Touche pas à mon Kroll ! (Est-ce ainsi que les hommes vivent ?)
Tocard, parano, égo surdimensionné et multiformes, endoctriné, partial, touche-nouille, gros connard, donneur de leçons, ado boutonneux, malade, Hitler, Staline…
Tout ça, c’est moi (comme ça, vous savez à qui vous avez affaire).
Après la mise à jour de mercredi de mon article sur Kroll, j’ai vu fondre un gros milliers de commentaires en 48 heures (soit un toutes les deux minutes par heure « réveillée ») sur Twitter et Facebook. Une majorité de ces commentaires comportaient des attaques si efficaces que des gens dont je n’avais jamais entendu parler sont venus m’agresser sur Facebook pour ma propension à refuser tout débat et à « interdire » (Lieven, hou je vast) à ceux qui ont une opinion différente de la mienne de… s’exprimer !
« Tu te conduis comme un vrai pur ultimate connard […] » (Facebook)
À certaines heures, il en arrivait plusieurs par minute. Dès que j’ouvrais Twitter, j’étais confronté à des dizaines d’insultes, de reproches, de critiques personnelles, reprises en cascade par d’autres internautes. Sur Facebook, mêmes rafales, mais plus subtil. Le summum et bouquet final : annoncer que je serais « hospitalisé ». Twit effacé depuis par l’intéressé (anonyme) qui n’aurait apparemment pas le courage de ses affirmations.
Pour calmer le jeu, après deux jours hallucinants dont je reproduis quelques traces dans cet article (les twits en images, les extraits de commentaires Facebook en exergue), j’ai bloqué ceux qui m’insultaient. Ils en ont profité pour prétendre que je limitais leur liberté d’expression. C’est allé jusqu’à « stalinien ».
« [vous êtes un] pervers narcissique propageant l’antisémitisme. » (un inconnu)
Avantage du blocage : je ne voyais plus leur bashing. Mais les insultes continuaient à arriver, envoyées par des Twitteurs que je n’avais jamais vu passer auparavant. Et quand, épuisé psychologiquement, j’ai vu se pointer un énième anonyme qui se fait appeler Marcel Chicon (!) sur mon compte, qui m’expliquait que j’avais mis « mon iphone en mode vibreur dans le fion » et que j’avais un problème de prostate, j’ai craqué.
Pour me protéger, j’ai donc mis mon compte Twitter momentanément en mode privé. J’en sors cet après-midi, faute de quoi je limite terriblement la possibilité de promouvoir mes articles de blog qui, pour rappel, ne me rapportent rien d’autre que de l’image. Cette image, il fallait apparemment la casser, aux yeux de certains qui, contrairement à moi, sont payés à plein temps. Parfois même par le service public. Par l’université. Par l’enseignement secondaire. Et j’en passe. Il fallait la casser parce que j’avais « attaqué Kroll ».
J’ai compris pourquoi des nouveaux arrivants, qui ne me connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, me lançaient toute sortes de reproches et d’insultes — souvent les mêmes — quand j’ai appris que l’attaque Twitter avait été au moins partiellement coordonnée. Concrètement, certains internautes ont envoyé des messages privés tout azimut en incitant d’autres à venir me harceler. La plupart de ces messages étaient prétendument humoristiques. Exemple : « Il est vraiment trop con ce Marcel Sel. » ou « Quand est-ce qu’on lui donne ses pilules ? » Comme je n’ai pas trouve drôle qu’il en arrive des dizaines simultanément, on m’a bien entendu qualifié de parano et fustigé mon incapacité à comprendre « l’humour » ou « l’ironie ». L’argument de la maladie m’a été servi aussi régulièrement. Certains thèmes sont récurrents. L’ego, l’omniscience, par exemple, reviennent très souvent. Eh oui, on s’est donné le mot. Sinon, c’est baltringue, zozo, etc. Curieux que ces gens, quelquefois BAC + 5, 6 ou 7, n’aient même pas songé à imposteur !
« Vous n’avez pas fini de vous toucher la nouille ? » (un inconnu)
Les réseaux, aujourd’hui, c’est ça : un réceptacle des pires pulsions humaines. De la méchanceté aussi stupide que banale à la pire perversité. Ils donnent quelquefois de gens apparemment très bien sur le papier (humaniste, professeur, journaliste, enseignant, gauche généreuse, droite libérale, formateur de haut niveau) une image atterrante.
