Exclusif : le professeur Hendrik Vuye sera chez les néo-nazis ce jeudi.
Polémique de la semaine. Le professeur Hendrik Vuye, de l’Université de Namur, sera 3e sur la liste N-VA du Brabant-flamand à la Chambre. Il avait déjà fait l’actualité voici deux ans suite à des plaintes de quelques élèves : en cours de droit public, le professeur de droit constitutionnel (belge) aurait été trop critique envers la Belgique, l’accord papillon, le sénat… Bref, on «sentait» qu’il n’aimait pas le pays dont il enseigne la constitution. Dans un reportage de la RTBF à charge et plus encore à décharge, la plupart des autres élèves semblent ne rien avoir à redire sur les «convictions politiques» que le professeur laisse(rait) transparaître pendant ses cours. Pourtant, ce reportage a fait scandale en Flandre, ou presque.
En fait, dès qu’on évoque le cas d’Hendrik Vuye, la N-VA crie à la victimisation et même De Standaard s’en mêle ! Mais que ces Francophones sont intolérants, eux qui se posent des questions sur la présence d’un constitutionnaliste radicalement flamingant à Namur ! Oui, ce même Standaard qui avait défendu l’expulsion de tous les professeurs francophones de l’université catholique de Leuven (Louvain) en 1968, une expulsion dont la N-VA se félicite du reste. Depuis, on peut toujours chercher un francophone inscrit sur les listes du FDF et donnant cours de droit des minorités en Flandre. Je suis tranquille, on n’en trouvera pas… Surtout des qui, en plus, vont donner leur opinion dans un cercle d’extrême droite qui demande l’amnistie pour les nazis flamands (voir plus bas).
Ça n’empêche pas De Standaard de poser le prof en victime de la méchante intolérance francophone dans cet article très orienté qui n’aborde que le côté «censeur» supposé des «médias francophones» qui avaient simplement fait état de questions au niveau du rectorat, et certainement pas soumis le professeur «à un feu de critiques» comme l’affirme le journal. De Standaard compare aussi la présence d’un N-VA à l’université de Namur à celle d’un CDH à la même unif, d’un SP.a à l’université de Gand ou d’un CD&V à la KUL (Louvain). Comparaison n’est pas raison : aucun de ceux-là n’a des convictions radicalement opposées à ce qu’ils enseignent, aucun d’eux n’occupe une chaire dans une université de la région dont ils veulent impérativement se séparer. Aucun ne cautionne un mouvement comme le Vlaamse Volksbeweging (Mouvement populaire flamand) associé au TAK qui crie encore régulièrement lors de manifestations : «Rats français, pliez bagages» ou «Du cyanure pour le FDF».
Alors qu’il était déjà conseiller à la N-VA, dont le programme prévoit de supprimer la constitution belge, Hendrik Vuye a proposé publiquement de ne pas s’encombrer de cette constitution qu’il est censé… expliquer à ses élèves. Florilège de cette intervention au VVB, en janvier de l’année passée, défendue par le magazine du VVB Doorbraak : «Dans le parlement fédéral, 88 [nombre de députés flamands] est égal à 66 [nombre de députés francophones] […] la majorité n’a aucune valeur dans ce parlement.» Où un professeur de droit constitutionnel prétend que les 66 parlementaires francophones ont le même pouvoir que les 88 Flamands, ce qui est faux. De la qualité de sa conception du droit. Il en appelle aussi à ne plus s’inscrire dans la «loyauté fédérale», à ce que le Parlement flamand prenne des décisions unilatérales et surtout, en violant la Constitution, pour avancer vers le confédéralisme. Un prof de droit constitutionnel qui recommande de traiter la Constitution comme un vulgaire chiffon, est-ce bien le meilleur enseignant pour ce genre de matière .
Dans un article du Morgen, le même professeur en droit constitutionnel prétendait à ses lecteurs flamands que la COCOF (commission communautaire francophone de Bruxelles) disposait, ô scandale, du pouvoir décrétal dont son équivalent néerlandophone, la VGC, ne disposait pas, présentant la différence comme un privilège des Francophones, oubliant que si les Flamands de Bruxelles n’ont pas ce droit décrétal, c’est parce que la Communauté flamande ne le leur a pas accordé ! Un drôle de dérapage pour un prof de sa qualité…
Il a également affirmé qu’il y avait 41 ministres et échevins responsables de la culture à Bruxelles. Oubliant que si l’on se met à compter les échevins, il y en a plusieurs centaines… en Flandre !
Lorsqu’en 2012, Le Soir et la RTBF avaient évoqué le cas d’Hendrik Vuye, Yves Leterme n’avait pas manqué d’affirmer sur Twitter que ces médias «n’avaient pas le niveau» (revoyez le reportage de la RTBF et dites-moi si vous le trouvez partisan). On se demande ce qu’il aurait dit si un conseiller d’Olivier Maingain enseignant à Louvain (Leuven) avait été mis en question par certains élèves et si la presse flamande en avait fait état.
En plus d’être plutôt flamingant dans ses attitudes (sur son CV de l’université, toutes les villes dont ils parlent, y compris les communes à facilités, sont citées en néerlandais d’abord, et entre parenthèses en français — ce qui montre tout de même une propension à penser «flamand» avant de penser «enseignant de la Communauté française»), Hendrik Vuye milite au sein d’un parti qui veut réduire les «transferts financiers» vers la Wallonie et accaparer bruxelles dans une Flandre indépendante. Une attitude un rien incohérente lorsqu’on sait qu’il est rémunéré par… la Communauté française.
Enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, Hendrik Vuye ira, ce jeudi 13, défendre son point de vue à la NSV Gent. Le pitch de la soirée : «D’abord, l’on schématisera rapidement les réformes de l’État précédentes pour ensuite dévoiler la dernière. L’orateur parlera en particulier des blocages [anticonfédéralistes] que notre pays maîtrise. Hendrik Vuye est professeur de droit public et enseigne à l’Université de Namur. Outre ses propres publications, il a déjà écrit des chroniques pour quelques grands journaux flamands et collabore régulièrement à Dorbraak [le magazine du Vlaamse Volksbeweging, proche du TAK, qui collabore à l’organisation de la soirée à la NSV]».
Pour ceux qui ne connaissent pas la NSV, il s’agit d’un cercle d’étudiants national-solidariste (comme Nation, comme Nouvelle Voie de Serge Ayoub, etc.), pépinière radicale du Vlaams Belang. La NSV a comme deuxième point de son programme l’exigence «d’amnistie inconditionnelle de toutes les personnes condamnées après la deuxième guerre mondiale pour des raisons politiques (sic)». Entendez les collaborateurs, les bourreaux, les organisateurs de la déportation de Juifs et de prisonniers politiques et les gens qui écoutaient béatement Staf De Clerck, le Laval flamand éructer «le Juif doit partir, c’est une question de salubrité publique». Elle appelle d’ailleurs chaque année à commémorer August Borms, un nazi condamné à mort après guerre, touriste de la Shoah patenté, membre du gouvernement pronazi flamand en exil chez Adolf.
Si cela ne vous convainc pas encore, j’ai détaillé les raisons qui me poussent à considérer la NSV comme une organisation néo-nazie dans un article de mon blog, et une version plus complète (en 12 points) se trouve dans Les Secrets de Bart De Wever. Ah oui, j’oubliais, la NSV est radicalement opposée au mariage homosexuel (ben tiens) et dans son programme de 2012, il y avait un sympathique représentant de la ligue du Nord, xénophobes italiens bien connus. Ce Mario Borghezio a, au cours de sa jeunesse, distribué des tracts mentionnant «Viva Hitler». C’est aussi lui qui, en avril dernier, a déclaré à propos de la ministre italienne d’origine congolaise Cécile Kyenge : «Ceci est un gouvernement du Bonga Bonga […] la Kyenge veut importer ses traditions tribales, celles du Congo. Elle est italienne ? […] le mot «négresse», en Italie, on ne peut plus le dire mais seulement le penser […] Les Africains sont africains, ils appartiennent à une ethnie très différente de la nôtre. Ils n’ont pas produit de grand génie, il suffit de consulter l’encyclopédie de Topolino […] Disons que j’ai un préjugé favorable aux Européens centraux. […] Kyenge joue au docteur. On lui a donné un poste qui a été refusé à quelque médecin italien.» De quoi ne plus être invité nulle part, sauf bien sûr dans un cercle d’extrême droite. Hendrik Vuye appréciera.
Reste que la Flandre a cette étrange habitude de mélanger les genres : on a déjà vu des députés européens écologistes se promener à la NSV… mais gageons que les jeunes nationalistes seront plus en phase avec le discours d’Hendrik Vuye qu’ils accueillent jeudi avec un certain enthousiasme.
Maintenant, la question est : un professeur qui enseigne une Constitution qu’il recommande par ailleurs de violer, qui est payé par une institution qu’il trouve trop alimentée par la Flandre, qui pense que la Belgique emprisonne son «pays», qui soutient des groupes virulemment antifrancophones comme le TAK et qui accepte de distiller sa pensée aux Ayoub flamands, un tel enseignant a-t-il sa place dans une université wallonne ? Je gage que la chaire d’un prof francophone qui, belge convaincu, wallon de cœur, irait à une réunion fasciste serait déjà, rien que pour ça, remis en cause, et sévèrement. En revanche, quand il s’agit d’un candidat N-VA, il ne faudrait pas en parler, se taire, éviter que le parti de Bart De Wever puisse, une fois de plus, se présenter en victime avec la complicité de certains journalistes flamands qui font semblant de ne pas comprendre qu’un Francophone, comme un Néerlandophone, a aussi une certaine considération pour sa culture, ses valeurs, et le nationalisme n’en fait pas partie aujourd’hui.
Non, je ne crie pas au renvoi d’Hendrik Vuye. Je me permets — quelle horreur — de poser la question. Ce n’est pas à moi de décider s’il est à sa place ou pas. Si j’étais recteur, je le prierais de choisir entre le nationalisme et la chaire à Namur. Entre les discours à l’extrême droite et devant des racistes du TAK qui n’ont pas hésité à présenter les Francophones comme «de la vermine», et l’enseignement le plus équilibré possible du droit constitutionnel à des élèves jeunes et donc influençables. Mais voilà, je ne suis pas recteur. Je prends la liberté, scandaleuse selon la N-VA, d’exposer des faits comme je les vois. À vous de juger. Et au passage, non, il n’y a rien de mal à ce qu’une voix flamingante soit présente dans une université francophone. Mais dans ce cas, un minimum de retenue me semble bienvenu. Sinon, autant demander à Fouad Belkacem (Sharia4Belgium) d’enseigner la laïcité ou à Alain Destexhe (MR) de donner des cours de religion islamique. Et si les élèves ou la presse se posaient des questions sur un tel mélange des genres, prions donc le Standaard de préparer un bon article bien orienté pour «démontrer» que ce sont des imbéciles, des intolérants, bref, des cons.
À bon entendeur, goeiendag !
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