Du libre examen à la censure : à l’ULB, on chasse Charlie Hebdo.
Il ne se sera passé que cinq ans. Cinq petites années après l’assassinat, au nom de l’islam, des dessinateurs et chroniqueurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, des policiers Franck Brinsolaro et Ahmet Merabet, du correcteur Mustapha Ourrad, du festivalier Michel Renaud et du chargé de maintenance Frédéric Boisseau.
Cinq ans à peine, et les voilà « chassés » de l’Université libre de Bruxelles. Cinq ans à peine, et deux cercles estudiantins de cette gauche puritaine et religieuse qui prolifère — l’USE, soit les jeunes FGTB et le Cercle féministe de l’ULB — décrètent la censure d’un débat organisé par leur Alma Mater (et maintenu par Yvon Englert) parce que le rédacteur en chef et la DRH de Charlie Hebdo y sont invités ! Le tout, au nom, bien sûr, de la démocratie.
Et la Liberté de hurler « c’est dur d’être défendue par des cons ! »
Il n’aura fallu que cinq ans pour qu’a posteriori, des étudiants de gauche (bordel, merde, putain ! de gauche !) confirment la sentence qui a prévalu à l’attentat des frères Kouachi en condamnant une fois de plus les satiristes au silence pour crime, notamment, de critique du voile. Cinq maigres années après avoir vu leurs potes abattus, après avoir été eux-mêmes blessés par des tirs de kalachnikov (Riss, à l’épaule), ils sont passés de résistants à réacs. De héros à salauds.
Le pamphlet produit par les jeunes FGTB de l’ULB a pour titre : « L’ULB se rend honteusement complice de ces réactionnaires (sic) ». On y reproche la censure prétendument exercée par… Charlie Hebdo et Riss en particulier. Mais qui sont ici les vrais réactionnaires ? Ceux qui viennent débattre ? Ou ceux qui concluent leur pamphlet par un appel à l’exclusion : « pas de réacs sur nos campus ! » On peut difficilement être plus clair.
Qui donc sont ici les censeurs ? Ceux qui remettent leur vie en jeu au quotidien pour que la liberté d’opinion et d’expression ne soit pas soumise aux désirs de minorités politiques ou religieuses ?
Mais non. Les réacs et les censeurs sont évidemment ceux qui ici, une fois de plus, collent une étiquette à toute personne qui a l’audace de ne pas adhérer à leur doxa pour ensuite hurler à son exclusion ! Les réacs sont ceux qui voudraient condamner le blasphème. Les féministes qui refusent de défendre Mila, ou seulement de l’extrême bout des lèvres, parce que, quand même, cette lesbe-là, elle a dit de la merde, la conne ! Les réacs sont ceux et celles qui se font les complices des imams wahhabites et salafistes, dont la volonté est la même que celle dont Nasser s’était moquée : voiler toutes les musulmanes.
Les réacs sont ceux qui cèdent à ces imprécations sous prétexte de liberté de culte, de liberté vestimentaire, ou de protection des minorités. Ce sont celles qui protestent contre l’interdiction de porter un couvre-chef dans un laboratoire de chimie, démontrant qu’elles accordent désormais moins d’importance à la sécurité des jeunes musulmanes qu’à l’accession au paradis qui leur est promis si elles font preuve de « modestie » (entendez « de soumission patriarcale ») en toute circonstance.
Réac ? Mais rien, aujourd’hui, en Belgique, n’est plus « réac » que la version de l’islam de plus en plus à la mode. Celle à laquelle, il y a des lustres, nos politiques, préférant par xénophobie ne pas trop devoir s’occuper du culte musulman, ont livré des centaines de milliers de citoyens et de citoyennes. Celle qui exclut les soufis, les modérés, les progressistes. Et que béatement, le « progressisme » croit devoir défendre.
