N-VA : la nouvelle (extrême-) droite tombe le masque.
Ce week-end, Bart De Wever était de retour de Chine et fut confronté à des questions extrêmement gênantes et à une réactivité terriblement incisive des journalistes de la VRT et de VTM. Il en tremblait. C’était la toute première fois qu’il était réellement mis sur la sellette pour sa tolérance à des déclarations sulfureuses de ses ministres et mandataires !
Bon, je rembobine. Ça, c’est en rêve. Dans la réalité, on lui a gentiment posé les questions qui ont fâché « les Francophones » (le SP.a et Groen étant désormais « francophones », bien sûr…) la semaine passée. Le tout, sur un ton posé, qui sied au spectateur du dimanche, sans trop interrompre le Président et sans aborder les sujets qui fâchent. À l’arrivée, le mal, le diable, la sorcière, la harpie, l’hystérique, c’est donc bien Laurette Onkelinx. Le bien, c’est Bart De Wever. Pourtant, il ne s’est pas contenté de soutenir ses ministres, il s’est aussi permis de renchérir suffisamment subtilement pour que le téléspectateur flamand moyen se dise que, décidément, ces Francophones sont infréquentables. Revue de détail.
De Wever trouve aussi que les Marocains, Congolais, Algériens…
Dans le journal de VTM, Bart De Wever a commencé par nier que Francken ait mis en doute sur Facebook « la valeur ajoutée » des Algériens, Congolais et Marocains, quand le journaliste de VTM Dany Verstraeten lui a cité la phrase.
Pour rappel, le texte intégral du statut Facebook incriminé de Theo Francken était : « Excellent article sur l’immigration de The Economist avec un constat interpellant : ‘beaucoup de pays occidentaux ferment leurs frontières à l’immigration sous pression de la crise, mais ils feraient mieux de les laisser ouvertes vu la valeur ajoutée de l’immigration’ avec des tas de références à la gestion de l’immigration aux États-Unis. Tout à fait d’accord, mais puis-je de manière interpellante affirmer que je conçois bien qu’il y ait une plus-value économique des diasporas juive, chinoise ou indienne, mais moins des Marocains, Congolais et Algérienns. Ou est-ce trop sulfureux ? »
Quand Dany Vertstraeten pose la question à Bart De Wever, il répond sans sourciller : « [La mise en doute de la valeur ajoutée des Marocains, Congolais et Algériens] ne s’y trouve pas (sic). Ce qui s’y trouve, c’est une comparaison du modèle américain, un modèle d’immigration active, avec le modèle européen (sic) […] » C’est exactement l’inverse : la mise en doute de la plus-value des Marocains, Congolais et Algériens s’y trouve bien. Ce qui ne s’y trouve pas, c’est une comparaison des modèles US et UE : il n’y a qu’une allusion au fait que le premier est souvent évoqué dans l’article.
Dany Verstraeten, qui a le texte de Theo Francken sous les yeux, n’interrompt pourtant pas Bart De Wever, ne le reprend pas, ne conteste pas ! Cette complaisance va permettre au président de la N-VA de dire exactement la même chose que Theo Francken, mais plus subtilement. Tout en niant le contenu de la déclaration écrite de son secrétaire d’État, il va se permettre de capitaliser placidement sur la xénophobie de son ministre de l’Asile et des Migrations pour confirmer son message :
Bart De Wever : « En Europe, […] nous avons continué à organiser l’immigration de masse — via la constitution familiale, le regroupement familial et l’asile — de gens qui ne viennent pas au premier chef pour travailler. Moins de la moitié des immigrants dans notre pays vient pour faire un boulot. […] »
Dans cet extrait, l’air de rien, le président de la N-VA remet en cause le droit d’asile : il n’y a pas de rapport entre le droit à l’asile politique et le marché du travail. Mais en sus, il soutient que l’intention de la plupart des immigrés venant en Belgique n’est pas de travailler ! Quelque part, il a raison : certains sont venus pour se battre et mourir sur nos champs de bataille. N’empêche, c’est un des arguments de l’extrême droite qu’il vient de jeter dans le pot commun. Comme si cela ne suffisait pas, il reprend ensuite avec finesse les propos que, selon lui, Theo Francken n’aurait pas tenus sur Facebook, pour s’en prendre, à son tour, aux mêmes cibles que son sbire :
Bart De Wever : « Et si on se met à regarder qui sont ces groupes qui sont venus massivement, alors, ce sont ces groupes. »
« Selon notre définition du racisme, nous ne sommes pas racistes. »
De quels « groupes » parle De Wever ? Les seuls « groupes » évoqués précédemment dans l’interview sont bien « les Marocains, les Congolais et les Algériens ». Donc, non seulement, Theo Francken n’est pas désavoué par son président de parti, mais celui-ci enchaîne, confirme et en rajoute ! Pour que le public soit définitivement mithridatisé, il y donne ensuite « sa » définition du racisme avant de conclure : « Nous sommes tout sauf un parti raciste ». C’est évidemment plus simple d’être juge et partie.
