Le bracelet de la République.
Par Yaaguanto Miguel Angel Martin.
Sol. Puerta del Sol. Haut lieu du raisin pour toute l’Espagne. Chaque année, à la Saint-Sylvestre, des milliers de personnes s’y retrouvent et avalent les douze fruits de la vigne au rythme des douze coups de minuit. Une façon amusante de fêter la nouvelle année qui commence.
Sol. Puerta del Sol. Centre de Madrid. Kilomètre zéro de la dernière ville républicaine tombée aux mains des franquistes.
Sol. Puerta del Sol. Kilomètre zéro de toutes les protestations civiles de ces dernières années. Les indignés ont ouvert le bal des révoltes stériles. Depuis, toute contestation passe, commence, se termine Puerta del Sol.
La Porte du Soleil. I Torride, ce jour-là. L’été s’était invité depuis plusieurs jours en ce début de printemps. J’étais bien, j’adore la luminosité forte que Madrid nous impose, j’adore traverser cet air d’un blanc éclatant.
Je me promenais calle Preciados, la rue commerciale de Madrid qui se jette dans la Puerta del Sol. Un orchestre jouait des tubes espagnols des années 80. Avec leur beau costume, ils étaient une vingtaine assis sur des chaises pliables. Les gens appréciaient. Les gens s’attroupaient. A la fin de chaque morceau, une salve d’applaudissements. Le soleil, la musique, la joie des gens.
« J’ai l’impression que ça va tourner au vinaigre »
Une première voiture de police s’arrête non loin de l’orchestre. Les musiciens entament un nouveau morceau pour accueillir les gardiens de l’ordre. Sans les paroles, je mets un temps à reconnaître l’air. Como pudiste hacerme esto a mi. Alaska. Alaska y Dinarama, groupe New Wave qui se torturait sur fond de Movida.
Les gens autour de moi chantonnent. Un combi de flics se gare derrière la première voiture. Les regards du public se perdent sur les engins des forces de l’ordre. Je tente de retrouver les paroles de la chanson.
No me arrepiento
volvería a hacerlo
son los celos
Je ne regrette pas, je le referais, c’est la jalousie. Je me retourne et vois deux flics à cheval à une dizaine de mètres. Le nombre de policiers ne cesse d’augmenter. Il sont une vingtaine en quelques minutes. Les rangs du public eux aussi ont continué de grossir.
La calle desierta, la noche ideal
un coche sin luces no pudo esquivar
un golpe certero
y todo terminó entre ellos de repente
La rue déserte, la nuit idéale. Une nuit sans lumière. Il n’a pu éviter un coup précis et tout se termina entre eux.
J’ai l’impression que cela va tourner au vinaigre. Les gens vont-ils se mettre à chanter haut et fort ? A détourner les paroles pour contester cette pression policière ? Je m’écarte de la foule au cas où. Autour de moi, quelques personnes jettent un regard de dégoût aux flics. La musique continue, le morceau d’Alaska n’est pas terminé. J’ai le sentiment que plus personne ne chantonne. Cela doit être mon stress qui étouffe le fredonnement du public. Je décide de m’éloigner, tout en prenant des photos le plus discrètement possible.
« Maintenant, il y a quatre voitures de flics en file indienne »
Un peu plus loin, une femme s’agite. Elle est petite, blonde, âgée. Elle n’est pas seule, des copines l’accompagnent. Elle observe les flics. L’orchestre, elle s’en fout. Je m’approche.
Maintenant, il y quatre voitures de flics en file indienne et des motards planqués dans une rue perpendiculaire. Je n’aime pas cette ambiance. L’orchestre poursuit son concert. Cette présence policière est étouffante, arrogante de silence.
La dame est toute frêle, toute menue. Ses cheveux sont teints. Elle ne me fait pas l’effet d’une bourgeoise de Madrid chargée de maquillage. Je distingue enfin ses paroles : « Mais que font-ils ici ? », dit-elle. « Pourquoi ne partent-ils pas ? Nous n’avons pas besoin d’eux. » La dame s’en va demander aux flics la raison de leur présence. « Elle s’énerve toute seule », me dit alors une de ses copines, qui a compris que je voulais communiquer.
« Esta quemada. Con todo esto, esta quemada. » —
« Elle est brûlée, consummée par tout ça.» dit la copine. Je reste sans voix. La critique franche de mes compatriotes m’a toujours fait sourire. Comme si à chaque fois, je retrouvais un peu de moi dans une culture qui trop souvent me répugne. La copine l’a dit tout net : celle-là, elle est brûlée par ce gouvernement, par cette crise, par cette répression policière.
Je comprends alors que la tension dans les alentours de Puerta del Sol est permanente. Le moindre attroupement est suspect pour les forces de l’ordre.
