Confédéralisme : le momentum N-VA est arrivé (avec les compliments du MR).
Je l’ai écrit en 2014 : la Suédoise était une kamikaze. D’abord pour le MR, qui y a perdu trente pour cent de ses sièges. Ensuite, pour la Belgique. Charles Michel avait promis cinq ans sans communautaire. Il n’a pas pu tenir sa promesse : celui-ci est bel et bien de retour depuis la chute de son gouvernement avec les nationalistes.
Mais surtout, les conditions au sortir de ces élections sont presque idéales pour la N-VA. Certes : elle a elle-même perdu un quart de ses sièges. Mais la coopération du MR avec les nationalistes a permis à la gauche francophone d’emporter les élections haut la main, et Bart De Wever peut aujourd’hui justifier de ses prétendues « deux démocraties » pour rendre le fédéral ingérable. La Flandre « de droite » d’un côté, la « Wallonie » de gauche, de l’autre. Et avec des exclusives envers trois partis qui, ensemble, constituent une majorité francophone (le PS, Ecolo et le PTB), tout est en place pour rendre la formation d’un gouvernement fédéral… impossible.
La dame du jeu d’échecs s’appelle « minorité flamande »
Seule possibilité raisonnablement crédible aujourd’hui : une coalition sans la N-VA, mais elle serait forcément minoritaire côté flamand — une éventualité que Bart De Wever a exclue d’office. Mais aura-t-il le pouvoir de l’empêcher ? En tout cas, il prend celui de la retarder. Son flirt apparent avec le Vlaams Belang ressemble en effet à un avertissement au CD&V et à l’Open VLD : « votre participation au gouvernement flamand n’est pas acquise, qu’est-ce que vous croyez ? »
Ira-t-il jusqu’à conditionner la participation à ce gouvernement flamand au refus des partis traditionnels de centre droit et de droite d’entrer dans une coalition fédérale minoritaire en Flandre ? C’est en tout cas ce qu’on ferait à sa place. La N-VA peut donc aujourd’hui s’appuyer sur la montée du Vlaams Belang à titre d’avertissement. Si chrétiens-démocrates et libéraux tentent de jouer sans les nationalistes, une autre coalition, repoussante, pourrait surgir en 2024. Et à ce titre, la perte en sièges de la N-VA est compensée par la montée du Belang, un épouvantail qui sera utilisé jusqu’à plus soif.
Échec et mat pour le fédéralisme
Dans le jeu d’échecs qui se joue sur tous les terrains, ce n’est donc pas par hasard si le mot « confédéralisme » est réapparu dans toutes les bouches nationalistes. Bart De Wever, il y a deux jours : « avec le PS, on ne peut parler que de confédéralisme ». Il sait bien sûr qu’il ne peut pratiquement pas y avoir de majorité fédérale sans le PS. Theo Francken avait déjà averti avant le 26 juin. Il a encore prononcé le mot le premier juin lors d’une interview, mais la plupart des observateurs, trop occupés à s’effrayer de sa proposition de négocier avec le Vlaams Belang, n’y ont pas fait vraiment attention. Zuhal Demir, hier : « ceci est le moment décisif pour le confédéralisme ». Un confédéraliste, ça va, trois, bonjour les dégâts. Ce dimanche, sur RTL-TVI, la vice-présidente de la N-VA, Cieltje Van Achter, sortait le mot à son tour : le confédéralisme est la solution.
Et pour ceux qui douteraient encore qu’il s’agit bien d’une stratégie cohérente du parti, la N-VA a publié une vidéo en français, Le Confédéralisme en une minute, alléchante pour les naïfs : chacun en tirerait un grand bénéfice. Sauf, bien sûr, Bruxelles qui y perdra son autonomie et sera « cogérée ».
La Suédoise fabrique des stars, et Bart m’é-pat !
J’ai cru naïvement en 2014 que la N-VA n’irait pas au gouvernement fédéral, parce que c’était absurde pour un parti séparatiste. J’ai sous-estimé les effets positifs potentiels d’un tel choix. Il faut dire que je n’aurais jamais cru que le MR tolèrerait un Jan Jambon à l’intérieur et un Theo Francken à l’immigration. Ajoutés à Steven Vandeputte à la Défense, les Francophones laissaient aux Flamands les postes régaliens « musclés » et leur bénéfice en voix. Et de fait, le calcul était magistral. Il a propulsé Jambon et Francken dans la tête des charts non seulement flamands, mais aussi francophones.
Ainsi, à partir de pratiquement rien, la N-VA a donc bâti deux nouvelles superstars. Theo Francken a triplé son score, de 44 498 électeurs en 2014 à 122 738 en 2019, passant de la 16e place en voix de préférence à la 3e. Mieux : le 33e du hit-parade de 2014, Jan Jambon, a sextuplé son score, de 29 616 à 187 826, caracolant désormais à la première place des voix de préférence, devant… Elio Di Rupo ! Troisième politique nationaliste à profiter de l’effet fédéral : Zuhal Demir, qui triple son score aussi, de moins de 20 000 votes à 61 444. Pour une élégante sixième place. Et un sacré contraste avec un Didier Reynders, par exemple, qui a perdu… la moitié de ses voix de préférence !
Côté flamand, les autres partis coalisés de la Suédoise sont, au mieux, restés stationnaires (De Croo, Geens). Mais Maggie De Block a perdu plus des deux tiers de ses fans. De 131 000 à 40 000… Autrement dit, la participation de la N-VA au fédéral a été une machine à fabriquer des stars et à racrapoter celles des autres participants. Dont, bien sûr, le MR.
D’où le soupçon d’un calcul machiavélique (au sens premier) de la part de Bart De Wever. Participer au fédéral, oui, mais en tirant les autres partis vers sa politique. Tax shift, immigration, et une gestion très « flamande » de l’économie. Hormis le CD&V qui a passé son temps à expliquer que ce n’était pas « sa » politique, les deux autres — les libéraux — ont suivi. Et perdu.
Le Vlaams Belang fait cavalier… seul
Certes, comme je disais, la N-VA a perdu des plumes aussi. Mais pas son combat, puisque ses sièges envolés passent chez d’autres nationalistes totalement infréquentables et le fait que Bart De Wever les instrumentalise pour affoler les démocrates et la gauche n’a rien d’un hasard : c’est finement joué. Les cris d’orfraie que lui renvoie notamment la gauche francophone ne sont alors que du double bonus.
Aujourd’hui, la N-VA est repartie sur sa route fondamentale : avancer vers la scission du pays. En dégoûtant les francophones. Ou en les appâtant. Et dans cette aventure, au final, le MR aura joué un rôle crucial, en se sabordant. Kamikaze !
La N-VA croit percevoir aujourd’hui un nouveau momentum pour la scission définitive de la Belgique. Ce n’est pas la première fois. Nous avons vécu 541 jours sans gouvernement fédéral lors de la précédente, le temps que le CD&V accepte de se déscotcher de la N-VA. Toute la question est désormais : combien de temps cela durera-t-il cette fois ? À moins que la vraie question soit : aura-t-on encore un gouvernement fédéral en Belgique ? Allez, zou : à vos marcs de café !
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©Marcel Sel 2019. Distribution libre à la condition expresse de citer l’auteur (Marcel Sel) et d’établir un lien avec cette page.
7 Comments
ut'z
juin 16, 20:43ut'z
août 12, 21:28lievenm
juin 17, 10:18marcel
juin 17, 10:44lievenm
juin 18, 07:55Wallon
juin 20, 17:42Janluc
juin 27, 20:58