Bart De Wever : « Ce qui serait raciste, ce serait de dire ‘ces gens [Marocains, Algériens, Congolais] ne savent rien faire, ils n’ont pas de talent, on ne peut rien en faire’. Non, le constat est : on n’en a rien tiré. On n’a pas assez réussi. Et que d’autres groupes de migrations dans d’autres pays d’immigration aient mieux réussi dans ce domaine, c’est une vérité incontestable. »
Il a encore « raison » : affirmer que la majorité de ces immigrés ne vient pas pour travailler, ce n’est pas dire qu’ils ne savent rien faire ! Non, c’est bien pire : c’est dire qu’ils ne veulent rien faire !
De Wever, c’est Francken en plus gros et plus subtil à la fois.
En fait, De Wever va plus loin que Theo Francken, mais de manière plus subtile. Il profite de la polémique créée par le secrétaire d’État pour, à son tour, viser les mêmes trois groupes particuliers d’immigration massive (sachant qu’il y a en fait très peu « d’Algériens » en Belgique). Il évolue comme un serpent (Kaa ?) : il ne les nomme à aucun moment, mais utilise le contexte donné par l’interview pour les cibler. Les électeurs xénophobes, eux, ont très bien compris de qui il parlait. Les autres n’y ont vu que du feu. Dany Verstraeten aussi.
Mais il s’agit bien de xénophobie. Car même s’il fait mine de critiquer la Belgique, mais aussi la N-VA (il dit « nous »), en reconnaissant-il qu’on n’a pas « réussi » à valoriser « ces groupes », il dit bien ensuite que « d’autres groupes […] ont mieux réussi ». L’échec est donc implicitement partagé entre « nous » et les Marocains, Congolais et Algériens. Si d’autres ont mieux réussi, c’est qu’il y avait moyen de réussir sans « nous », et c’est bien les trois « nationalités » qu’il évoque, qui ont foiré. Et ça, c’est bien du racisme : il a amalgamé l’ensemble des immigrés ou descendants d’immigrés de certaines nationalités pour ensuite leur attribuer un caractère moins performant et une absence de volonté de travailler.
Cet amalgame revient à stigmatiser tous les membres de ces diasporas, sans distinction. Or, s’il y a bien sûr des « Belges d’origine marocaine » qui ne foutent rien, il y a aussi des « Belges d’origine belge » (ce sont les termes de l’accord gouvernemental — on a évité « Belges de souche » d’un cheveu) qui n’en glandent pas une. Et dans les deux catégories, une majorité travaille ou veut travailler. Les discriminations à l’emploi des « descendants d’immigrés » ont été largement démontrées, mais Bart De Wever ne les évoque à aucun moment. Toute la manœuvre a en fait consisté à ne pas regrouper les paresseux ou les travailleurs, mais à associer la paresse et l’absence de plus-value à certaines origines.
Au passage, rien que le débat sur une plus-value implique qu’on ne présente pas les immigrés comme des gens, mais comme des investissements, des machines, des choses. Si vous avez une plus-value, vous êtes les bienvenus.
Les « relents racistes » de la N-VA ? Charles Michel avait raison. Avait…
La manœuvre est brillantissime. Impossible avec ça de faire condamner Bart De Wever pour racisme. Mais cela éclaire la déclaration de Charles Michel que la N-VA a des « relents racistes ». Si la gauche a pu si facilement instrumentaliser les casseroles des nationalistes pour cibler le MR, c’est parce que le MR a sciemment pactisé avec un parti dont il reconnaissait lui-même l’infréquentabilité. Une faute politique qui démontre probablement l’absence de maturité du petit Michel.
Mais sont-ce seulement des « relents » racistes ? Changeons de perspective : il y a une petite huitaine d’années, Bart De Wever disait à feu Marie-Rose Morel (Vlaams Belang) à la télévision que la différence entre la N-VA et le Vlaams Belang, c’était que la N-VA n’avait pas « la culture de l’insulte ». Autrement dit, le racisme (latent ?) à la N-VA, on ne l’exprime pas (trop) clairement, on le travestit dans un discours apparemment généreux voire autocritique. Dans l’interview de VTM, Bart De Wever a clairement montré comment faire de la xénophobie sans insulter : il suffit de ne pas nommer les cibles, mais de les évoquer.
