Charles Michel ou la N-VA : Nouvelle-Vitupérante Arrogance.
Mais quelle est cette dérive ? Où va cette droite que nous avons connue tellement plus humble, tellement plus libérale ? Celle qui parvenait, il y a deux décennies, à présenter un front commun avec d’autres partis traditionnels et démocrates, en particulier le Parti socialiste et le CDH ? Non content de donner des leçons aux autres partis alors qu’il n’est pas, lui-même, un exemple de réussite (ou disons, pas encore), voilà que Charles Michel tance le premier ministre grec Alexis Tsipras sur un de ces tons supérieurs auxquels nos politiciens francophones ne nous avaient pas habitués. « La récréation est finie », a tonné notre premier à la VRT, hier, alors même que François Hollande et Angela Merkel — autrement dit, ceux qui détiennent le vrai pouvoir en Europe — abordaient le sujet avec une retenue remarquable. Pour Moskovici, on est prêt d’atterrir. Pour Merkel, il ne faut pas que la Grèce sorte de l’euro.
Pour Charles Michel, il faut à présent que la Grèce « obéisse ». Ou plutôt, « respecte ses engagements ». Oui, mais ceux que la Troïka a exigés de la Grèce, ou ceux que Tsipras a pris envers les citoyens qui l’ont élu ? Ou encore, ceux du gouvernement grec précédent ? Celui qui a payé cher une législature qui a fait perdre au pays un bon 13 % de PIB par habitant, pour un total de 20 % depuis le lancement du premier mémorandum en 2010 ? Eh oui. Les dépenses de santé par Grec ont chuté d’un tiers en cinq ans. Ça peut faire tomber le meilleur des gouvernements.
Pour Charles Michel, il faut que Tsipras obéisse. Mais à qui ?
Parlons-en, d’ailleurs, des engagements imposés à la Grèce. Les baisses drastiques sur les retraites imposées par la Troïka en 2012 viennent d’être jugées inconstitutionnelles par le Conseil d’État grec parce qu’aucune étude sérieuse n’avait été menée pour vérifier que cette baisse constituait effectivement un avantage financier pour le pays… Et ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan d’amateurisme qui a prévalu au sein de la Troïka dans la gestion de la crise hellénique.
En janvier 2013, Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, reconnaissait une erreur de calcul. Ou plutôt une énorme bourde. Pour mesurer l’impact des mesures d’austérité imposées à la Grèce, FMI, BCE et Commission européenne (la Troïka) avaient utilisé un facteur de 0,5 (autrement dit, 10 milliards d’économies publiques entraîneraient 5 milliards de baisse du PIB) alors qu’en temps de crise — et les économistes du FMI le savaient — ce facteur dépasse souvent 1 (10 milliards d’économies publiques entraînent 10 milliards de perte en PIB) et peut même, dans des circonstances exceptionnelles, aller jusqu’à 3 (30 Mia de pertes pour 10 Mia d’économies publiques). Une belle démonstration du fait que l’État n’est pas seulement un coût, mais aussi un pourvoyeur économique précieux.
Le FMI aurait fait des erreurs de calcul ? Voire. Il semble plutôt que la Troïka n’a pas cherché à calculer sérieusement les effets probables de ses actions. Et qu’elle ait agi par pure idéologie : les Grecs allaient devoir payer (c’est d’ailleurs ce que Wolfgang Schäuble assénait à chaque réunion des ministres des Finances européens). Et tant pis si ça les poussait hors de la zone euro. Et tant pis si ce départ était susceptible de provoquer un cataclysme monétaire dont les pays restants paieraient le prix. Le principe était simple : le pays qui déconne doit s’en prendre un maximum sur la tronche pour qu’ensuite, plus aucun pays n’ait envie de déconner pendant les siècles qui suivent.
Le calcul de la Troïka était mauvais, la situation en grèce le prouve.
