Houellebecq : la Soumission fait la farce.
L’annonce d’un nouvel opus de Michel Houellebecq est en soi un événement. De temps en temps, le plus grand romancier français du moment pense en plus à mettre un peu de soufre dans sa com. Pour Soumission, il fait fort : donner corps à ce fantasme — populiste par excellence — d’une France gouvernée par un parti musulman. Au moment où l’Organisation « État islamique » met la Syrie à feu et à sang, crucifie des chrétiens, décapite complaisamment des hommes et des femmes pour impressionner nos médias, c’est une provoc puissante : Houellebecq s’approprie ici un thème cher aux xénophobes les plus virulents, qui voient dans la seule présence musulmane en Europe la preuve d’un prochain « grand remplacement ». Qu’il écrive un excellent roman ou un pamphlet médiocre sur le sujet, il sait qu’il va attirer l’attention, et bien vendre.
Houellebecq s’approprie un thème cher aux xénophobes.
Il sait aussi qu’il clivera. Roman islamophobe pour les uns, excellente satire de notre société pour les autres, il semble impossible de ne pas se placer d’un côté ou de l’autre de la ligne de rupture que l’auteur a tendue, comme un piège, aux médias et aux chroniqueurs de tout poil. D’autant que, même s’il tirait à autant d’exemplaires que Zemmour, la com autour de l’œuvre fait de toute évidence plus de bruit que le contenu lui-même. C’est d’ailleurs le problème.
Pas besoin de lire pour être soumis.
Un livre d’un auteur aussi connu a deux vies. L’une est purement médiatique. La très grande majorité des citoyens qui ont entendu parler du livre « comprennent » qu’il évoque une France soumise à la charia, dans sept ans. Seuls les lecteurs de l’ouvrage auront une idée plus nuancée. Soit, au mieux, quelques centaines de milliers de personnes. D’où la question de la responsabilité de l’auteur : l’idée de promouvoir un livre qui part du principe que l’Islam puisse gouverner la France à plus ou moins courte échéance est islamophobe en elle-même, parce qu’elle ne correspond à rien d’autre qu’à un fantasme qui effraie : à Bruxelles, une ville qui compterait un quart de musulmans aujourd’hui, le seul parti islamiste, Islam, n’a recueilli, aux dernières élections, que 1,5 % des voix sur l’ensemble de l’électorat (francophone et néerlandophone). Soit un peu plus de 6.000 personnes. Or, dans Soumission, en 2022, la Belgique sera, comme la France, dirigée par les islamistes (modérés) ! Cela impliquerait tout de même que tous les musulmans belges votent pour eux, mais aussi que la bagatelle de 80 % des électeurs pro-islam soient… non-musulmans !
Chez Houellebecq, 80% des électeurs du parti islamique sont non-musulmans. Ça fait peur, en effet.
Houellebecq a beau se défendre en disant qu’il est très peu probable que ça arrive en 2022, il a néanmoins choisi cette date-là dans son livre. Cette potentialité à si brève échéance satisfaisait immanquablement les fantasmes de certains excités et adoube les peurs d’un petit tiers des citoyens. En soi, alimenter la peur de l’Islam ou des musulmans, c’est une forme d’Islamophobie. Michel Houellebecq a choisi ce thème, il en a choisi les articulations et non, la liberté de l’artiste ne l’exempte pas de responsabilité. Il est en effet libre de publier un brûlot, mais il est responsable de ses effets, particulièrement quand il choisit un angle aussi sulfureux.
Houellebecq soumis à censure ?
Mais choisir un thème cher aux islamophobes ne signifie pas que Houellebecq puisse être considéré comme islamophobe lui-même. Le traitement du concept explosif qu’il manipule est fondamental. Et à ce niveau-là, qu’en est-il ? À lire Soumission, on se dit d’abord que Houellebecq n’a pas cherché le climax. Nul suspense ni recherche de sens. Houellebecq cherche plutôt à procurer un passe-temps qu’il construit sur ses propres déviances et fantasmes. La soumission est ici aussi celle des lecteurs, et partant, des médias, priés de se soumettre, le temps d’un livre, à l’univers désenchanté et pessimiste, presque antibiotique de l’auteur. Il n’y a nulle catharsis dans Soumission. Seuls les pervers, les frustrés de la bite, les misogynes au cinquantième degré ou les cinq fanatiques de Joris-Karl Huysmans (Charles Marie Georges de ses vrais prénoms), épars sur la planète, trouveront de quoi libérer leurs affects. Les autres s’amuseront de temps en temps d’une bonne trouvaille ou d’une critique bien radicale des partis traditionnels, des médias ou du pauvre François Bayrou, crucifié dans le bouquin.