Car je peux encore comprendre les assauts de quidams qui passent leur temps à s’en prendre, en groupe, à l’une ou l’autre personne médiatique. Ça leur permet d’exister, souvent anonymement d’ailleurs (je n’ai rien contre l’anonymat, c’est le fait de l’utiliser pour attaquer autrui, ricanant et bavant derrière son écran d’ordinateur qui me pose problème, cette diarrhée incontinente d’insultes et de vulgarités pour satisfaire ses frustrations perverties). Et tant mieux pour eux s’ils parviennent à s’amuser en déployant les capacités d’agressivité du seul cerveau vraiment fonctionnel chez eux, le reptilien .
En revanche, lorsqu’une certaine élite de notre société, celle-là-même qui recommande des cours de citoyenneté pour nos enfants, se laisse entraîner par l’effet de groupe et n’hésite pas à attaquer ad hominem (« faut te faire soigner »), y ajoutant une panoplie admirable de techniques de sophistique destinées à décrédibiliser celui qui a osé toucher à une icône (au choix, Kroll, la caricature, « JeSuisCharlie », la « liberté » d’expression, etc. ), on se dit qu’avant de prévoir des cours de citoyenneté pour nos enfants, on devrait s’intéresser aux adultes qui leur servent, nous dit-on, d’exemples.
Si j’étais vraiment une icône (certains le pensent, je ne le crois pas, mais admettons), ce serait encore logique. Les jaloux ont besoin de se défouler de temps en temps. Comme je suis un peu médiatisé, je dois « savoir là contre ». Mais prenons plutôt ceci comme un cas d’école. Des gens qui n’ont aucune présence médiatique sont harcelés tous les jours sur les réseaux. Un internaute m’a expliqué qu’on avait diffusé son adresse et son numéro de téléphone en priant « les copains » de bien le harceler. Tout cela, sous couvert d’anonymat. Autre sujet intéressant : si l’anonymat permet à nombre de gens de s’exprimer librement sur les réseaux, qui ne le pourraient pas autrement du fait de leur activité, de leur employeur ou de pressions économiques, certains en abusent pour intimider en masse, crier haro sur des personnes physiques, harceler, insulter. Que faire ?
« Votre ego est a ce point surdimensionné que vous vous sentez supérieur ? Non, parce que dans les années 30, y a un mec qui a convaincu son peuple qu’il était supérieur… »
Ça a donc dérapé. J’ai aussi mes responsabilités dans ce dérapage-là. J’ai le tort de répondre le plus souvent possible aux questions qu’on me pose, sur les réseaux et sur mon blog. C’est un principe. Ça demande beaucoup d’énergie. Ça m’amène à être cassant, et apparemment hautain quand je me sens agressé.
Mais plus on m’explique qu’il n’y a rien, que je rêve, ou que j’invente des sujets, et plus on me le dit agressivement, plus je subodore qu’il y a bien quelque chose, mais qu’on ne veut pas qu’on en parle. Je suis un type bizarre.
Je me suis trouvé déjà maintes fois visé par des dizaines d’internautes « hostiles ». Je connais. Je fais avec. Mais là, seul contre une grosse centaine d’opposants (sur 220 personnes différentes qui ont commenté mes statuts Facebook, à ajouter à plusieurs dizaines qui m’ont bashé systématiquement sur Twitter) on ne réfléchit plus, on répond un peu à la volée, on essaye de se défendre et c’est impossible. On se laisse déborder, on patauge, on dérape, on déborde. Et la machine devient folle, de toutes part.
Je n’aime pas me poser en victime, même si tout ça m’a affecté au point de fermer mon compte Twitter au public et d’envisager de tout arrêter, mais l’une des caractéristiques de l’effet de groupe est aussi d’accuser la « victime » d’être l’agresseur ! Qu’on m’accuse de parano, passe encore. Qu’on m’accuse de m’attaquer à deux centaines d’internautes, en plus du pauvre Kroll, faut le faire ! Ça a été fait…Ceux qui subissent ce genre d’attaque de groupe doivent savoir qu’il ne faut pas tenir compte de ce genre d’affirmation, même s’il est difficile de garder son calme.