À ce titre, la question n’est même plus de savoir si les tenants de l’hyperaustérité en Grèce avaient raison ou tort, mais de savoir si l’on a, un jour, impliqué la raison elle-même dans le calcul ! Et il semble bien que non. Charles Michel devrait le savoir.
Il devrait savoir aussi que la Belgique n’a plus été un modèle depuis belle lurette. En 1993, sa dette avait atteint 138 % du PIB. Il lui fallut près de 10 ans pour la ramener aux alentours de 100 %. Et encore. Elle n’avait baissé sur cette décennie que de 5 milliards d’euros en euros constants, soit autour des 1,5 % en valeur réelle. C’est la croissance qui a rattrapé la dette. Si au contraire, la Belgique avait perdu 25 % de son PIB sur ces dix ans (comme la Grèce l’a fait ou subi en seulement cinq ans), en maintenant la même dette en euros, le pourcentage par rapport au PIB aurait au contraire atteint les 170 %. On a eu de la chance qu’il y ait eu croissance économique à cette époque.
Cet exemple belge montre qu’il eût été miraculeux que la Grèce parvînt à réduire son endettement relatif sans une augmentation de son PIB. Toute mesure efficace dans une telle perspective aurait dû garantir le maintien, au minimum, de l’économie à un niveau similaire à celui de 2009-2010. Et comme les économies nationales ont horreur des chocs brutaux, cela impliquait qu’aucun plan portant sur moins de vingt ans n’offrait les garanties nécessaires à une évolution positive. Aujourd’hui, malgré un défaut partiel de la Grèce, elle se retrouve dans la même situation d’endettement qu’en 2010 et rien ne permet d’imaginer qu’un nouveau plan similaire au précédent pourrait changer la donne. Bref, si les tenants des solutions de la Troïka ont une attitude à avoir et une seule, c’est l’humilité plutôt que l’arrogance ! Et quand on a un ministre des Finances de la trempe de Van Overtveldt, qui n’hésite pas à tancer Tsipras sur Twitter : « il est difficile de ne pas conclure que le gouvernement grec ne veut pas accepter les règles qui fondent une union monétaire. », on ne rajoute pas de l’huile dans la marmite.
L’arrogance de Van Overtveldt suffit pour un gouvernement.
Surtout quand on a un gouvernement qui, après huit mois, constate qu’il y aurait un ministre ne sert à rien selon Bart De Wever, qu’une autre s’est vue retirer une partie de ses prérogatives (pour incompétence), qu’une troisième a dû mentir au parlement pour enclencher une autre question dogmatique, décidant de rouvrir une centrale nucléaire qui ne pourra presque certainement pas l’être (et tout le monde le sait), qu’une quatrième a déjà acquis la réputation de ne pas savoir calculer, que plusieurs autres sont carrément aux abonnés absents (ils travaillent…) et que le premier ministre lui-même semble n’avoir aucun moyen de maintenir la paix entre les frères ennemis flamands du CD&V et de la N-VA. Au final, le ministre qui apparaît comme le plus compétent est encore… Jan Jambon !
Je ne sais pas si ce gouvernement est très mauvais ou excellent, c’est trop tôt pour le dire, on le saura dans quelques années seulement. Peut-être qu’il parviendra à créer les emplois qu’il a promis. Avec un peu de chance, la baisse de l’euro y contribuera plus sûrement que toutes les mesures qu’il prendra, mais ça, c’est le jeu. Et peut-être que dans dix ans, on célèbrera Michel I comme la meilleure équipe qui n’ait jamais dirigé le pays. Ou pas. Mais les indépendants ne voient pas le bout du tunnel, les syndicats restent en mode révolution permanente, l’économie ne semble pas redémarrer plus que ça, le gouvernement arrive avec des mesures qu’on se demande à quoi elles pourraient bien servir (werkbaar werk — le travail travaillable — ressemble plus à un travailler plus pour gagner plus sauce belge qu’à une série de mesures vraiment utiles à l’entreprise ou à l’économie).