Houellebecq est un auteur antibiotique.
Chacun se fait son idée de la littérature. Il y a des auteurs qui écrivent pour faire avancer une idée, dénoncer une injustice, changer le monde, imposer une philosophie. Il y a ceux qui plongent plus légèrement leurs lecteurs dans une aventure sentimentale, policière, une épopée surréaliste ou extra-terrestre où la fin est incertaine tant qu’on n’en possède pas les clés. Soumission n’est d’aucune de ces catégories-là. Mais puisque not’ Michel ne cherchait pas une révélation à soumettre au lecteur, ni la mobilisation de ses émotions, il aurait pu être analytique, partir de l’idée d’une France islamisée — puisque l’idée est dans l’air, pourquoi ne pas l’explorer vraiment ? — et tenter de la décrire intelligemment. Oui, mais pour un tel exercice, il eût fallu s’en tenir à un minimum d’honnêteté intellectuelle, et par ailleurs, s’informer un chouïa. Ce que Houellebecq n’a visiblement pas eu envie de faire.
Un soumis qui n’est en fait qu’un ré.
Il faut dire qu’il a commis une erreur médiatique en déclarant que Soumission était « un roman » : ce n’est pas du tout un roman, mais bien une farce, au sens littéraire du terme. Ce livre est un exercice de dérision plutôt surréaliste, basé sur les fantasmes, souffrances, errements de l’auteur. Cet angle change complètement la donne. L’exercice en devient même plaisant par moments. Il le sera même tout le long pour ceux qui trouvent rigolo de considérer que le foyer est la vraie place de la femme, ou que peu importe le cul d’adolescente (quatorze ou quinze ans) qu’on reçoit de la marieuse, pourvu qu’on puisse le gamahucher et le pénétrer — l’auteur n’a même pas eu le courage de dire clairement « un trou, c’est un trou », ce qui aurait au moins eu le mérite d’être à la fois délicieusement graveleux et foncièrement honnête.
Si au moins, on était sûr que Houellebecq était au second degré quand il « joue » le professeur de littérature, François, quadra désabusé, déjà lassé par le sexe, sauf toutefois quand on lui lèche abondamment les couilles (ce qui peut l’amener à tomber éperdument amoureux de la bouche exécutrice et, éventuellement, à éprouver un certain manque quand l’être qui entour l’orifice bucal s’absente — un manque qui finit par ressembler à tout l’amour dont le héros semble capable de souffrir).
Le héros tombe amoureux d’une bouche. Au moins, ce n’est pas trop loin du cerveau qui va avec.
On l’aura compris, dès les premières pages, le personnage central du livre est conditionné pour glisser doucement vers l’idée que beaucoup de Français se font de la femme en Islam, confortés — il faut bien le reconnaître — par certaines pratiques de musulmans d’aujourd’hui, comme se promener la chemise ouverte sur un torse velu, accompagné d’une femme en niqab, tout en regardant les jambes des jeunes filles qui passent « aux » Champs Élysées. Le problème, c’est quand on généralise le préjugé, et c’est bien ce que Houellebecq sous-entend. Mais ne soyons pas bégueules, cette prédisposition du héros est à peu près la seule approche un tant soit peu scénaristique sur les 300 pages du bouquin (soit 299 pages plus une ligne.)
Pas de soumission aux faits !