Bart De Wever et Theo Francken disposent aussi d’un atout-antiraciste, Zuhal Demir, une députée N-VA d’origine turque, ou plutôt kurde alévi. Et comme par hasard, la diaspora turque n’a pas été citée dans le panel de Francken, alors qu’elle est nettement plus importante en Flandre que l’Algérienne, voire que la Congolaise. A-t-il pesé ses mots au moment d’écrire son petit billet, se disant « je vais laisser Zuhal en dehors de ça ? » Lui seul le sait. En tout cas, son sujet de prédilection sur Twitter après l’immigration, c’est le combat des Kurdes pour… Kobane !
Francophobie et chinoiserie
Bien sûr, au passage, Bart De Wever en a profité pour accuser la presse francophone de se régaler des accusations contre la N-VA de Laurette Onkelinx. Comme si elles étaient les seules (la presse et Laurette) à s’être indignées des déclarations de Theo Francken. En réalité, il n’y a pas un journal flamand qui ne se soit fait écho des protestations envers le secrétaire d’État à l’Asile interdit et aux Migrations de paresseux. Les chroniques parues au Nord n’étaient pas souvent complaisantes. Et l’opposition néerlandophone n’a pas non plus hésité à rentrer dans le lard des xénophobes de service. Mais voilà, il faut bien rappeler au téléspectateur lambda de VTM que les Francophones, ils ont des politiciens de merde (sauf le MR, pour cinq ans si tout va bien) et une presse de merde. Le mot n’est pas trop fort, c’est bien Bart De Wever qui a dit que Le Soir n’était même pas bon pour se torcher le cul. Béatrice Delvaux aura beau tenter de s’expliquer par éditorial interposé, rien n’y fera, l’image de son journal ne dépend pas de ses écrits, mais des rodomontades de Bart De Wever.
Réponse de Dany Vertraeten à Bart : « Mais enfin, la presse francophone a protesté tout comme la presse néerlandophone, tout n’est tout de même pas à jeter dans le journalisme du Sud ? »
Pardon, je vous ai trompés. Il n’a pas répondu ça. Ce genre de question ne se pose pas dans le Mainstream télévisuel flamand : Bart De Wever dit, et on prend ses déclarations les plus ahurissantes pour argent comptant. Plus c’est gros, mieux ça passe. D’ailleurs, pas mal de journalistes du Nord m’ont déjà affirmé que la presse francophone était tout de même moins objective, ou moins crédible, ou carrément antiflamande, ou « à jeter ». Bizarre, la réaction de cette presse objet d’un tel mépris est souvent de temporiser. Bizarre : on l’insulte, et elle s’excuse, promet de faire mieux, se racrapote, et pense que ça va arranger son image au Nord.
Les Francophones, ces incorrigibles Interahamwe !
Étrange : dans la presse francophone, on lit régulièrement l’opinion des plus radicaux des N-VA (Hendrik Vuye, Bart Maddens…) Une chose que vous pouvez toujours chercher en Flandre. Ce weekend, dans le débat Mise au Point, il y avait un N-VA pour se défendre (Eric Defoort). Sur RTL-TVI, il y avait le flamingant Eric Donckier. Tout est fait en francophonie pour laisser une fenêtre d’explication de la culture de l’Autre. Mais dans les débats flamands, pas un PS ou un CDH pour donner son point de vue, pas un journaliste francophone pour expliquer « notre » radicalisme en matière de xénophobie et de collaboration. Les médias de la minorité francophone ne cessent de justifier les excès d’un ou deux partis du Nord en expliquant, en mettant en contexte, en calquant son mode de pensée sur celui de ses confrères flamands. Alors que celle de la majorité flamande ne daignerait pas interroger le moindre Francophone un tant soit peu critique du nationalisme pour éclairer le téléspectateur sur la culture sudiste, ses frustrations, ses colères, ses craintes et ses résistances.
En fait, depuis le « Radio Mille Collines » d’Yves Leterme qui n’a pas hésité à comparer la RTBF (chaîne publique francophone) à la radio qui a incité au génocide au Rwanda, et la mollesse de la réaction de la RTBF à cette époque, tout est permis ! Même le délire le plus absurde.