Et — halluciné — voilà que je dois préciser que je ne suis pas « contre » les femmes voilées. Que tout, dans notre démocratie, nous impose de respecter celles qui décident de porter le voile, et de les traiter comme nos égales. Mais rien, dans notre démocratie, ne nous oblige à adhérer à tout ce que le voile implique ni à la doctrine qui le pousse. Rien, dans notre démocratie, ne nous oblige à encourager à le porter. Rien, dans notre démocratie, ne nous interdit de hurler : « le voile, c’est le machisme érigé au rang de religion. » Tout comme, quand certaines « féministes » nous expliquent qu’on peut violer une femme par un simple regard, rien ne nous interdit de crier : votre parodie de féminisme nous emmerde ! Et bien sûr, rien ne nous interdit de nous moquer de l’addition quotidienne de lettres au terme LGBTQR+. Et plus. Et encore plus. Sauf…
Sauf vous. Les déjà USÉs et les CFU bénits.
Vous, qui donnez raison à Riss : il a eu l’audace de critiquer récemment la multicensure polyforme imposée par les nouveaux puritains. Les décoloniaux. Les interultraféministes. Les racialistes. Les islamistocompatiblistes. Ou les islamistes tout court.
Ce billet aurait dû s’intituler sur le même mode que le texte des cercleux ulbistes :
« L’USE et le CFU se rendent honteusement complice des frères Kouaichi ».
Titre justifiable, parce qu’en appelant à la censure, en qualifiant Charlie Hebdo de « réacs », ces étudiants justifient a posteriori l’acte de deux terroristes. Ils n’approuvent pas les meurtres, certes, mais se rendent complices de l’idéologie qui les a justifiés, en adhérant à son jugement, sa fatwa.
Charlie doit, donc, à nouveau, être muselé.
Ce titre qui fut mon premier choix aurait choqué, et donc interpellé. Deux vertus de la satire à mon humble avis. Mais j’ai reculé. Je me suis autocensuré. Par peur. Parce qu’on m’aurait accusé d’associer militance estudiantine et terrorisme. Parce qu’on aurait déformé mes propos. Parce que l’une ou l’autre personnalité proche de ces cercles l’aurait brandi pour m’accuser, à mon tour, d’être un réac, un facho, un raciste, un homophobe, un virus, un vomitif, ou — pourquoi pas ? un antihistaminique. Depuis que l’État ne censure plus, d’autres, par des voies militantes prétendument progressistes, ont trouvé comment établir la leur.
Voilà où on en est arrivé. Vraiment. La liberté brisée, harcelée, grignotée par des groupes de pression, des partis politiques, des cercles de gauche qui n’ont pourtant que ce mot à la bouche. Liberté. Écrasée par ceux-là mêmes qui la hissent en étendard à chaque sortie sur les pavés de Bruxelles.
Dans une société libre, vraiment libre, et donc démocratique, une telle peur ne devrait pas exister. On ne devrait craindre que les phrases délictueuses. On ne devrait pas repeser quarante fois un twit avant de l’envoyer, pour être sûr de ne pas heurter l’un-e ou l’autre, et de se prendre des sanctions du tribunal révolutionnaire autoproclamé. Et des menaces dans sa boîte aux lettres électroniques. Et même, des appels à la violence.
Et donc, oui, Riss a raison. Nous, chroniqueurs, humoristes, satiristes, nous autocensurons, jour après jour. Nous l’avons toujours un peu fait, mais jamais à ce point. Plus jamais depuis, disons, l’ancien régime. Ou l’inquisition.
Nous étions fous du roi. Oui. Depuis la nuit des temps, nous avions le droit d’être fous. Nous n’avons plus que celui de nous soumettre sous ce voile pudique qui n’est pas — lisez-moi précisément — celui dont des femmes se coiffent dans la rue mais bien celui qu’on instrumentalise pour faire avancer, ensemble, une gauche victimiste, et une extrême-droite musulmane qui l’est tout autant.
Mais les fous sont condamnés à trop de raison(s). Nous devrions désormais être intersectionnels, nous soumettre aux religions, faire attention à ce que personne ne se sente heurté(.e.s.) par une virgule. Éviter le point d’exclamation, trop phallique, ne plus écrire « celles et ceux » mais bien « celleux », parce que c’est la nouvelle règle décidée en comité intersectionnel décolonial racialiste indigéniste mais surtout indigeste.
Oui, j’ai peur de vous les censeurs, les juges autoproclamés du twibunal (tribunal twittérien) qui avez pris le pouvoir, par votre masse et votre unicité de pensée, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans une partie croissante des milieux de gauche IRL et, en Belgique francophone, des milieux politiques tout court.
