Rudi Vervoort : à mesure scandaleuse, réponse calamiteuse.
Le ministre-président de la Région Bruxelles-Capitale, Rudi Vervoort, a été assailli de critiques virulentes aujourd’hui, suite à des déclarations inacceptables sur la déchéance de nationalité. En comparant celle prévue par le gouvernement pour des personnes mêlées au terrorisme qui disposent d’une double nationalité à la déchéance qu’ont subie les Juifs avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, le ministre-président bruxellois a utilisé une arme ignominieuse. Parce que les Juifs qui ont été déchus de leur nationalité en France ou en Allemagne ne l’ont pas été pour avoir commis un crime, mais uniquement parce qu’ils étaient juifs.
En France, en 1940, une commission revoit un demi-million de naturalisations récentes (moins de 12 ans). Quinze mille naturalisations sont annulées et six mille Juifs environ se voient retirer leur nationalité française. Vichy ayant d’abord déporté les Juifs étrangers, cette déchéance a évidemment coûté la vie à un certain nombre d’entre eux, sans qu’ils aient pour autant commis le moindre délit. Selon Gilbert Krebs, dans État et Société en Allemagne sous le IIIe Reich, les premières lois allemandes prévoyant la déchéance de nationalité apparaissent en 1933.
Les Juifs envoyés dans les camps d’extermination hors du Reich étaient considérés comme non-résidents et privés de leur nationalité.
Celle du 14 juillet de cette année prévoit la déchéance pour les Allemands qui se trouvent à l’étranger et nuisent au Reich. Il suffit par exemple de publier des écrits hostiles au nazisme. Elle s’accompagne d’une saisie des biens du ou de la « coupable ». En 1937, Himmler accélère les déchéances politiques et « rend aussi possible la déchéance des Juifs établis hors d’Allemagne lorsqu’ils se sont rendus coupables de délits contre la pureté du sang ». Enfin, en 1941, une ordonnance « prive de la nationalité allemande tout Juif qui réside à l’étranger ». La saisie de tous les biens est également prévue. Sont notamment concernés tous les Juifs déportés dans des camps d’extermination situés à l’extérieur du Reich. Selon Krebs, « ces mesures ont en fait pour but de préparer la solution finale et de dépouiller les Juifs de tous leurs biens. »
La différence fondamentale entre les plans du gouvernement belge et les déchéances prononcées par les nazis, c’est que dès le début, ces dernières n’ont pas eu trait à un délit ou à un crime au sens d’un État de droit, mais à des délits d’opinion ou simplement à la prétendue race des déchus. Or, les mesures annoncées par Charles Michel ne concernent que des personnes qui auraient commis des actes terroristes ou auraient été mêlées à de tels actes.
Les déchéances de nationalité nazies ont d’abord concerné les « délits » politiques.
Que dit Rudy Vervoort dans L’Écho ? « La déchéance de nationalité, cela a toujours été une arme utilisée par les régimes extrêmes. Quand on voit Auschwitz, quand on voit que dans l’Allemagne hitlérienne, les premières lois qui ont été votées, ce sont les déchéances de nationalité pour les Juifs. » Non sans préciser (encore heureux) que « le contexte est différent ». Néanmoins, Auschwitz et l’Allemagne hitlérienne sont des mots de trop, d’autant que si l’on en croit Gilbert Krebs, ce n’est même pas conforme à la réalité : les déchéances de nationalité suite à la loi de 1933 concernaient au premier chef les opposants politiques.
Il ajoute que « La déchéance de nationalité, c’est une recette qui a été utilisée par les Allemands pour considérer que les Juifs n’étaient pas des citoyens à part entière. Le régime de Vichy a fait la même chose : les lois d’exception de Vichy, c’était aussi la déchéance de nationalité des Juifs français à qui on retirait tous leurs biens. La déchéance de nationalité, ça a une histoire ».
Une fois encore, ce n’est pas aussi simpliste : la déchéance des Juifs français a été limitée à ceux qui avaient acquis la nationalité récemment. La loi de 1943 préserve même les droits des Juifs de deuxième génération. Notons enfin que des malgré-nous français ont aussi été déchus de leur nationalité pour avoir combattu dans les rangs allemands. Cette déchéance n’était pas le fait d’un État totalitaire, mais de la République française. Prétendre, comme le fait Rudi Vervoort, que seuls les États totalitaires ont recours à la déchéance citoyenne, est donc aussi abusif. C’est de la propagande totalement déplacée.