Car pour le reste, tout dans Soumission est absurde. Les affrontements armés entre extrême droite et islamistes à Paris, passe encore. Mais un carnage entre identitaires et « maghrébins » à la lisière du Périgord, sur la station-service de Pech Montat (qu’il orthographie Pech-Montat…) au sud de Brives, c’est franchement kitsch. Ayant besoin d’essence, François-le-prof-spécialiste-ès-Huysmans quitte donc la station de Pech Montat, où la vendeuse a été assassinée, et plutôt que d’aller à Cressensac, où une pompe l’attend à 5 km de la sortie suivante (en 2022, on suppose que les automobiles seront équipées de GPS qui pourront vous dire où se trouve la station la plus proche), il en parcours plus du double parce que, pour les besoins de l’histoire, c’est à Martel qu’il doit être : ça lui permet de rappeler que le bourg tient son nom et son écusson de Charles Martel, qui a définitivement vaincu les Maures à quelques encablures de là, et non pas à Poitiers, comme on le croit naïvement chez les historiens : eh oui, la bataille fut plus longue et plus dure qu’on ne le dit, figurez-vous. L’Islam, c’est forcément plus menaçant qu’on ne le croit… Quoique. L’histoire de Martel serait, selon certains, une légende, le bourg étant né 400 ans après la bataille si mal renseignée dans les manuels d’histoire. Insidieusement, Houellebecq reprend là un thème cher aux identitaires, qui veut que Charles Martel aurait arrêté les musulmans qui, c’est évident, allaient envahir l’Europe. Sans se soucier une seconde de l’anachronisme d’une telle affirmation. Mais soyons justes, il ne le fait pas dire au héros, mais à Alain Tanner, un « espion ».
Un mauvais scénario de série B. Ou une épopée réduite aux à quais.
Un Tanner dont la rencontre vaut son pesant de cacahuètes : arrivé dans le village de Martel, à des centaines de kilomètres de Paris, François va boire un verre dans un café et devinez quoi ? il y tombe nez à nez avec Alain Tanner, le mari d’une de ses collègues (la première qui apparaît dans le roman) de la Sorbonne ! Et devinez quoi en plus ? le mec est un ancien de la DGSI, le type qui sait tout, et même le résultat des élections avant que celles-ci n’aient lieu ! François avait d’ailleurs déjà discuté de la situation politique et sécuritaire avec ne NostraTanner, à Paris. Mais voilà, ce dernier, agent de la DGSI, crucial pour la bonne compréhension du lecteur, a bien sûr une maison à Martel, et il s’y trouve au même moment que François qui descend la France à l’aveugle. Il faut dire que Tanner vient d’être viré car, bon sang, mais c’est bien sûr, son analyse était trop juste pour être supportable par sa hiérarchie ! Qu’est-ce que c’est con, les services secrets français, ma bonne dame !
Dans Soumission, le hasard fait donc terriblement bien les choses… Au cinéma, ce genre de ficelle passe toutefois pour une corde trop épaisse. Mais on sent l’héritage affirmé de Céline : dans Voyage au Bout de la Nuit, le héros retrouve aussi des gens dans les endroits les plus improbables, jusqu’à un relais au fin fond de la jungle. Sauf que voilà, le Voyage de Céline est un roman, de un, immense, de deux, avec un style totalement inédit à l’époque, de trois. Vous devinerez que je ne pense pas la même chose de Soumission. Sur aucun des trois plans.
Voyage au bout de la soumission
Cet héritage célinien expliquerait toutefois l’amoncellement d’invraisemblances auquel Soumission nous soumet. Houellebecq aurait donc voulu rédiger une sorte d’Odyssée sarcastique dans une France fantasmatique. Un voyage au bout de l’ennui (qui aurait été un bon titre, en fait). Car il y a trop d’imprécisions, d’incohérences pour penser que le romancier ait pu se rater à ce point. Ainsi, lorsqu’il rentre à Paris après quelque temps passé à Martel et à Rocamadour, le héros est bien marri de découvrir que, depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed Ben Abbès, toutes les femmes sont désormais en pantalon ! François constate, dépité, qu’il ne peut plus se rincer l’œil en devinant le pubis sous les jupes, en bout de course de longues jambes dénudées. Ah ! le malheureux ! En plus, les filles ont désormais pris l’habitude de mettre des sortes de chemises longues qui cachent même leurs fesses moulées par les jeans. Crévindieu que cet Islam est cruel ! Mais nulle part, il n’est question d’une telle obligation faite aux femmes par le pouvoir islamisé. On imagine que spontanément, ces connes qui n’ont même pas de zizi se soient décidées à devenir stupidement pudiques ! Comment voulez-vous juger de la marchandise promise dans un tel accoutrement ?
La France brusquement envahie de femmes arabes.
Plus comique (ou plus révélateur) : toutes les épouses des gens qu’il rencontre portent des noms arabes. À croire que la transformation politique de la France a brusquement envoyé les Simone, Marie, Jeannette ou Valentine dans un univers parallèle. Et bien sûr, les étudiantes, ce vivier où François avait l’habitude de pêcher ses plans cul, sont désormais toutes voilées, si pas en niqab. Du reste, dès les premières pages, on apprend que son cours sur Huysmans n’intéresse pratiquement que trois musulmanes voilées, ce qui compliquait déjà le renouvellement de ses amourettes. Par contre, en ville, le voile reste tout de même minoritaire, nous apprend François. Allez comprendre !