Alors, il y a de quoi être inquiet. Car voici déjà venu le moment des rodomontades. Les solutions étant absentes, en rade ou pas encore mises en route, une belle grande déclaration, ça le fait. Et tant à faire que déclarer, autant prendre pour cible la Grèce, ça ne mange pas de pita. Et puis, viser Tsipras est une manière détournée de viser la gauche, ou disons, le PS. Il faut dire que (peut-être par contamination de la Nieuw-Vlaamse Arrogantie) les libéraux du camp Michel sont devenus complètement allergiques au Parti socialiste et à la gauche en général et ne manquent pas la moindre occasion de le faire savoir. La gauche, c’est caca ! Beurk. Les rouges sont incompétents, ont ruiné la Belgique, sont cons au point de croire en Keynes, alors que, c’est bien connu, seul Adam Smith avait la solution. On a vu ce que la main invisible a produit quand les grandes banques américaines ont joué aux dominos, mais bon.
Et au final, on tombe même de sa chaise quand on voit qu’au niveau communal, des coalitions PS-MR fonctionnent plutôt bien. Quoi ? Des rouges et des bleus ? M’enfin, comment est-ce possible ? Les rouges, c’est nul, incapable, c’est hyperdangereux, non ?
Les rouges, c’est beurk, caca.
Et ça, ce discours antisocialiste permanent, c’est franchement inquiétant. Parce que si ce gouvernement ne fait pas les miracles qu’il a promis de faire (baisser les impôts sans baisser les services tout en baissant leur coût sans faire baisser le PIB… good luck), il aura — en ajoutant à son incompétence potentielle une arrogance déplacée — décrédibilisé autant la gauche que la droite. Que reste-t-il ?
Alors, non, il ne fallait pas prendre la Grèce pour un enfant jouant dans le bac à sable en « sifflant la fin de la récré » comme l’a osé Charles Michel. Car, comme il le dit lui-même, la Grèce est un partenaire, et « On ne peut pas dire en Europe que l’on est des démocrates et s’émouvoir […] lorsqu’un gouvernement émet un certain nombre de souhaits ». Seulement, voilà, dans ce dernier cas, notre premier ministre ne parlait pas de Tsipras, mais d’un grand ami de la N-VA, David Cameron, dont Charles Michel soutient… le projet de référendum. Une idée qui provoque déjà de sérieux remous dans la propre majorité dudit David…
Gageons que Charles Michel sera moins regardant de la démocratie quand Tsipras lui annoncera qu’il est tenu, dans un État de droit, de respecter la décision de son Conseil d’État… Et qu’il doit donc revaloriser les retraites de plus de 1.000 euros de 5 à 10 %, envers et contre la Troïka, envers et contre sa propre volonté politique, même ! Mais c’est vrai que, contrairement au Royaume-Uni, la Grèce peut aujourd’hui servir à tout. Y compris à de grandes envolées qui servent à faire croire que l’autorité de Charles Michel dépasse largement les frontières.
Notez que comme elle n’a toujours pas réussi à s’établir dans son propre pays, on le comprend un peu…
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28 Comments
Salade
juin 11, 20:40Legros-Collard.
juin 11, 20:58Salade
juin 12, 08:27u'tz
juin 14, 18:21wallimero
juin 11, 23:07Francoise Smet
juin 11, 23:50thomas
juin 12, 20:11Sky
juin 12, 07:51guypimi
juin 12, 20:32thomas
juin 12, 20:07Francoise Smet
juin 12, 00:10geckograph
juin 12, 01:14MUC
juin 12, 09:08Salade
juin 12, 13:57Pfff
juin 12, 10:44Degenève
juin 12, 13:32serge
juin 12, 17:05Salade
juin 12, 21:51u'tz
juin 12, 23:48u'tz
juin 13, 00:01Denis De Rudder
juin 13, 13:04schoonaarde
juin 13, 18:37u'tz
juin 14, 18:30thomas
juin 13, 16:43Marcel Sel
juin 13, 18:00Willy
juin 15, 09:35Marcel Sel
juin 15, 12:42Capucine
février 13, 23:55