Il est toutefois certain que ma propension à répondre le plus souvent possible (parce que le débat ne s’arrête pas au texte écrit, c’est là qu’il commence) a amplifié le phénomène. Certaines des phrases que je reproduis ici ont été écrites au cœur d’un pétage de plombs généralisé. Le mien, et celui d’environ 150 autres personnes. Mais pour avoir la paix, la solution consistait à effacer cet article originel et à publier à la place un second billet dans lequel je demandais pardon, à genoux jusqu’à Cannossa, pour l’affront fait à Pierre Kroll, à la liberté d’expression, à Charlie, à la caricature, au taille-crayon, à la tante de la cousine de la grand mère du cousin du gars à qui Kroll a serré la main un dimanche de 1997 et qui l’a trouvé sympa et qu’il sentait bon, pas comme son chat.
Les attaques sur Twitter (où le ton est plutôt rugueux) sont courantes. Mais la disproportion de celle-ci, la violence de la clameur, veut bien dire quelque chose. Le fait que dans tout ça, il n’a pratiquement jamais été question de l’article que j’avais publié, a un sens ! Les phénomènes ne naissent pas spontanément.
« Faut soigner ta parano, et apprendre la signification du mot ‘humour’ au lieu de pondre des tartines interminables que personne ne lit. » (journaliste)
La façon la plus efficace de ne pas débattre d’un sujet et de faire glisser le thème. L’observation de ce glissement est fascinant. Presque un cas d’école. Première étape : pratiquement aucun des « attaquants » n’a discuté des faits que je soulignais et que je critiquais dans mon article (je disais un sur vingt ou trente, tout au plus). La discussion s’est donc très rapidement orientée sur des raccourci : j’aurais appelé à censurer Kroll et je l’aurais traité d’antisémite. Certains passèrent d’emblée au second stade, en affirmant que critiquer une caricature prouvait que j’étais hostile à la liberté d’expression. Avec le désormais indispensable concurrent du Point Godwin, le Point Charlie.
Le point Charlie : moins un interlocuteur a d’arguments solides dans un débat portant sur la liberté d’expression, et plus ce débat avance, plus la probabilité qu’il ait recours à la référence #JeSuisCharlie est proche de 1.
La troisième étape fut l’attaque ad hominem : en tant que « blogueur influent » j’aurais lancé une « curée » (rien que ça) contre Kroll qui serait incapable de se défendre face à la puissance du blogueur (si, je vous jure ! ) Ou alors, j’aurais tenté de promouvoir mon blog en lançant une polémique pour « me faire mousser » ou « faire du clic » (Allô quoi, si je voulais ça, je parlerais de Nabilla !) Avec des effets curieux, sachant que Pierre Kroll est de loin le caricaturiste le plus connu en Belgique, une chroniqueuse bien connue m’a même accusé de : « taper et retaper sur un type isolé » !
« Faut consulter, Marcel »
J’ai été accusé d’avoir organisé une « curée » et même une « bastonnade » contre Kroll. Et cela, après un seul article et une seule mise à jour sur le sujet. Pour promouvoir cet article, j’ai publié en tout et pour tout trois statuts Facebook. Généralement, j’en publie nettement plus. Il faut dire que l’opposition que j’ai rencontrée m’a incité à mettre la pédale douce : je me suis autocensuré, j’ai arrêté net la promotion de l’article quand j’ai vu ce qui me fonçait dessus ou plutôt, je n’ai même plus eu le temps d’y penser, et encore moins, l’énergie.
Après, je me suis demandé si publier un second article n’était pas la pire bourde que je pouvais faire. Et puis, je me suis dit que là n’était pas la question. Il ne s’agit pas de moi. Il s’agit d’un principe. Si on fait tout pour détourner ton propos, tout pour te faire taire, tout pour cibler la personne plutôt que le sujet, c’est que le sujet dérange. Céder à l’intimidation montée sur les réseaux, mais aussi dans la vraie vie, serait céder à une forme particulièrement sophistiquée et perverse de censure.