Même le musulman converti qui monte dans la hiérarchie boit de l’alcool à volonté. De l’alcool, oui, mais de figues !
À côté de cette révolution vestimentaire, peu d’autres choses ont franchement changé dans la France islamique : on y boit toujours du vin et on s’en met toujours plein la panse. Même Rediger, le musulman converti qui monte, qui monte, sert et boit de l’alcool de figues à volonté — on suppose que le Cognac, lui, est trop haram pour les musulmans de France. D’ailleurs, hormis le droit d’avoir jusqu’à quatre femmes — une polygamie qui enthousiasme notre héros (une plus vieille pour la popote, des gamines pour la petite culotte, la belle vie, quoi) — on n’a pas trop l’impression d’être plongé dans un univers invivable. Du moins, pour un mec. Ou du point de vue de François. Tout ça l’arrange finalement plutôt bien. On est bien payé, on mange pas mal, plus besoin de maîtresse, l’ordre règne, l’économie tourne bien, vive le salafisme !
Un sou mis est un sou bien mis.
Il n’aurait d’ailleurs qu’à se convertir à l’islam pour toucher un salaire mirobolant et avoir droit à quatre moukères, qui seront choisies pour lui par une marieuse qui ne manquera bien sûr pas de les foutre à poil pour voir si elles correspondent physiquement bien aux souhaits du professeur (le souhait de la biche n’ayant ici pas cours). On imagine qu’une paire de loches un peu trop petite ou trop grande disqualifiera les candidates les plus volontaires. Ou qu’un léger strabisme les amènera à l’école de cuisine où elles pourront s’entraîner à devenir la vieille épouse plutôt reléguée aux fourneaux, comme disait Landru. Ben oui, il faut de la meuf qui baise, mais aussi de la meuf qui cuisine.
Ah oui, j’oubliais, la Sorbonne impose aux professeurs d’être musulmans. On ne sait trop pourquoi, c’est comme ça.
Donc, pour les mecs, le régime islamisant est franchement sympa, vu de chez Houellebecq. Pour les femmes, on s’en fout un peu, hein. D’ailleurs, savent-elles lire, hein ? Franchement ?
Un sous-mislamophobe
Effectivement, comme il le dit dans ses interviews, Michel Houellebecq n’est donc pas islamophobe au sens strict. Son livre ne l’est pas non plus. Il est juste aussi misogyne qu’un Islam un chouïa radical. Il semble même applaudir l’arrivée de cette nouvelle pudibonderie qui remplace avantageusement le laisser-aller individualiste qui a fleuri depuis que le catholicisme n’impose plus la sienne, de pudibonderie, dans nos belles contrées. Ah oui ! J’oubliais ! Depuis que les gens ne croient plus, la société va à vau-l’eau. Donc, l’islam, nous dit Houellebecq, c’est franchement mieux que rien. À moins qu’il ne raille les Français qui, par sens pratique, se soumettent au régime un rien oppressif (mais franchement pas tant que ça) pour ne pas avoir de problème, un peu comme les BOF pendant la collaboration ?
Un héros aussi peu à la hauteur d’Huysmans que Houellebecq n’est à la hauteur de Céline.
Le choix de Karl-Joris Huysmans comme modèle — un quasi inconnu au bataillon même de bons (anciens) élèves de la Sorbonne (si, si, j’ai demandé) — comme dada du héros de Soumission n’est pas un hasard. François est fasciné par la décision d’Huysmans, athée, de se convertir au catholicisme. Il suit lui-même un chemin assez similaire, sauf que le héros de Houellebecq ne semble pas franchement sincère. Il fait des choix pratiques qui ne dérangent pas trop ses habitudes. C’est là que Soumission, la farce, dévoile une petite charge symbolique : François finit par en avoir fini avec Huysmans au moment où il s’apprête à se convertir lui-même à l’islam, mais sans le mysticisme qui a habité son « modèle » qui visiblement l’encombre désormais — non, je ne spoile pas, la fin est à ce point téléphonée qu’on la pressent dès le second chapitre, et d’ailleurs, la quantité de suspense dans ce livre tient sur un confetti.