Sur VTM, Bart De Wever a carrément appelé les Chinois à la rescousse pour démontrer que, décidément, les Francophones sont critiqués partout pour leur attitude au Parlement : « En Chine, on trouve la querelle Francken surréaliste », a-t-il affirmé. Ah ! La Chine ! Mais qu’elle est diablement bien informée sur ce qui se passe en Belgique, cette Chine ! Ong-Keuh-Linx y est bien sûr célèbre pour ses délires antiflamands ! Et l’on passe ses soirées, à Shanghai, à lire les journaux francophones pour se gausser de leur promptitude à qualifier Bart De Wever de « fasciste ». Quoi ? Les journaux francophones n’ont pas traité De Wever de fasciste ? Mais ça n’a pas d’importance, chers amis journalistes : si vous ne le dites pas, lui, il s’en fout : il affirme que vous l’avez dit !
À l’évocation de ces Chinois qui pensent exactement comme Bart d’Anvers (ville très connue en Chine, mais si, mais si), Dany Verstraeten n’a même pas sourcillé. Ce que dit De Wever est toujours aujourd’hui parole d’évangile.
À propos, comment les Chinois traiteraient-ils ceux qui diraient aujourd’hui que les collaborateurs des Japonais avaient « leurs raisons » ?
De Zevende dag, là où les flamingants sont chez eux.
À la VRT, c’est plutôt le thème de la collaboration que le journaliste Tim Pauwels a mis sur la table, avec tout de même un peu plus de réactivité que son confrère de la télévision privée. Mais sans évoquer la notion, fondamentale pour un intellectuel francophone, de crime. On a juste demandé à Bart De Wever de reconnaître que la collaboration était « une erreur » (« fout »). Celui-ci aurait pu se contenter de dire « oui, c’était une erreur ». Mais c’eût été trop simple. Et là encore, non seulement, il n’a pas condamné les propos de Jan Jambon, il a une fois encore appuyé sur l’accélérateur en prenant Mitterrand, Léopold III et Benoît XVI comme exemples de « collaborateurs ». Et ça ne pouvait servir, une fois encore, qu’à minimiser la collaboration. Car si eux (un président français, un pape, un roi) ont collaboré et n’ont pas été punis, pour les autres, vous pensez bien que ça ne pouvait pas être si grave, monsieur le Flamand moyen !
Bart De Wever : « Que des gens avaient des raisons d’entrer dans la collaboration, c’est évident [probable]. Il y en a eu tant ! Ratzinger [Benoît XVI] était dans les Jeunesses hitlériennes, Mitterrand était un collaborateur. Et après la guerre, ils ont fait leur mea-culpa [ou leur cas a été traité — la phrase est ambigüe]. Le roi des Belges a été prendre son café chez Hitler pour tenter de reprendre le pouvoir [en Belgique]. »
Pour quelqu’un qui a revendiqué sa qualité d’historien dans la même interview, il y a de quoi rougir de honte. D’abord, « Ratzinger » n’était pas un collaborateur : il était allemand et n’a donc techniquement pas trahi sa patrie. Ensuite, l’entrée dans les Jeunesses hitlériennes était obligatoire dès 1939. Benoit XVI aurait d’ailleurs rapidement séché les séances de la sulfureuse jeunesse. Enfin, il a refusé d’entrer dans la Waffen-SS et a déserté de la Wehrmacht.
Révision de l’Histoire, par Bart, l’historien.
Mitterrand a en effet adhéré au régime de Vichy et travaillé dans son administration (à la gestion des anciens combattants). À l’époque, ce régime était la France officielle, les pleins pouvoirs à Pétain ayant été votés par une majorité massive de députés et sénateurs français (569 pour, 80 contre…) On doit bien sûr reprocher à Mitterrand de ne pas en être sorti au moment des premières mesures antijuives, par exemple. Ce retard est un crime en soi. Il aurait aussi pu réagir à l’appel du 18 juin du général de Gaulle. Bon. Mais à partir de 1943, Mitterrand entre dans la résistance et fonde même son propre réseau. Il rencontre de Gaulle à Londres et sa tête est mise à prix par l’occupant nazi. Que Mitterrand ait collaboré est une évidence. Mais dire qu’il « était un collaborateur » est au minimum grossier, au pire diffamatoire : son attitude digne de 43 à 45 n’a pas effacé sa collaboration, mais lui a valu l’absolution. Un historien doit savoir ça.