« Je ne crie pas au harcèlement dès que l’on est pas d’accord avec moi »
Autre accusation ad hominem : le fait que je cherche à « faire du clic ». Oui, j’avoue : je cherche à être lu, quelle horreur ! Comme tout blogueur qui se respecte un minimum, j’organise ma promotion sur les réseaux. Quel tyran ! Quel égo insupportable ! Du reste, tout journal qui se respecte promeut ses articles régulièrement sur le réseau. On n’accuse pas les journaux de faire leur promotion. En revanche, qu’un blogueur cherche à ce que son billet, gratuit, qui ne rapporte rien, soit lu, c’est un scandale. Et même des journalistes le disent ! Et la meute, accourt. Mais c’était de l’humour !
« Vu que je m’attaque à un gros égo cumulatif, j’aimerais bien du renfort. » (journaliste)
La quatrième étape du bashing, c’est l’argumentum ad personam, probablement la plus destructrice pour la « victime » : je vous annonce donc que, contrairement à Pierre Kroll, qui est la modestie incarnée enrobée dans un matelas d’humilité (j’espère que tu sais en rire, Pierre), contrairement aussi aux égos sur pattes qui se défoulent sur Twitter faute de mieux et usent de leurs neurones les plus primitifs pour se faire remarquer le plus souvent possible (l’insulte et l’agressivité étant, de nos jours, la meilleure manière de le faire), j’ai un égo absolument surdimensionné. J’interdis toute critique (les commentateurs habitués de ce blog peuvent, ici, exploser de rire). Je ne tiens jamais compte des arguments des autres (c’est probablement pour ça que quand je me trompe dans un article sur Armand De Decker, je le réécris en faisant amende honorable). Bref, je suis « stalinien », je suis « partial », je n’admets pas qu’on me contredise, je n’ai pas d’humour ni d’ironie. Ah oui, j’oubliais : je monte de toutes pièces des polémique qui n’existent pas. L’ampleur des réactions prouvent le contraire, mais on n’est pas à une contradiction près quand le peuple voit rouge.
« On peut créer un groupe de soutien avec ceux qui osent affronter l’ego de monsieur Sel »
C’est là qu’on arrive au cinquième et dernier stade, l’argumentum ad Maggiedeblockum, autrement dit, l’attaque sur la santé (mentale ou non) : je suis paranoïaque, malade, je viens de faire un AVC, on doit me donner mes pilules, il faut que je me fasse soigner, et au final, on annonce carrément que je « serais à l’hôpital », ce qui a eu un effet ravageur sur certains de mes amis qui se sont empressés de me contacter. J’ai l’audace de considérer tout ça comme une curée, un tabassage, une bastonnade. À propos, encore merci à tous ceux qui m’ont soutenu, même discrètement. Ils m’ont réchauffé le cœur quand les croquantes et les croquants, tous les gens bien intentionnés, m’avaient crashé la porte au nez.
Je passe sur les insultes (tocard, touche-nouille, ultimate connard, sale con, gros naze, etc.) et sur la comparaison avec Hitler car oui, j’ai « achevé l’extermination nazie »…
« En fait, tu n’as aucun argument consistant à part une indignation » (un sociologue)
Mais qu’est-ce que j’ai dit de si horrible ? Que quand on regardait la caricature de Kroll, certains avaient l’impression de voir un dessin publié dans les années 30. C’est un fait : c’est une réflexion que plusieurs personnes m’ont faites. C’est le départ de mon article, et je ne l’ai pas écrit à la légère. Je me suis aussi demandé comment voir autrement ce dessin que comme un fait antisémite, parce que Kroll n’est pas antisémite. Je me suis enfin impliqué dans la réflexion, me disant que toute personne qui manie l’humour peut déraper un jour, et ne s’en apercevra probablement pas lui-même.
Réponse de Kroll sur Facebook à une dame qui lui demande gentiment comment elle doit « interpréter son dessin » :
« [Il faut interpréter mon dessin] comme une imprudence qui a donné d’immenses malentendus. » (Pierre Kroll)
Quand une lectrice doit demander au caricaturiste comment elle doit interpréter son dessin, c’est qu’il y a peut-être un problème de lecture. La réponse de Kroll donne l’impression qu’il est un accusé dans cette histoire. J’insiste encore sur le fait qu’il ne l’est pas. Il n’a fait que son métier, c’est son métier qui comporte des risques. Sa réponse sous-entend aussi qu’il hésiterait désormais à dessiner un Juif orthodoxe (« une imprudence »). Ce serait la réponse absurde à une question qui n’est pas celle-là ! Le Juif orthodoxe est rigolo. Rabbi Jacob est rigolo. Mais aussi libérateur, parce que c’est le portrait d’un raciste qui, au contact d’une communauté juive sympathique et chaleureuse, change du tout au tout.