Lecteur, soumets-toi. Lectrice, plus encore !
Alors, que reste-t-il pour le lecteur ? Eh bien, il sourira de temps en temps à ses facéties politiques. Sur Marine Le Pen qui fait tout pour ressembler à Angela Merkel ; sur la mollesse de la gauche mais aussi de la droite (il a dû rater un épisode) ; sur le sex-appeal de Jean-François Copé, qui nous vaut une remarque vraiment hilarante, ou sur les deux quinquennats épouvantablement mous de François Hollande (au point qu’on se demande comment il y a pu en avoir deux). Bref, quelques touches satiriques bien senties mais pas toujours bien informées. Car dans son délire, Houellebecq voit le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et même la Syrie adhérer à l’Union européenne en moins de temps qu’il n’en faut pour lire les conditions d’entrée (sans parler du parcours d’adhésion). Et si ça cadre encore assez justement dans une farce, on se demande s’il s’est renseigné sur les langues de travail de l’Union européenne, quand le secrétaire d’État Rediger explique au héros que, grâce à l’entrée de tous ces pays francophones de Méditerranée, une directive européenne pourrait bientôt imposer le français comme nouvelle langue de travail de l’UE, à côté de l’anglais. Pour info, le français et l’allemand sont déjà deux des trois langues de travail de l’Union…
Du style ? Quel style ? Juste des houellebecqueries très épisodiques.
Un peu comme François ne parvient pas à s’approprier le mysticisme sincère d’Huysmans (il tient à peine une soirée dans le monastère où son « modèle » a vécu des années), Houellebecq ne parvient pas à s’approprier un talent stylistique digne de son modèle à lui, le docteur Destouches. Du style ? Quel style ? Il y a bien quelques Houellebecqueries très épisodiques (un recours à l’anticyclone des Açores pour dire qu’il y a du soleil ; quelques achats inutilement détaillés…), mais d’invention littéraire, rien. Que dalle. Nihil. Les discussions politiques ressemblent plus à des thèses écrites — un peu fumeuses d’ailleurs — qu’à du langage parlé. Des dialogues sont parfois lourdingues, plus crédibles chez OSS 117 que chez le plus grand romancier français du moment… comme quand il discute avec madame Tanner qui lui apprend que son mari est à la DGSI :
«— C’est un service secret ? Un peu comme la DST ?
— La DST n’existe plus. Elle a fusionné avec les Renseignements généraux pour former la DCRI, qui est ensuite devenue la DGSI.
— Ton mari est une sorte d’espion ?
— Pas vraiment, les espions, c’est plutôt la DGSE, et ils dépendent du ministère de la Défense. La DGSI fait partie du ministère de l’Intérieur. »
Bigre !
Sous-mission.
Si Soumission manque de style, il ne manque pas de grivoiserie. L’auteur gâte ceux qui n’ont pas Youporn par des enculages sans joie, des triolismes chers payés, et le souvenir de la compagne idéale qui, hélas, a dû partir pour Israël juste avant les élections (non pas par peur de l’islamique Ben Abbès, mais bien terrorisée par la possible victoire de Marine Le Pen ; quand je vous dis que Houellebecq n’est pas islamophobe…) Cette brave Myriam, mignonne, qui faisait de si bonnes pipes et savait contracter la chatte à volonté, chose qu’elle faisait en variant les vitesses et les moments. En somme, la vingtenaire parfaitement expérimentée qui aurait fait une parfaite épouse de polygame si au moins elle n’avait pas, en plus, des idées.
Sinon, toutes les autres intellectuelles du bouquin, passez votre chemin, elles sont franchement laides.
Ça se laisse lire. Ce qui pourrait être la pire chose qui puisse arriver au plus grand auteur français du moment.
Bon, allez, soyons gentils. Il y a bien un peu de style, par ci, par là. Ça se laisse lire, mais ça n’impressionne pas franchement. Les interventions sur Huysmans sont mal équilibrées et alourdissent l’histoire. On aurait largement pu les réduire de moitié. D’autant qu’on a parfois l’impression qu’il a choisi cet écrivain-là parce que personne d’autre n’y aurait pensé et que ça donnait quelques lettres de noblesse littéraires à un texte raté d’avance. La caution intellectuelle, quand on est à ce niveau, c’est important, m’sieur. Dans la troisième partie, Houellebecq semble même réaliser qu’il emmerde le lecteur avec son romancier du XIXe dont le plus grand mérite aura probablement été de promouvoir les impressionnistes, et il abrège. À raison.