Bart De Wever : « Il faut regarder [la collaboration] dans le contexte de l’époque, c’était évidemment plutôt une grosse erreur, autant sur le principe, que tactiquement. Qu’une grande partie du Mouvement flamand dont je suis l’héritier, ait participé, oui, c’est une page assez noire, mais puis-je s’il vous plaît, moi, né en 1971, m’occuper des problèmes actuels ? […]»
Tim Pauwels, de bonne volonté, n’a pas relevé les grossièretés, encore moins la minimisation de la collaboration. Il a plutôt souri, et a demandé : « Simplement dire : c’était une erreur ». Réponse de Bart De Wever : « Je l’ai dit pour la millième fois, c’était une erreur. »
Oui, il l’a dit pour la millième fois. Mais plutôt que de se limiter à dire ça (mettons qu’on puisse se contenter du mot « erreur » pour un crime — les assassinats de Landru passeraient-ils pour des « erreurs » ?), tout ce qu’il a ajouté revenait à justifier ou à minimiser cette « erreur ». D’abord, comme Jambon, il explique que les gens avaient « des raisons ». En quoi cela nous intéresse-t-il ? En soi, Pol Pot avait sûrement « des raisons ». Hitler aussi. Staline aussi. Mais on ne dit jamais de ces monstres qu’ils avaient « des raisons » parce que personne ne fait rien sans raison. Alors, pourquoi évoquer « des raisons » ? Tout simplement parce que cela permet d’humaniser le criminel. De faire apparaître sa faiblesse, oh ! si compréhensible ! Qui n’a jamais fauté ? Et cela permet de ne pas évoquer le mot « crime » — qui n’empêche pas les circonstances atténuantes. Il paraît donc impossible pour Bart De Wever et Jan Jambon qui ont, tous deux, eu des relations étroites avec l’extrême droite, côtoyé des anciens nazis, et admis que des gens de la même organisation qu’eux — parfois le président lui-même, comme c’est le cas pour le VVB « de » Jan Jambon — aient des propos glorifiants envers certains collaborateurs. Mais il est interdit, impossible, de leur poser des questions précises à cet égard. Ce sont des « foutaises francophones ».
Noircir le pape pour blanchir les collabos.
Ensuite, il y a la phrase « il faut regarder ça dans le contexte de l’époque. » Ce contexte, à nouveau, n’est là que pour minimiser : si même Benoît XVI a « collaboré », n’importe qui a pu commettre la même erreur ! Vous pensez, faire pareil qu’un futur pape, ça ne peut pas être un péché mortel ! Mitterrand est là pour satisfaire la francophobie de la N-VA. De Wever n’a pas pris l’exemple de Kurt Waldheim ou d’un ministre allemand dont on a découvert l’activité SS sur le tard, mais bien Mitterrand, dont il n’a fait apparaître que la partie collaborative, veillant bien à ne pas faire valoir sa résistance. « Regardez-moi ces Francophones dont les frères de langue français ont mis un collabo à la présidence », fait-il comprendre aux téléspectateurs.
Enfin, il y a la question royale. La royauté est toujours présentée comme francophone par les nationalistes flamands. Elle s’oppose à la république que De Wever appelle de ses vœux. Deux coups pour le prix d’un. Mais avec un culot monstre : ce sont bien les Francophones qui ont empêché le retour de Léopold III. Pire : le fait qu’on n’ait pas écouté la majorité flamande à cette époque fut de tout temps l’un des arguments des nationalistes flamands pour prouver que la Belgique n’était pas une démocratie. Les populistes vous vendent tout et son contraire. Bart De Wever est, au minimum, un populiste.
La phrase suivante paraît étonnante : la collaboration était selon lui « une erreur à la fois sur le principe et tactiquement ». La collaboration, une erreur tactique ? Mais pour qui, bon sang ? Eh bien, pour le Mouvement flamand collaboratif, qu’il évoque d’ailleurs juste après. Ça peut avoir plusieurs sens différents : par exemple, que la collaboration n’ayant pas permis d’obtenir de l’occupant nazi l’indépendance de la Flandre, c’était une erreur « tactique » ! Autrement dit, ce n’était pas un crime vis-à-vis du concitoyen, de l’humanité, des Juifs et Tziganes, des déportés, des otages, du pays. C’était une erreur vis-à-vis du combat militant flamand. Si Hitler avait gagné sur le long terme, c’eût donc été une réussite…
Bart, l’intouchable
Le président de la N-VA finit brillamment en demandant ce que lui, Bart De Wever, aurait à voir avec cette histoire, au fond : il est né en 1971. Une façon habile de bazarder l’ensemble du débat : il n’était pas né (tout comme Jan Jambon) ! Bien sûr, Marine Le Pen non plus. Jörg Haider non plus. Ça n’a jamais été la question. La question était : Jan Jambon est-il en mesure de regretter publiquement ses propos au Sint-Maartensfonds (en substance : « les Flamands n’ont pas à s’excuser pour la collaboration » propos rapportés par Johan Sauwens), de rassurer la population sur ses fréquentations d’extrême droite : « je regrette ma participation à un think tank avec le président du Vlaams Belang ; je me désolidarise et je quitte le VVB dont le président a encore encensé un collaborateur notoire cette année, je me retire des Gouden Sinjoren où je rencontrais la fine fleur de l’extrême droite anversoise ». À ces questions-là, nous n’aurons pas de réponse, je l’ai dit, il est en pratique interdit de les leur poser. Or, ce sont ces réponses qui peuvent nous rassurer quant à la nature profonde de la N-VA. Qu’elles soient taboues n’a rien de rassurant.