Selon la définition de Rudi Vervoort, la République française de l’entre deux-guerres était un État totalitaire… Hem, hem.
Car dans le cas qui nous occupe, il n’est absolument pas question de déchoir de leur nationalité des gens en raison d’une prétendue appartenance raciale (ou religieuse, ou autre). Ce qui ne signifie pas qu’elle ne pose pas problème. Le projet gouvernemental évoqué par Vervoort a un autre effet, inadmissible dans un État de droit, celui de créer une inégalité entre citoyens nés belges. Dès lors que le droit international interdit de créer des apatrides, le retrait de la nationalité ne peut concerner qu’une personne ayant une double nationalité.
C’est le cas notamment pour les Marocains qui ne peuvent pas perdre la leur. Mais aussi pour des enfants belgo-français, par exemple. Jusqu’ici, il est pratiquement impossible de perdre sa nationalité plus de 10 ans après l’avoir acquise (sauf dans le cas où elle aurait été acquise frauduleusement). Lorsque la personne déchue n’a pas de seconde nationalité, le tribunal lui laisse même en principe un délai raisonnable pour en acquérir une ou réacquérir sa nationalité précédente. Pour une personne née belge, la question ne se pose pas : il n’y a pratiquement pas de cas où elle peut perdre sa nationalité, sauf si ses parents la perdent avant sa majorité (je n’aborde pas les cas en détail, les principes généraux suffisent ici).
Contrairement à ce que le MR (et La Libre) affirment pour défendre ses nouvelles mesures, la déchéance de nationalité en France n’est possible que dans des conditions similaires à celles en vigueur en Belgique : jusqu’à 10 ans après l’avoir acquise. Point. Apparemment, le MR n’a pas pu s’empêcher de tirer à son tour profit des insanités lancées par Vervoort.
Contrairement à ce qu’affirme le MR, la déchéance de nationalité n’est pas plus souple en France.
Si les déclarations de ce dernier sont ignobles (eu égard au fait qu’il abuse de la Shoah au moment de la célébration encore terriblement douloureuse pour les rescapés des 70 ans de la libération d’Auschwitz-Birkenau, qu’il cite !), elles sont surtout à côté de la plaque, et totalement contreproductives. Nous avons un gouvernement qui annonce prendre des mesures qui ne servent à rien d’autre qu’à rassurer les gens et à renforcer sa popularité, profitant d’actes barbares pour ancrer sa légitimité. Douze mesures, comme les douze travaux d’Hercule. Avec notamment l’intervention de l’armée qui, si elle est totalement justifiée dans certains cas, répond aussi à un souhait, notamment de la N-VA, de mettre du kaki dans la rue.
Or, si l’armée peut impressionner et détourner les terroristes éventuels d’une cible donnée (l’existence du plan Vigipirate en France et les patrouilles militaires n’ont pas empêché les massacres de janvier), la déchéance de la nationalité, elle n’a aucun effet. Beaucoup d’ultrajihadistes brûlent leurs papiers d’identité lorsqu’ils arrivent en Syrie. Ceux qui reviennent n’ont pas forcément la double nationalité, et s’ils n’en ont qu’une, on ne peut la leur retirer (sauf à vouloir peupler les couloirs de la Cour européenne des Droits de l’Homme d’avocats de l’État belge).
La déchéance de Belges nés belges revient à réinstaurer la peine d’exil ou bannissement.
À ma connaissance, le retrait de la nationalité belge a un seul avantage : permettre d’extrader ou d’expulser ceux qui en sont déchus. Mais au cas où ils auraient eu l’intention de commettre des actes terroristes sur notre territoire, à quoi servirait de pouvoir les extrader ? C’est ici qu’il faut les juger, c’est ici qu’ils peuvent aider (volontairement ou non) au démantèlement des réseaux. Quant à expulser, par exemple au Maroc, des Belges de deuxième ou troisième génération, c’est carrément la transformation de la nationalité belge en torchon.
La non-discrimination des citoyens vaut aussi pour les criminels. Hélas, me direz-vous. Oui, hélas, peut-être, mais c’est l’un de nos droits fondamentaux, celui à une justice commune à l’ensemble des citoyens. Profiter du fait que des natoinaux descendent de personnes qui n’ont pas pu ou voulu perdre une deuxième nationalité pour en différencier le jugement ou les peines (par exemple par une expulsion qui revient à un exil, peine invraisemblable dans l’Europe d’aujourd’hui) revient en fait à fouler aux pieds les principes même de l’Europe politique, ceux que l’on prétend défendre en combattant les barbaries et les antidémocrates. Un libéral qui se résoudrait à voter de telles discriminations renierait le fondement de son engagement.