C’est donc uniquement le contexte dans lequel le Juif orthodoxe est utilisé qui peut poser question. Ça ne fait pas de Kroll un antisémite, comme les ultra-israéliens ont l’audace de l’écrire. Ce serait plutôt le contraire. C’est sa candeur, le « problème ». C’est parce qu’il ne pense absolument pas « antisémite » qu’il est persuadé que son dessin n’est rien d’autre que drôle, et ne peut avoir aucun effet « xénophobe ». C’est aussi pour ça qu’il est en pétard dès qu’il a l’impression qu’on l’accuse d’antisémitisme, et je le comprends. J’ai écrit que Kroll a dérapé parce que ça faisait un titre court et frappant. J’aurais dû être plus doux. Moi aussi, je commets des erreurs d’appréciation. Parce que Kroll n’a pas dérapé au sens « tout à coup devenu raciste », comme trop de gens ont cru le comprendre, mais pour avoir diffusé (massivement) un dessin involontairement stigmatisant, alors qu’il me semble qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, combattre les clichés. Dans mon article, je posais aussi la question de la responsabilité du rédacteur en chef. Devait-il laisser passer ce dessin ?
Car celui-ci peut inviter la population à se conforter dans un préjugé raciste. Pire : des Juifs, blessés ou inquiets, n’osent même pas réagir, de peur qu’on les accuse d’être des emmerdeurs. Une minorité n’est jamais « emmerdeuse ». Elle est une minorité, donc fragile. Les appels qu’elle émet doivent être entendus, qu’il s’agisse des Juifs, des Arabes, des homos, des Roms, des Flamands de Bruxelles ou des Francophones de Flandre. Plus la majorité bien-pensante tente d’écraser le message, plus il est possible qu’elle se soit désintéressée des droits de cette minorité.
« Faut te calmer Marcel, ou te soigner » (journaliste)
Pour Kroll, dessiner un diamantaire en juif orthodoxe, c’est juste marrant. En général, je partage cette opinion. Pas ici. Parce que le dessin l’assimile à la fortune et à une profession décriée : le diamantaire. Un des internautes m’a, pour défendre Kroll, écrit ceci :
« Et quoi ? Les diamantaires juifs anversois ne sont pas pleins de pognon ? Et alors ? C’est grave d’être caricaturé en juif anversois plein de pognon quand on n’a pas un balle ? »
Pourquoi parle-t-il des diamantaires juifs ? Et les majoritaires, les Indiens, qu’en est-il ? Eh bien, c’est simple, dès lors que le caricaturiste a dessiné un diamantaire juif, pour le lecteur, le diamantaire est juif. De là à considérer que le juif est (souvent) diamantaire, il n’y a qu’un pas. Aujourd’hui encore, les gens sont tout étonnés quand on leur dit qu’il y a des Juif pauvres. Oui, à Anvers. Et sous le seuil de pauvreté, même ! Le dessin ne contredit pas ce genre de poncif, il le valide. Kroll n’a pas cherché à le faire, ce n’est pas son propos. Mais quand ce constat peut être établi, un artiste devrait, je pense, réfléchir. Si un dessin crée un « immense malentendu », c’est qu’il a été « mal conçu ». Pas l’inverse.
Un autre internaute m’a affirmé :
« Vous vous offusquez d’un petit dessin sans (sic) plutôt que de vous attarder sur le fond: le racket des diamantaires (juifs souvent…) qui imposent leur taux de remboursement à l’État (0,5%!!) »
« Vous vous laurentlouisez Marcel ? »
Selon ce commentateur, ce sont donc les diamantaires, souvent juifs, qui « imposent » (!) leur propre impôt à l’État. On trouve ici quelques-uns des poncifs utilisés par les antisémites du XIXe et XXe siècle : le racket, le pognon, et surtout cette puissance « occulte » qui permettrait prétendument aux Juifs « d’imposer » leur propre impôt à l’État ! Il ne manque que le lobby judéo-maçonnique, et on y est ! Quand Bart De Wever explique que beaucoup de criminels sont berbères, on est face à une logique similaire : de « beaucoup de criminels sont berbères », on passe facilement à « beaucoup de Berbères sont criminels » et puis à « les Berbères ont une tendance naturelle à être des criminels. » Pour finir par « il faut renvoyer les Berbères chez eux ». Indépendamment de la volonté de l’auteur, le dessin de Kroll autorise ce préjugé, il l’encourage et pire encore, il peut le susciter ! Et c’est justement parce que Kroll n’est pas antisémite que c’est troublant. Mais c’est aussi parce qu’il n’est pas soupçonné de l’être qu’il peut y faire quelque chose.