Mais le fait le plus important ici, c’est que ce ne sont pas deux ministres fédéraux de la N-VA qui posent problème. Le soutien de Bart montre que le président du parti est bien en phase avec ceux-ci. Le problème n’est pas tant que Theo Francken se soit rendu à l’anniversaire d’un ancien collaborateur, mais bien que Bob Maes, ex-collaborateur, fondateur du VMO néo-nazi responsable du meurtre d’un militant francophone, membre de Protea, le cercle néoflamingant proapartheid, soit non seulement trésorier de la N-VA Zaventem, mais aussi son président d’honneur ! Si ce monsieur avait présenté des excuses et regretté son passé, on pourrait encore évoquer « un vieux monsieur sympathique qui a fait table rase de son passé ». Mais la semaine passée, il a encore refusé de se distancer du Hitler flamand Staf De Clerck face caméra !
Le problème, c’est que Bart De Wever trouve ça parfaitement normal, tout comme il n’a pas critiqué la présence de deux de ses hauts responsables à la commémoration du même Staf De Clerck en 2004, ni les commémorations annuelles du Vlaamse Volksbeweging. Or, et ceci est fondamental, il y a vingt-trente ans, aucune de ces commémorations n’aurait été tolérée en Flandre sans réaction policière. Et même en 2001, la réaction à la participation de Sauwens était radicalement différente de ce qu’on voit aujourd’hui, avec des questions vagues et un pardon immédiat ! Il suffit de voir les films du VMO d’époque pour se rendre compte du recul effarant de la répression de l’hommage aux collaborateurs en Flandre. Les 24 % d’un certain Vlaams Belang en 2004 sont certainement passés par là.
Ce ne sont pas Jan Jambon et Theo Francken qui sentent mauvais, mais les deux tiers de la tête du parti !
Au passage, Bart De Wever a qualifié la Chambre de « marché aux poissons ». La poissonnière, c’est évidemment Laurette Onkelinx, dont la N-VA tire un portrait radical. En français, on appelle ça de la diabolisation. Mais en Belgique, le terme est réservé au seul Bart De Wever. Oui, Onkelinx a exploité la situation à des fins politiques. Non, elle n’était pas la mieux placée pour le faire, après ses propos flamandophobes (la mérule flamande) d’il y a quelques années. Mais non, Bart De Wever n’est pas mieux placé pour la critiquer. Et les journalistes feraient bien de soustraire l’acte politique de l’acte moral : tous les politiciens abusent des situations qu’ils traitent. Et Bart De Wever est même passé maître en la matière. Le fait moral, lui, ne peut hélas être défendu publiquement que par eux, en notre nom.
Bart et Le Pen, le jeu des sept ressemblances
Charles Michel nous a promis l’absence du communautaire pendant cinq ans ? Mais le vrai communautaire, lui, sera présent et plus efficace encore qu’une réforme définitive de l’État : le communautaire de la communication, celui de la télévision, celui des petites phrases assassines. Parce que pendant qu’en Wallonie et à Bruxelles, la plupart des gens que je rencontre se disent effarés, effondrés, sans mots, en Flandre, même des commentateurs de gauche ont passé beaucoup de temps à expliquer que Jan Jambon était un bon démocrate bien sympathique, laissant une ribambelle de faits traîner dans son placard à casseroles. Et passant à la vitesse grand V l’éponge sur ses dernières déclarations. Pourtant, il y a au Nord aussi bien des gens qui aimeraient qu’on ouvre les yeux. Qu’on libère la parole. Elle est verrouillée. La vieille tradition conservatrice flamande n’y est pas étrangère : les personnalités de la N-VA sont « régularisées », instituées. On ne touche pas à Madame Lacoste, disait un vieux crocodile. Étrange pour une société qui, en même temps, peut se targuer d’avoir une des cultures les plus vivaces, les plus audacieuses et les plus brillantes d’Europe !