« C’est pour protéger les musiciens… »
La dame revient de son entrevue avec la police. Je lui demande ce qu’ils lui ont dit, ce qu’ils font là. « C’est pour protéger les musiciens. », me lance-t-elle. Je reconnais bien l’absurdité des raisonnements policiers. « No los creo », me dit-elle en jetant un regard sombre sur les policiers. Ses copines se sont barrées dans le Corte Ingles, l’Inno espagnol, pour faire quelques courses. « Nos tienen atados aqui », poursuit-elle. Attachés, les Espagnols sont attachés, tenus par une main qui se durcit chaque jour davantage. Puis, elle me raconte les débordements des flics lors des manifestations. « Nos meten palizas, solo por manifestar contra este gobierno de fachas. »
Soudainement, elle arrête son regard sur moi, réalisant qu’elle parle à un inconnu. « ¿De donde eres? » Je souris. Je lui explique que je vis à Bruxelles mais que je suis Espagnol —satané besoin de justifier ma nature hybride. Son visage s’éclaire un peu, ma réponse semble lui convenir. Je suis étonné. D’habitude, quand on avoue vivir fuera, vivre dehors comme on dit, cela jette un froid entre l’Espagnol du pays et moi. Mais là, c’est tout le contraire.
« Tu dois dire là-bas qu’ils nous maltraitent. Que ce gouvernement est un gouvernement franquiste. Ils nous tabassent dès qu’on manifeste. Ils détruisent tous nos moyens de subsistance et gardent le magot pour eux. Ce sont des corrompus. Franco est de retour. Ils vont nous tuer tous. Et eux, là-bas, ils sont là pour protéger les musiciens. Mais qui va croire ça ? Ils sont là pour nous taper dessus si jamais le vent de la protestation se met à souffler. Je les hais. Franco no ha muerto, estos del PP lo recusitan con cada nueva ley que votan, tienen la mayoria absoluta. Pero si son fachas todos. »
Elle insiste encore et encore, ce sont des fachistes au gouvernement, Franco n’est pas mort, le PP le rescussite à chaque loi votée.
Dans le fond, l’orchestre poursuit son concert de rue. Je suis touché par sa demande de porter son message à l’étranger. Touché et gêné. Je n’ose pas lui dire que le reste de l’Europe s’en fout de l’Espagne. Et quand ils ne s’en foutent pas, ils pensent que les Espagnols l’ont bien cherché, que ces gens du Sud sont des paresseux profiteurs qui veulent l’argent des bûcheurs du Nord. Voilà ce que je devrais lui dire. Voilà ce que je garde pour moi.
Alors, je lui donne raison. Elle acquiesce gênée à son tour. Elle répète encore. Oui ce sont des cryptofranquistes. Non Franco n’est pas mort. Il a gagné la guerre et pour longtemps.
« Regarde », me dit-elle en me montrant son bracelet aux couleurs de la seconde république, « Soy républicana ». Rouge, jaune, mauve sur un morceau de tissu effiloché. Elle brandit son poignet bien haut, « Yo soy republicana » répète-t-elle. J’ai honte pour elle. Ou plutôt avec elle. Le délabrement de son bracelet tricolore est bien en phase avec la république espagnole : un souvenir, vieux et poussiéreux. De l’histoire ancienne.
« Et moi je suis petit-fils de républicaine. », osai-je finalement répondre.
Je ne voulais pas l’abandonner dans son lyrisme usé. Je refusais d’assister au naufrage d’une dame de la République. Je ne n’entendais plus la musique. J’ignorais si l’orchestre jouait encore. Tout semblait avoir été dit.
« J’ai entendu dire que l’Histoire parfois bégaye »
Je me retournai, les flics étaient encore là. Est-ce cela une démocratie qui vire à la dictature ? Je l’ignore. J’ai entendu dire que l’Histoire parfois bégaye. D’autres m’ont dit que l’Histoire ne se répète pas mais qu’elle rime. No lo se. J’aurais été un personnage d’une fresque magico-réaliste, cette dame aurait été l’ange de la République venu me rappeler à mes devoirs de citoyen républicain. Elle me serait apparue avec ce même accoutrement qui ne paie pas de mine. Son bracelet aurait porté les mêmes trois couleurs délavées. Elle aurait tenu le même discours, peut-être un peu plus long. Les flics nous auraient nié de la même manière. Ses haussement de voix se seraient noyés de la même façon dans la version instrumentale d’un tube d’Alaska y Dinarama. Sauf qu’à l’issue de notre conversation, un bracelet de la République flambant neuf serait apparu à mon poignet gauche, miraculeusement. J’aurais dû alors entrer dans l’Histoire, cesser d’être un spectateur révolté, énervé, râleur, et devenir contributeur.
Je n’osais plus regarder mon avant-bras gauche. Je voulais juste vite saluer mon interlocutrice et partir. Quitter ces lieux. Rentrer dans le Corte Ingles, acheter une robe à ma fille et faire réparer ma montre. Adios y gracias. La dame reprit son chemin en direction des flics. Au bout de quelques secondes, elle disparut derrière un coin. J’ouvris la porte du magasin. Une bouffée d’airco vint me rafraîchir. Je transpirais. Une fois à l’intérieur, je posais ma main droite sur mon poignet gauche. Ma Swatch bleue était toujours bien là. Il ne fallait pas que j’oublie de changer la pile essentielle à la révolution. Celle des aiguilles qui donnent l’heure.
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