Mais affirmer cela semble être aujourd’hui un crime de lèse-krollitude. Comment oses-tu, petit Marcel ?
« … défenseurs de la démocratie à la mords-moi-le-noeud… »
Ben oui. J’ose. Je re-ose. Car le dessin représente toute la population belge en train de crever, écrasée par les impôts, face à au « Juif », diamantaire, heureux, vers lequel les regards haineux des « ratiboisés » se tournent. Ce n’est pas la seule lecture possible, mais c’est une lecture probable. Il faut en parler. Et le plus finement possible. Parce qu’il ne faut pas non plus que cette histoire entraîne un excès d’autocensure chez les caricaturistes. Il faut aussi en parler pour ne pas laisser l’exclusivité du débat aux extrémistes pro-israéliens pour qui on est soit philosémite, soit antisémite.
Il faut en parler, parce que cette identification remet au goût du jour une pratique qui a contribué à une tentative d’élimination de cette ethnie par le passé. Dessiner un balayeur noir avec un pagne et un os dans le nez, n’est-ce pas « rigolo » aussi aux yeux de certains ? Et pourquoi n’indique-t-on pas systématiquement l’ethnie du « mauvais » dans tous les dessins ? Pourquoi seulement quand il s’agit d’un juif ? Voilà ma position. Ni plus, ni moins.
« C’est qu’il doit avoir une tension un peu élevée monsieur Sel »
J’ai aussi été frappé par le nombre de gens — Juifs et non-juifs — qui m’ont dit discrètement que j’avais raison, mais qu’ils ne « pouvaient » pas le dire tout haut. Pourtant, un nombre croissant de gens assimilent les Juifs de Belgique à la politique meurtrière d’Israël. De plus en plus de Juifs quittent l’Europe qui les inquiète — tiens, on en parlait aujourd’hui encore à la RTBF. Trois Français élevés en Europe ont récemment tué des Juifs, notamment des enfants, parce que Juifs. L’un d’entre eux a pris une petite fille par les cheveux pour lui tirer une balle dans la tête. Des centaines de jeunes partent de chez nous pour rejoindre, en Syrie, un combat contre l’Occident, contre l’islam, mais aussi contre les Juifs, qu’ils décapiteraient volontiers. Des enfants doivent quitter une école autrefois renommée, parce qu’on n’y aime plus les Juifs. La question que je pose est donc : l’autocensure que tous les humoristes pratiquent au quotidien, doit tenir compte de ces faits bien connus, ou pas ?
« Il est vraiment trop con ce Marcel Sel…»
Pour avoir osé écrire ça, pour avoir subverti un artiste que j’aime beaucoup et dont le talent est incontestable, j’ai donc essuyé la pire attaque que j’aie jamais subie sur les réseaux (si l’on exclut deux menaces de mort). Bien pire qu’avec la N-VA. Bien pire qu’avec le Vlaams Belang. J’ai dû mettre mon compte Twitter en mode privé. Alors, d’après vous, qui a tout fait pour qu’un débat n’ait pas lieu ? Qui empêche les idées de circuler ? Au final, ce flot d’insultes et de reproches m’a tout de même amené à me demander si je ne ferais pas mieux de laisser tomber mon activité de blogueur. Elle m’oblige à être sur les réseaux. Je serais bien mieux ailleurs. Au final, elle me ramène de la reconnaissance, c’est vrai (et oui, j’ai un égo, et oui, ça me fait plaisir) ; et indirectement, environ 300 euros net par mois de travail rémunéré que je peux attribuer à mon travail de blog.