Comment détricoter les principes démocrates sous couvert de guerre terroriste.
Il n’y a en effet pas de limites à la dérive qui consisterait à sciemment différencier le droit pour les descendants d’immigrés. Ou à expulser des gens vers des pays qu’ils ne connaissent pas. Qu’ils croupissent dans nos prisons, plutôt. Après tout, c’est aussi pour les construire que leurs parents ont payé des impôts. Sinon, petit à petit, on est en train de réexpliquer aux Belges que certains Belges sont plus belges que d’autres. Et ça, c’est le début de la fin de notre civilisation des lumières. Et peut-être, si tout va mal, si demain un leader extrémiste charismatique devait se présenter, si la crise devait désespérer les électeurs, le prélude à une dictature qui ne viendrait certes pas du MR, mais que les partis traditionnels auront, souvent inconsciemment aidé à préparer. À ce titre, la nature de plus en plus conflictuelle des débats publics, qui se transmet dans les débats privés, est aussi un redoutable ingrédient. Et là, peu de partis sont innocents.
En revanche, bien évidemment, la sécurité doit être assurée. La justice doit fonctionner et sévir. Mais surtout — et c’est absent à la fois du programme du gouvernement et des mesures de prévention —, il faut d’urgence reconstruire le tissu sociétal. Ça passe par la prévention de l’antisémitisme (les Juifs étant les premières victimes des discriminations et agressions xénophobes ou politiques — « l’antisionisme » en Belgique), ça passe aussi par la prise de conscience des dégâts causés par le racisme ambiant, la xénophobie et l’islamophobie. Sans concession pour les salafistes radicaux et autres prêcheurs de haine. Mais cela ne justifie pas une seconde d’abattre d’un projet de loi, le principe fondamental de non-discrimination.
L’insulte publique faite par Rudi Vervoort, qui doit faire des excuses tout aussi publiques, est grave. Mais le détricotage de nos principes fondamentaux est une faute tout aussi scandaleuse. Les mots de Vervoort seront toutefois oubliés demain. Les coups de canifs dans le contrat social et juridique, eux, produiront leurs effets pendant plusieurs années. Et ouvrent la porte à une dérive qui, si elle a peu de chances de mener à un État totalitaire, risque bien de réduire notre démocratie déjà forcément imparfaite à un ersatz d’État de droit.
Rudi Vervoort a abusé. Mais il a surtout compromis la défense de ses principes.
Contre un projet nocif pour notre conception occidentale de la société, Rudi Vervoort a abusé verbalement du pire crime jamais commis sur la planète. Une faute qui, de surcroît, nuit à la cause qu’il défendait. L’époque est propice, l’insulte est facile, en politique, aujourd’hui, elle côtoie l’approximation et un certain journalisme qui se contente de répéter les déclarations politiques, souvent tronquées, partisanes et propagandistes.
Mais une chose devrait unir tous les partis démocrates : contre la barbarie, on brandit la civilisation. Ce n’est donc vraiment pas le moment de la déconstruire !
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Hansen
janvier 29, 02:09uit 't zuiltje
janvier 29, 02:11uit 't zuiltje
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janvier 30, 17:24Tournaisien
janvier 29, 10:13uit 't zuiltje
janvier 29, 22:23Tournaisien
janvier 29, 23:22uit 't zuiltje
janvier 29, 23:57Tournaisien
janvier 30, 09:21uit 't zuiltje
février 03, 00:09uit 't zuiltje
février 03, 21:26uit 't zuiltje
février 05, 23:38uit 't zuiltje
février 02, 01:16Shanan Khairi
janvier 29, 15:41Capucine
janvier 29, 20:51uit 't zuiltje
janvier 30, 17:30Pfff
février 04, 14:35SIMON Jean
janvier 30, 13:24schoonaarde
janvier 30, 23:54schoonaarde
février 01, 11:54uit 't zuiltje
février 03, 00:25schoonaarde
février 04, 20:25Salade
janvier 31, 22:43wallimero
février 02, 15:12Marcel Sel
février 02, 15:42wallimero
février 02, 16:44Marcel Sel
février 04, 17:44uit 't zuiltje
février 03, 00:29Hansen
février 08, 12:24