Tout ceci empêche les opinionistes francophones (mais pas que), d’interpréter ouvertement les actes et les paroles de membres éminents de la N-VA comme ils le feraient s’il s’agissait de Wallons ou de Bruxellois. Et de se demander s’il ne faut pas, à présent, classer la N-VA à l’extrême droite (mais juste à gauche du Vlaams Belang).
Car tout ce que Bart De Wever a dit, Marine Le Pen aurait pu le dire si elle n’avait peur de la réaction de la presse française — la semaine passée, un élu N-VA a encore qualifié Mandela de terroriste. Comme au FN, Bart a protesté, lui a demandé de s’excuser. Entre-temps, les choses ont bien été dites. Et l’on repense à Bob Maes et à son mouvement pro-apartheid. Toutes ces casseroles mises bout à bout mèneraient à qualifier tout autre parti que la N-VA de parti d’extrême droite. Ou plutôt de « nouvelle droite » : une extrême droite qui ne montre pas directement son vrai visage, mais grignote petit à petit les valeurs démocratiques pour imposer un ultraconservatisme nationaliste.
Je dois probablement rappeler qu’au moment où Jan Jambon donnait son speech au Sint Maartensfonds, Bart De Wever publiait un texte académique sur le premier facho-nazi flamand, Joris Van Severen. Problème : il l’a présenté au cercle de nostalgiques du VERDINASO (fameux producteur de collaborateurs et de chasseurs de Juifs pendant la guerre), et a pris comme source de ses recherches d’autres nostalgiques du même mouvement facho-nazi, dont le représentant en Belgique de l’association de nouvelle (extrême) droite GRECE. Le constat, c’est qu’un bon tiers des têtes actuelles de la N-VA a été plus ou moins mêlé à ce genre de club. Mais on vous expliquera en Flandre que ce n’est pas « relevant » et qu’en treize ans, ils ont changé du tout au tout, tous.
La liberté d’expression ou la soumission au Bartisme.
Je ne crois pas qu’autant de gens puissent, ensemble, couvrir ce chemin qui va de l’extrémisme jeune-conservateur à un engagement sincèrement démocrate en une petite décennie, d’autant que leur core business n’a pas fondamentalement changé. Et donc, comme je le disais pour Pierre Mertens, considérer que Bart De Wever est un négationniste parce qu’il a minimisé la Shoah (« les historiens débattent encore du sujet » ; « Israël a des pratiques qui me rappellent ce sombre passé ») est un droit intellectuel fondamental. Considérer, au vu du dossier complet, de plus en plus lourd, que la N-VA est un parti d’extrême droite en est un autre, que l’on prend volontiers à l’étranger, et qu’on se refuse de prendre ici.
C’est cette liberté que je prends moi-même en déclarant qu’à mon avis, la réponse à la question que je posais dans Les Secrets de Bart De Wever : « La N-VA est-elle un parti de nouvelle (extrême-) droite ? » est oui.
Je ne prétends pas avoir raison. Je pose seulement à l’ensemble de la presse francophone la question suivante : si nous avons peur d’exprimer cette interprétation — que beaucoup d’entre nous nous feraient indubitablement s’il s’agissait d’une autre formation en Belgique francophone ou ailleurs —, parce qu’elle nous exposerait aux foudres d’un De Wever martyrisé, et des trois quarts de l’intelligentsia flamande, et à terme, à la fin de la Belgique, sommes-nous encore libres de nous exprimer et d’interpréter les faits et les déclarations, ou cette liberté est-elle assujettie à la bonne volonté du mainstream médiatique flamand, prompt à suivre aveuglement son mamamouchi ? Autrement dit : si un État est un ensemble de valeurs, devons-nous laisser tomber le droit à la libre expression au bénéfice de la seule persistance de la Belgique et nous soumettre à la vision flamande ? Ma réponse à moi est non. À chacun de concevoir la sienne.
Et qu’on arrête de me bassiner avec le fait que critiquer la N-VA reviendrait à critiquer les Flamands ou ses électeurs. Ceux-ci sont de mon point de vue enfumés de la même manière et il y a des gens très bien qui militent à la N-VA ou votent pour elle. C’était du reste le cas aussi à la Volksunie, même à l’époque où un tiers du parti était constitué de nostalgiques.