Mais elle me coûte nettement plus cher d’un autre côté, en manque à gagner, et m’amène à négliger les activités qui me font réellement vivre — je risque une faillite et laisser tout tomber serait le plus sage. Si en plus, ça me vaut pluies d’insultes et de grosses emmerdes — sans compter les rédactions qui ne répondent plus à mes mails depuis déjà un bon moment —, eh bien merde !
« Là on rentre dans le délire schizophrène ! »
Oui, merde à ceux qui, l’égo suspendu six mètres au-dessus de leur tête, propagent l’idée que le mien serait si grand que « Twitter n’existerait pas sans Marcel Sel ». Merde à ceux qui me reprochent mes clics et mon activité soi-disant « commerciale ». Merde à ceux qui décident des sujets que j’ai le droit d’aborder et de ceux que je dois taire. Merde à ceux qui agressent gratuitement et se plaignent ensuite de se prendre une réponse un peu sèche ou un blocage. Merde, au passage, aux enseignants qui participent à ce genre de curée, se laissent emporter par l’effet de groupe, ou influencer par des twitteurs toxiques dont la principale activité consiste à basher du Marcel Sel et à s’adresser aux gens qui me font travailler pour leur intimer l’ordre de ne plus m’inviter. Je n’ai pas assez d’importance et encore moins de revenus pour devoir supporter ça.
Merde à eux, et merci du fond du cœur — et je suis ému en l’écrivant — merci humblement à ceux qui me permettent de m’exprimer sur les ondes et sur papier, qui me font confiance, à ces grands professionnels que j’ai la chance de côtoyer chaque semaine, ou chaque jour, avec qui j’apprends. Ils se reconnaîtront, je n’ai pas de doute là-dessus.
« Faut bien trouver des sujets de polémique, sinon qui lirait les chroniques ? »
Est-ce que je vais continuer ce blog ? Je n’ai pas encore la réponse. En revanche, j’ai pris quelques leçons de réseautage. Je ne me laisserai plus surprendre.
Mais ce que j’ai « subi » (toutes proportions gardées, ce ne sont que trois jours de 36e dessous, de doute et de tristesse, un gros blues, et sans BB King en plus) n’est au fond pas le plus intéressant. Ce qui me semble intéressant, ce sont les questions que cela pose sur la liberté d’expression. Toute liberté pour les caricaturistes, mais attention, les blogueurs, faut pas parler de certains sujets ? On crie liberté sur tous les tons depuis le 11 janvier, mais non, Marcel, notre rédaction ne va pas aborder le problème posé par ce dessin — car oui, il y en a un ! Mais tu comprends, c’est pas le moment, il faut maintenir l’esprit Charlie coûte que coûte. Et puis Kroll est trop populaire. Et puis, un débat public, tu n’y penses pas !
Bref, la liberté d’expression est-elle réservée aux caricaturistes de masse et « limitée » pour ceux qui les critiquent alors que les humoristes ont eux-même un véritable pouvoir médiatique ? Ce pouvoir serait-il le seul à ne pas pouvoir être subverti ?
Et deuxième conclusion, peut-être encore plus importante, peut-on lutter contre une marée d’internautes qui cherchent à vous nuire psychologiquement ? Surtout si l’on n’est pas médiatique, si on ne fait que cultiver son jardin pépère ? Ou achever ses études ? Si on peut lutter contre, comment ? Faut-il, peut-être l’enseigner dare-dare à l’école ? Avons-nous envie que nos enfants arrivent dès l’adolescence dans des environnements d’une agressivité aussi extrême, où le chic est d’être plus méchant, plus vulgaire, plus agressif que l’autre, pour rire en groupe, le plus souvent possible, aux dépens de quelqu’un ? Même, parfois, parmi une élite qui, elle-même milite pour des cours de citoyenneté et de philosophie à l’école ? Triste constat, non ? Oui, et je vais vous avouer quelque chose : c’est surtout ça qui me rend le bashing pénible : découvrir que même les gens les plus éduqués peuvent n’avoir aucune espèce d’éducation.
* Les textes en exergue sont extraits de commentaires Facebook qui m’ont été adressés, soit sur ma page, soit ailleurs.
