment tirer profit d’une population indignée pour monnayer son nationalisme identitaire, son rejet de l’autre, son idéal d’une société lisse et sans grumeaux ?
Dans Salut Les Terriens (Canal Plus), le vice-président du FN Florian Philippot a vu neuf de ces « vérités » démontées par un démographe. Un minimum eût été que Maïtena Biraben évoquât « un discours prétendument de vérité ». Pré-ten-du-ment ! Un strict minimum, d’ailleurs. Car les twits de Marine Le Pen sont un concentré de fantaisies :
@mlp_officiel : En effet @manuelvalls est capable de tout contre le @FN_officiel et utilisera tous les moyens de l’État mais en face il y a le peuple ! MLP
Ben non, rien ne démontre que Valls « utilisera » des moyens de l’État contre le FN ; il ne contrôle pas les juges. Et non, il n’y a pas « le peuple » en face. Pour ça, il faudrait que 100 % des électeurs soutiennent Marine Le Pen.
@mlp_officiel : Des centaines de milliers voire des millions de personnes vont venir en Europe par opportunité.
Ben non, rien ne laisse supposer que « des millions » de personnes vont venir en Europe.
@Mlp_officiel : « Il faudrait savoir les vrais chiffres de double-nationaux dans notre pays, les vrais chiffres de l’immigration. » #Les4Vérités
Ben non, les double-nationaux n’ont rien à voir avec « l’immigration », ce sont des citoyens à part entière, selon la loi et le droit européen.
On ne peut pas se limiter à « pas d’explication » quand on parle de l’extrême droite aujourd’hui.
L’idée qu’il y aurait une vérité formelle dans le discours de Marine Le Pen découle d’une autodéclaration par le Front national lui-même. C’est un argument de vente. Il ne démontre à aucun moment qu’il parle plus « vrai » qu’un autre. Et ce n’est pas parce que Marine Le Pen prétend s’attaquer au politiquement correct qu’elle n’est pas elle-même adepte de son propre politiquement correct. Chaque parti a le sien, le FN comme les autres. Ainsi, on imagine que le terme de « double national » soit chez elle la version politiquement correcte de « les bougnoules qui ont acquis la nationalité française mais restent des bougnoules ».
Bien sûr, c’est de ça que parle Maïtena Biraben quand elle dit qu’elle parlait sur la forme, pas sur le fond. Mais dans ce cas, se limiter à cette courte explication de vendredi, c’est prendre l’ensemble de ses spectateurs pour des politologues. Ou partir du principe que tous les Français comprennent bien que quand on dit « le discours de la vérité », ça veut bien dire qu’il n’y a pas (nécessairement) de vérité dans le discours. Mais ce n’est pas parce qu’on est sur Canal Plus que l’info peut être aussi codée. Ou alors, il faut nous livrer Maïtena avec son décodeur.
Pire. Évoquer la langue de bois — reproche récurrent fait aux partis traditionnels, surtout de gauche, par le FN — comme alternative à « la vérité », c’est aller très loin.
Le Front national a aussi sa langue de bois.
Pas de langue de bois ? Pourquoi Florian Philippot cachait-il son homosexualité quand l’ex-premier ministre belge, socialiste, la portait avec fierté ? Et pourquoi a-t-il besoin de dire, ensuite, à Léa Salamé : « Non le FN n’est pas gay-friendly, […] il n’est pas l’inverse non plus. Il est “French-friendly” si vous voulez. Il a une vision qui n’est pas communautariste, purement républicaine. Il voit des Français, il ne voit pas des communautés. » N’est-ce pas un bel exercice de langue de bois qui transforme l’homophobie du Front national (la participation à un débat sur le soi-disant lobby homosexuel, participation non assumée par le Front, comme toujours) en « républicanisme pur ? » Les exemples sont légions, je me contenterai de celui-là.
Le Front national est passé maître dans la manipulation des foules. L’usage de concepts comme le politiquement correct (sous-entendu, vous ne dites pas les choses comme elles sont, alors que nous le faisons) brouille les cartes. Entrer dans ce jeu est dangereux — et à mon avis, on ne devrait pas faire d’émission sur ce sujet sans démonter cette utilisation politique et abusive du terme. Et dire d’abord que le « on ne peut plus rien dire de nos jours » provient aussi du fait que toute information qui peut être utilisée par les extrêmes sera brandie, dès sa publication, par celles-ci (sinon manipulée pour les servir), et que de ce fait, les démocrates ont fini par avoir peur de leur ombre, font très attention à ce qu’ils disent. Ils n’ont pas forcément tort. Valider l’idée que le politiquement correct est une horreur pose problème. C’est au contraire une question complexe, qui a des origines complexes.
Le politiquement correct est aussi, souvent, un signe que la société progresse.
À ce titre, l’émission est passée largement à côté de son objectif — démonter les excès de la langue de bois, de gauche, de droite, et des extrêmes. Au lieu de ça, on a entendu Dupond-Moretti se plaindre de ne plus pouvoir dire madame le président (un cas drolatique et franchement accessoire) ou de ne plus pouvoir dire mademoiselle dans Madame, mademoiselle, monsieur. Mais si, on peut le dire ! Bien sûr ! Mais dans ce cas, il faut inclure tout le monde. Madame, mademoiselle, monsieur, mondamoiseaut. Faute de quoi, on considère encore qu’une femme ne devient femme qu’une fois déflorée, alors qu’un monsieur l’est de naissance, une curieuse vision rétrograde des sexes et de leurs relations.
Le fait qu’on ne dise plus nègre, youpin, niakoué… c’est aussi de la correctitude politique. Curieusement, on ne le dit jamais ! Or, le politiquement correct est aussi la preuve que la société progresse, n’en déplaise à ceux qui pensent que la virginité (ou le fait de ne pas être mariée) est encore un critère de catégorisation des femmes.
Maïtena Biraben a donc fauté, oui mais pas par extrémisme : par arrogance. Et elle a recommencé dans ses explications et son refus de comprendre que son manque d’empathie pour la crétinerie de son public, moi inclus, méritait des excuses et des explications un tout petit peu plus claires. L’arrogance n’a pas manqué chez ses critiques non plus. On a l’impression qu’en France, dire « je me suis trompé » est devenu une tare.
Aujourd’hui que le FN serait « le premier parti de France » selon la « vérité de forme » de Maïtena Biraben (il ne l’est pas en réalité !), on ne peut plus se permettre les confusions. Et c’est aux journalistes et intellectuels d’abord, de déconstruire le discours de l’extrême, chaque fois qu’ils en ont l’occasion. Quand on présente une émission, cette occasion se présente de même. Il ne faut pas être seulement clair(e) par-rapport à soi-même ou face à l’avocat qu’on invite. Il faut être clair(e) pour absolument tout le monde.
Or, si Biraben a reçu le soutien de l’ensemble du Front national, c’est bien qu’elle a flatté celui-ci, involontairement, voire naïvement. Ou qu’elle a prétendu faire la énième émission sur le politiquement correct sans vraiment aborder le fond. Celle-ci, à son tour, était de pure forme. Dommage. Et tragique.
12 Comments
Salade
septembre 26, 17:28Salade
septembre 26, 19:25Tournaisien
septembre 26, 21:42Degenève
septembre 27, 12:57u'tz
septembre 27, 22:07u'tz
septembre 27, 22:21u'tz
octobre 04, 21:06Tournaisien
septembre 27, 23:04Marcel Sel
septembre 28, 09:57Tournaisien
septembre 28, 11:43u'tz
septembre 28, 23:44Shanan Khairi
septembre 28, 13:39