Personnellement, je ne crois pas en une Belgique où une minorité se soumettrait à la vision d’une majorité au lieu de présenter la sienne, et de la faire respecter. La simple expression « foutaises francophones » est francophobe, c’est-à-dire, pour un nationaliste flamand, xénophobe. Cette xénophobie qui nous atteint au quotidien, nous n’avons pas à l’accepter sous prétexte qu’il serait antiflamand d’y réagir.
Et enfin, un rappel : les ennemis de la liberté ne sont que modérément dangereux dans une démocratie saine lorsqu’ils hurlent leurs slogans xénophobes. On les repère de loin. On les commente. On avertit, et on a leurs mots comme preuve. Le vrai danger, c’est celui du recul de la norme démocrate, en sourdine, petit à petit. L’action récente de la N-VA fait craindre que ce parti est de cette nature, la nouvelle droite, qui prône un langage doux pour amener sans douleur à un régime dur. J’ignore si, dans leur cœur, les têtes de la N-VA que j’ai citées sont antidémocrates, et elles ont le bénéfice du doute. Mais je revendique le droit de penser tout haut que la N-VA est un parti dangereux. Ça s’appelle, tout simplement, le principe de précaution.
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octobre 20, 20:27Franck Pastor
octobre 23, 20:56xavier castille
octobre 24, 18:02Franck Pastor
octobre 24, 18:38Peter
octobre 20, 20:34Marcel Sel
octobre 21, 09:39MUC
octobre 21, 18:00Franck Pastor
octobre 24, 22:23xavier castille
octobre 24, 18:12Juliette
octobre 20, 20:36Pfff
octobre 21, 14:16Rudy Deblieck
octobre 20, 21:09Marcel Sel
octobre 21, 09:32Pfff
octobre 21, 17:33uit't zuiltje
octobre 22, 10:55guillaume21
octobre 21, 09:44Pfff
octobre 21, 13:51Rudy Deblieck
octobre 21, 17:38Marcel Sel
octobre 23, 23:42Jesus Aguirre
octobre 21, 15:25GeBonet
octobre 21, 15:53thomas
octobre 20, 21:21Marcel Sel
octobre 21, 09:06uit't zuiltje
octobre 21, 14:44Salade
octobre 20, 22:01Marc
octobre 21, 11:09Marc
octobre 21, 11:36Marc
octobre 23, 10:25Marc
octobre 23, 10:45Andre Dumoulin
octobre 20, 22:07Pfff
octobre 21, 14:22Tournaisien
octobre 20, 22:48leyn
octobre 22, 10:20Salade
octobre 20, 22:58Catherine
octobre 20, 23:46Marcel Sel
octobre 21, 09:00Catherine
octobre 21, 09:35Catherine
octobre 21, 15:56Pfff
octobre 21, 13:22uit 't zuiltje
octobre 24, 18:01thomas
octobre 21, 00:03Gilson, Mont de l'Eclus
octobre 21, 00:07Marcel Sel
octobre 21, 08:53Pierre
octobre 21, 10:23Marcel Sel
octobre 21, 12:18GeBonet
octobre 21, 18:10Catherine
octobre 21, 20:28Catherine
octobre 21, 21:35Marcel Sel
octobre 23, 23:39thomas
octobre 21, 01:06Zénobie
octobre 21, 13:52Pfff
octobre 23, 11:23uit 't zuiltje
octobre 24, 18:09Démocrate
octobre 30, 04:09uit 't zuiltje
octobre 30, 23:45Hansen
novembre 06, 11:40thomas
octobre 24, 19:28uit 't zuiltje
octobre 21, 01:49thomas
octobre 21, 01:55paworms
octobre 21, 21:32guillaume21
octobre 21, 08:33Wallons
octobre 21, 11:01Marcel Sel
octobre 21, 12:18uit't zuiltje
octobre 21, 17:37Vincent Collin
octobre 21, 11:56Marcel Sel
octobre 21, 12:16uit 't zuiltje
octobre 22, 02:22MUC
octobre 21, 13:30francolatre
octobre 21, 16:11Pfff
octobre 21, 16:36lempereur patrice
octobre 22, 09:41leyn
octobre 22, 09:46Pfff
octobre 24, 20:14Lison
octobre 22, 12:53atc666
octobre 23, 06:12Marcel Sel
octobre 23, 23:24Pfff
octobre 24, 10:23Quand l’austérité tue ! | Résistance Inventerre
novembre 05, 01:05Peter
février 28, 15:29Marcel Sel
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