Ce faisant, vous nous entraînez dans un retour effréné de la pudibonderie, du puritanisme, de la pensée corsetée, étouffée et, quand on pousse votre logique verbale à l’extrême, puisque « nous » sommes dangereux, réacs et donc « fascistes », on n’obtient rien de moins que la conclusion que l’on m’a servie pour avoir osé émettre une idée différente : « disparaître, la démocratie ne s’en portera que mieux ». Ou la suggestion d’aller « casser la gueule à cette petite merde de Sel »
Ou plus simplement « tuer ! ».
Des mots aux actes, il y a certes un gouffre, mais parfois, deux hallucinés le traversent et laissent une marre de sang dans une rédaction. Et cinq ans après, les rescapés pensent légitimement que ça a dû suffire, comme leçon. Que plus jamais personne, dans notre société libre, ne les agressera ni ne tentera de limiter leur droit à la libre expression, surtout pas sur un campus qui est né de cette belle idée.
Mais cinq ans ont passé et des jeunes — l’avenir de notre société — leur hurlent au contraire : « fermez vos gueules, sales réacs. »
On n’a jamais aussi mal traité les résistants qu’aujourd’hui. Mais c’est vrai que ces militants « antifa » se prennent tous pour Jean Moulin. Des Moulin qui se croient au combat sous prétexte qu’ils hurlent « bruits de bottes » par ci, « Theo facho » par là. Des Jean qui se proclament torturés parce qu’on les a regardés de travers. Ou donné un ordre de police. Qui se pensent face à un peloton d’exécution quand ils se prennent du pepperspray dans les yeux. Qui se disent alors « gazés » — tant qu’à faire — car ces étranges animaux s’imaginent à Auschwitz quand ils ne sont que dans le triste cirque qu’ils se sont eux-mêmes clowné.
Mais faut les comprendre.
Comment voulez-vous que ces résistants autoproclamés pardonnent à ceux qui, un jour, se sont vraiment retrouvés à l’hôpital avec une balle dans le bras, et tous leurs potes à la morgue, pour avoir cherché à préserver une liberté ? Comment voulez-vous que ces manifestants professionnels, qui en jouissent tant, mais croient risquer leur vie chaque fois qu’ils sortent avec un calicot dans la rue, pardonnent à Charb, Wolinski et les autres d’être morts, vraiment morts, pour qu’ils puissent continuer à s’exprimer si librement ?
N’empêche. Le libre examen est en danger. Peut-être même moribond. Si on continue à se taire, à tolérer des burqa blabla ou des Charlie dehors, il crèvera peut-être. La liberté d’opinion avec. Il faudra alors se souvenir que ce n’est pas l’extrême droite qui aura eu leur peau, à ces chères valeurs. Mais bien une bande de hargneux et de hargneuses qui, chaque matin, se glapit de gauche.
Mais bon. Ne leur jetons pas trop la pierre. Ils sont jeunes. Ils ne savent pas que l’inventeur de leur forme si bizarre d’antifascisme s’appelait Staline.
30 Comments
La Vraie Pensée Écolo
février 13, 16:38EWBANK Alexis
février 13, 17:19Yves-Pierre Duquesne
février 13, 17:31Arnaud de la Croix
février 13, 17:47Frédéric Naisse
février 13, 17:56caroline
février 13, 18:07u'tz
février 14, 02:24marcel
février 14, 20:55u'tz
mars 11, 23:03Denis Jouniaux
mars 12, 11:22marcel
mars 12, 13:24David
février 14, 10:36DR
février 14, 12:01marcel
février 14, 21:02Ks
février 14, 22:21marcel
février 15, 10:49Philippe
février 15, 10:08DR
février 15, 11:19marcel
février 16, 01:55yerna philippe
février 14, 16:21Salade
février 14, 16:29Philippe
février 15, 10:04Robert Chermanne
février 15, 10:46Francis Lees
février 15, 11:05marcel
février 16, 01:56Salade
février 17, 12:24u'tz
février 20, 20:00u'tz
juillet 09, 21:38marcel
juillet 09, 22:05Salade
février 24, 12:15