Le meilleur côté du livre, celui qui pourra séduire les lectrices qui n’en ont pas encore ras le bol de la goujaterie de l’auteur, c’est sa drôlerie épisodique. On rit au détour d’une page. Ou plutôt, on ricane, surtout. Le coup du micro-ondes m’a même arraché un éclat de rire (mais c’est sa phrase sur Coppé qui m’a le plus fait marrer). Et je ne vous en dis pas plus parce que vu le manque de suspense, au moins, les gags rendent ce Houellebecq pas si chiant que ça. Enfin, pour ceux qui n’ont pas Youporn, du moins.
À farce de soumettre…
Soumission est donc juste une farce moyennement bien construite ; une épopée fantasque sans souffle et sans fantasmagorie ; l’errance d’un misogyne désabusé (mais on n’avait pas besoin d’Huysmans et de l’Islam pour ça) ; une satire politique dénuée de toute finesse et de toute nuance, les deux choses qui rendent justement la critique politique intéressante. Tout ceci serait encore dégustable comme un caprice des Dieux dévoré seul et sans la plage ni cocotiers, si l’auteur s’était informé un tout petit peu plutôt que d’énoncer des poncifs convenus. Soumission est aussi un amas d’incohérences et de hasards préfabriqués sans pour autant qu’il y ait un univers vraiment fantasque ; bref, cet opus est beaucoup de choses, sauf un bon roman. Ce n’est même pas un livre honteusement entaché d’islamophobie. Il y en a bien un peu, mais si commune qu’elle ne vaut même pas la peine d’être relevée. Au final, on referme Soumission sans même avoir de quoi détester Houellebecq — un échec cuisant dans son cas —, ni de quoi l’aduler non plus, juste de quoi se dire qu’on ne voudrait pas avoir sa vision du monde. Une croix pareille, ça ne doit pas être facile à porter tous les jours.
Mais au fond, je suis de mauvaise foi. Insoumis en tout, je n’allais de toutes façons pas me soumettre à cette Soumission-là !
Editor review
2.5
Fair
59 Comments
Pfff
février 09, 17:59Pfff
février 09, 18:33Marcel Sel
février 09, 20:57Guy Leboutte
février 09, 21:23uit 't zuiltje
février 10, 02:49Pfff
février 10, 12:32Pfff
février 10, 14:05Pfff
février 10, 14:15Pfff
février 10, 14:20Pfff
février 10, 21:53uit 't zuiltje
février 17, 23:34Pfff
février 09, 18:59Pfff
février 10, 12:40Pfff
février 10, 12:42uit 't zuiltje
février 22, 20:45Vincent Rif
février 09, 22:27uit 't zuiltje
février 10, 01:50Pfff
février 13, 22:30Tournaisien
février 23, 09:27thomas
février 10, 02:06thomas
février 13, 09:57Marcel Sel
février 13, 14:30uit 't zuiltje
février 13, 23:05thomas
février 17, 17:14uit 't zuiltje
février 18, 00:43uit 't zuiltje
février 10, 02:24uit 't zuiltje
février 10, 22:11Roger, un blanc sec
février 10, 09:37hilarionlefuneste
février 10, 09:38Pfff
février 13, 23:16alex
février 10, 10:46Pfff
février 20, 11:15Rita Bigoudi
février 10, 11:03alex
février 10, 11:15Jester
février 10, 11:42Pfff
février 10, 15:43uit't zuiltje
février 11, 17:38Pfff
février 10, 16:44uit 't zuiltje
février 13, 23:15Tournaisien
février 10, 18:14Marcel Sel
février 10, 23:20Tournaisien
février 12, 00:14Marcel Sel
février 12, 22:20atanahan
février 13, 22:03Tournaisien
février 15, 23:02Pfff
février 11, 14:35uit't zuiltje
février 11, 17:22Capucine
février 10, 20:58alex
février 12, 11:49xavier
février 11, 12:41Pfff
février 13, 22:53uit 't zuiltje
février 16, 02:40Jester
février 18, 11:24thomas
février 19, 14:19uit 't zuiltje
février 19, 23:24alex
février 23, 12:53mélanippe
mars 03, 10:54Damien Kowalski
septembre 11, 06:28marcel
septembre 13, 21:10