** Oui, cet article est trop long, mais on ne m’a pas laissé le temps de faire plus court.
0 Comments
tilto
mai 18, 16:40Salade
mai 18, 16:48Stéphane Vanden Eede
mai 18, 16:51André Bourlakoff
mai 18, 16:53francolatre
mai 18, 16:56Marcel Sel
mai 19, 00:45Salade
mai 18, 16:56MartineV
mai 18, 16:59Bauthière
mai 18, 17:01voir au bas
mai 18, 17:19Marcel Sel
mai 19, 00:47Shakuhachi
mai 19, 17:44antitoxic
mai 18, 17:20Salade
mai 18, 17:24belgo3
mai 18, 17:30Dan
mai 18, 18:08Marcel Sel
mai 19, 00:49montlucmichel
mai 18, 18:09Marcel Sel
mai 19, 00:50bourlet
mai 18, 18:10Marcel Sel
mai 19, 00:52Hansen
mai 18, 18:16hugues
mai 18, 18:29Marcel Sel
mai 18, 23:58Bernard Smeysters
mai 18, 18:51So_cat
mai 18, 19:09Etienne Mayeur
mai 18, 19:11Marcel Sel
mai 19, 00:01Vince
mai 19, 10:06Nyssen, Vivianne
mai 18, 19:36hans
mai 18, 19:46Marcel Sel
mai 19, 00:55Dandrifosse Chantal
mai 18, 19:56thomas
mai 18, 20:10Marcel Sel
mai 19, 01:03Lapiere
mai 20, 11:04Marcel Sel
mai 20, 13:40Pfff
mai 19, 12:31DDT
mai 18, 20:14Marcel Sel
mai 19, 01:05Jehan Delbruyere
mai 19, 09:39Marcel Sel
mai 20, 00:56Philippe Vander Linden
mai 18, 20:23Arnaud de la Croix
mai 18, 20:33thomas
mai 18, 20:37Sandra
mai 18, 20:42Marc Dubrowski
mai 18, 21:07Marcel Sel
mai 19, 01:07L'enfoiré
mai 18, 22:35Juliette
mai 18, 22:52Juliette
mai 18, 23:12Marcel Sel
mai 19, 01:08Catherine
mai 18, 23:32Vincent Rif
mai 18, 23:47moinsqueparfait'
mai 19, 13:12Vincent Rif
mai 20, 08:31Shakuhachi
mai 18, 23:55Marcel Sel
mai 19, 01:12u'tz
mai 19, 02:42Shakuhachi
mai 19, 17:33Marcel Sel
mai 20, 01:10Shakuhachi
mai 20, 17:27Pfff
mai 19, 12:17u'tz
mai 19, 00:17Tournaisien
mai 19, 09:19Thomas
mai 19, 09:28Marcel Sel
mai 20, 00:53vince01
mai 19, 09:47Marcel Sel
mai 20, 00:56Salade
mai 20, 10:53Marcel Sel
mai 20, 13:39Salade
mai 20, 13:57Marcel Sel
mai 20, 16:37Salade
mai 20, 14:00alain20cent
mai 19, 10:07Capucine
mai 19, 10:19oumoubarry1977
mai 19, 10:28cathlinevanrymenant
mai 19, 10:57Myriam Anna Verri
mai 19, 11:12Marcel Sel
mai 20, 01:00Willy
mai 20, 09:34Pfff
mai 19, 11:13Gérard
mai 19, 11:22Marcel Sel
mai 20, 01:02Salade
mai 20, 10:50Geoffrey
mai 19, 11:28Ergo Christine
mai 19, 11:35Salade
mai 19, 11:53Brian May
mai 19, 12:21moinsqueparfait'
mai 19, 12:53Pfff
mai 19, 13:56Lecomte Serge
mai 19, 14:15Marcel Chicon (@Marcel_Chicon)
mai 20, 00:40Marcel Sel
mai 20, 01:22Marcel Chicon (@Marcel_Chicon)
mai 20, 02:01Marcel Sel
mai 20, 13:34serge
mai 20, 09:36Wallons
mai 20, 10:40Salade
mai 20, 11:00Kallassya
mai 22, 08:29Lachmoneky
mai 23, 12:02Alex
mai 22, 09:58Marcel Sel
mai 22, 11:12Marcel Sel
mai 22, 11:13u'tz
mai 22, 16:50Franz
mai 22, 15:37François
mai 24, 02:58Rivière
mai 24, 12:18akun
mai 26, 00:14Marcel Sel
mai 26, 10:34