Di Rupo déshabillé, maintenant en librairie.
Mathieu Colleyn est journaliste à La Libre. Quand j’ai publié Les Secrets De Bart De Wever, il m’avait fait l’honneur d’un billet assez positif qui notait dans mon ouvrage un aspect pamphlétaire qui n’était pas pour [lui] déplaire. Cette fois, les rôles sont inversés. C’est lui qui publie, chez le même éditeur, Les Secrets d’Elio Di Rupo. Autant le dire tout de suite: je me dois de déclarer ici un double conflit d’intérêt.
Mais autant j’assume le côté pamphlétaire et parfois satirique de mon ouvrage — qui n’a pas pu être adapté en néerlandais apparemment pour cette raison, certains éditeurs ayant même interdit au mien de… le leur envoyer — autant je reconnais le sérieux et la rigueur de celui de Mathieu, très bien informé et aussi subversif, dans le bon sens du terme, qu’objectif dans la mesure du possible en journalisme.
Disons-le tout net, ces Secrets n’apprendront pas grand chose aux journalistes politiques, du moins pas du côté francophone. Ce n’est d’ailleurs pas son but. En revanche, pour le journaliste étranger, voire flamand, ou pour le citoyen qui cherche à comprendre le fonctionnement de ce parti qui semble ne pas pouvoir être écarté du…pouvoir, c’est une petite mine d’or.
On y découvre un Elio loin de l’image d’Épinal qu’il s’est construite lui-même. C’est ni plus ni moins que le Napoléon wallon que Colleyn nous décrit là. Un homme de pouvoir, aux commandes d’un parti à la fois complexe et « docilifié » mais aussi un dirigeant talentueux qui a su s’entourer des meilleurs éléments du parti socialiste. On voit aussi à quel point il utilise une panoplie de personnages soigneusement sélectionnés, placés stratégiquement pour l’informer de tout ce qui se passe, tant dans les fédérations du parti qu’à la tête d’entreprises publiques. Mathieu Colleyn évoque ainsi l’assistance volontaire du président de la Chambre, le très sympathique André Flahaut dont on découvre que la bonhomie cache une fidélité absolue au parti et une propension à privilégier son président-bourgmestre-premier-ministre. Lorsqu’à la Chambre, Zoé Genot (Ecolo) veut poser une question très gênante à Elio Di Rupo, celui-ci n’apparaît tout simplement pas et c’est le président de la Chambre qui le défend, oubliant qu’il est censé être au-dessus de partis et défendre le pouvoir parlementaire contre l’exécutif! On trouve bien d’autres anecdotes du style dans ces Secrets.
Mathieu Colleyn n’hésite d’ailleurs pas à parler de « Lider maximo » (l’un des titres de Fidel Castro), ce que Di Rupo semble bien être au sein d’un PS qu’il dirige avec une autorité extraordinaire quand on sait qu’il a, au départ, eu bien du mal à damer le pion aux hiérarques borains du parti qui ne voulaient pas que cet immigré monte trop haut dans la hiérarchie. La manie de Di Rupo de placer des observateurs un peu partout amène même des socialistes à parler, anonymement, « d’œil de Moscou ». Par exemple lorsque le « Lider maximo » (ça y est, ça me prend aussi) envoie son ex-porte-parole, la charmante et très compétente Ermeline, assister à des séances à huis-clos du collège du bourgmestre et échevins de sa bonne ville de Mons, alors que le droit wallon l’interdit!
Tout ça est très bien rédigé, sans trop de sobriété, avec de temps en temps une petite note acide, mais avec beaucoup de nuances aussi, et en trois « actes ». Le premier, pour intéressant qu’il soit, laisse toutefois un goût de trop peu. On y apprend comment Di Rupo est devenu Di Rupo. On y découvre la puissance de la machine de recrutement socialiste, qui l’a très tôt repéré. C’est même probablement le passage le plus instructif pour les non-initiés. Mais on en sort avec une légère frustration : on aurait aimé en apprendre encore plus sur la jeunesse du Lider. Pour sa défense, Mathieu Colleyn explique qu’il a dû écrire ce livre plutôt rapidement et qu’il n’était pas simple d’obtenir du « croustillant » en pleine campagne électorale. En revanche, cette première partie de la biographie assez condensée a le mérite de la clarté. Elle se lit vite, et la cohérence est au rendez-vous. C’est bien le parcours complet de « l’Apollon » Di Rupo que Colleyn nous offre.
Il passe ensuite au rôle de Di Rupo de 2007 à aujourd’hui. La complexité de la crise que nous avons vécue oblige alors Mathieu à rappeler de nombreux détails et rebondissements. Il y a un moment où l’on a l’impression que « les secrets » de Di Rupo lui-même passent un peu à l’arrière-plan tant il y a d’autres personnages qui interviennent et interagissent. Mais ce rappel des faits est extrêmement bien résumé : il rafraîchit la mémoire et au final, éclaire la psychologie dirupienne avec sérieux, sans ennuyer. Le plus impressionnant, à part le travail de recherche et la chronologie irréprochable, est la conclusion. Écrite avant le début de la formation de notre éventuel futur gouvernement, elle permet carrément de mieux comprendre… les développements de la semaine passée !
Je viens de refermer le livre, à la fois impressionné par la force de frappe de ce parti semblable à nul autre en Belgique, doté d’un service d’études extrêmement performant dont Joëlle Milquet a pu profiter à l’époque d’Yves Leterme (mais oui!), et inquiet de la puissance d’un seul homme au sein d’une formation incontournable en politique belge. Ruez-vous donc sur cet excellent ouvrage de moins de 200 pages. Il n’est pas seulement utile, il est indispensable.
Et mon double conflit d’intérêt? Rassurez-vous, si je n’avais pas trouvé l’ouvrage de Mathieu excellent, je ne l’aurais tout simplement pas recensé!
Mathieu Colleyn, Les Secrets d’Elio Di Rupo, La Boîte à Pandore, Waterloo, Paris, 2014.
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u'tz
août 12, 22:36