Pourquoi François Fillon a raison de continuer.
Ce weekend, VSD annonçait le retrait de la candidature Fillon pour ce mardi. Dans le camp du candidat LR à la présidence, on proteste, on continue à militer et à organiser la résistance. Le message est clair : non, Fillon n’a aucune intention de renoncer. Il n’a pas laisser planer le moindre doute lors de sa conférence de presse. Et il a raison.
Comprenez-moi bien. Je pense qu’il y a un scandale Fillon. Je pense que payer son épouse à ne « rien » faire, même s’il apparaît ensuite que c’est légal, n’est pas digne d’un candidat à la présidentielle. Surtout s’il se targue de défendre l’éthique et la morale. Ou s’il se réclame de Charles de Gaulle, qui payait ses timbres-poste lui-même.
Mais il est trop facile d’en déduire que Fillon n’a qu’un recours, la démission, sans au moins lire l’opinion adverse. Elle s’exprime le plus clairement sous la plume de Vincent Goyet, conseiller municipal LR à Saint-Mitre-les-Remparts (oui, ça existe) et soutien indéfectible de François Fillon. Cela permet déjà de comprendre que 64 % des électeurs des Républicains continuent à soutenir celui qui, pour une majorité à gauche, ne serait qu’un « pourri ».
Vincent Goyet explique notamment que l’élu est libre d’utiliser le montant qui lui est attribué pour rémunérer un-e ou plusieurs assistant-e-s. Et il se base sur la carrière totale de François Fillon (35 ans), à laquelle son épouse a forcément été associée, pour calculer que ces 831 000 euros bruts gagnés sur quelques années reviennent en fait à un maigre 1 500 euros net par mois. Reconnaissons que ça fait tout de suite moins scandaleux.
En même temps, des tas de gens travaillent à plein temps, durement, pour moins que ça (surtout à l’époque des faits). La démonstration de Goyet rate aussi sa cible quand il explique qu’il y a une masse énorme de travail à accomplir quand on est assistant-e. Car apparemment, ce n’est pas ce que Pénélope a assuré. On arrive alors à la question fondamentale : a-t-elle mérité ce revenu ? Autrement dit : est-elle un bon exemple de première dame et son époux, qui l’aurait donc rémunéré exagérément en connaissance de cause, un bon exemple présidentiel ?
Soyons cyniques : en politique, ce n’est plus l’image morale qui compte.
Pour beaucoup, la réponse semble être « non ». C’est important, certes. Pour l’image morale. Mais, soyons cyniques, l’image tout court l’est plus encore. Et de ce point de vue-là, l’interview anglaise présentée sur France 2, loin de casser l’image de Pénélope Fillon, a révélé une femme discrète, « normale », un peu désespérée d’être vue par ses enfants comme une mère au foyer. Une femme apparemment fragile et sincère que personne n’a envie de « casser ». Un contraste énorme avec la furibarde Valérie Trierweiler, une Carla bling-bling et une Bernadette Chirac souvent présentée comme acariâtre. Involontairement, Pénélope Fillon est peut-être même devenue un atout inattendu pour le candidat. Et le fait que François pense d’abord à la « protéger » lui donne certes un air de mari à l’ancienne, un peu macho et paternaliste, mais bienveillant, et tout cela cadre parfaitement avec son image conservatrice.
Reste l’aspect « légal ». François Fillon a apparemment profité d’un système mal fichu (modifié depuis) de manière peu licite, ou du moins, peu morale. C’est inacceptable pour un candidat « éthique », évidemment. Mais soyons cohérents. Qu’en était-il des présidents précédents ?
Rappelez-vous. Quand Jacques Chirac s’est présenté à la présidentielle de 2002, il avait déjà bénéficié d’une mesure d’immunité (en tant que président) dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Il ne s’agissait pas d’une seule personne employée fictivement, mais de tout un système. Il s’est représenté envers et contre tout, a été réélu face à Jean-Marie Le Pen, et largement. Et tout le monde a poussé un grand ouf de soulagement.
Quand Nicolas Sarkozy se représente en 2012, il a déjà plusieurs affaires collées aux basques — pour lesquelles il a ensuite été généralement blanchi. Un attentat au Pakistan, l’affaire Bettencourt, l’affaire Tapie. Il ne se retire pas de la course à la présidentielle pour autant, mais la perd — humiliation suprême : contre le remplaçant d’un Dominique Strauss-Kahn condamné par ses frasques sexuelles. Quand il se présente à la primaire LR en 2016, il trimbale en plus des valises libyennes et la casserole Bygmalion. Là aussi, il est balayé, mais les affaires étaient-elles la vraie raison ? N’a-t-il pas plutôt lassé par son rythme hystérique et ses amitiés bolloréennes ?
En fin de règne, François Mitterrand fut lui-même accusé du pire des crimes imaginables dans notre société, la participation au régime de Vichy (avant toutefois de choisir la résistance active). Aurait-il pu retrouver la présidence ensuite s’il avait pu se représenter ? L’on peut penser que oui.
Alors, revoyons de quoi François Fillon est accusé. D’avoir utilisé le droit d’engager un-e assistant-e pour rémunérer sa femme qui n’aurait pas réellement travaillé, il y a neuf ans et plus. Soit. Mais il pourrait arguer, comme le fait Vincent Goyet, que la loi était floue, que de nombreux élus ont agi de même, et que sur ses 35 ans en politique, la contribution de son épouse (engagement politique, accompagnement aux meetings, ouverture du courrier, etc.) valait bien un peu plus de 831 000 euros bruts. D’autant que s’il ne les avait pas utilisés, il aurait pu s’en voir rétrocéder une partie, importante selon Goyet (d’autres sources contestent cet argument).
Certes, la ficelle est un peu grosse. Mais imaginons François dire à Pénélope « écoute, ma mie, toi que j’aime par-dessus tout, tu as consenti d’incroyables efforts, tu as subi pour moi, tu as lu des milliers de lettres de partisans et d’opposants, c’est un peu normal qu’à un moment donné, tu sois rémunérée pour l’ensemble de ton œuvre ». Un peu comme un César d’honneur.
Est-ce immoral ? Un tribunal le jugera peut-être. Mais il restera toujours difficile de se faire une idée de l’activité réelle de Pénélope à l’époque. Difficile alors de juger. Et restons cyniques : l’électeur est souverain. C’est sa perception de l’événement qui compte. Pas la réalité des faits. Sinon, les Balkany n’auraient jamais gardé leur pouvoir à Levallois. Et soyons concrets : si Fillon se retirait aujourd’hui et qu’il apparaissait ensuite qu’il n’a rien fait d’illégal, qu’aurait-on gagné ?
Si beaucoup d’électeurs sont choqués par le cas particulier de la famille Fillon, d’autres se demandent d’abord combien d’autres politiciens ont fait de même, et de (très) relative bonne foi.
De même pour ses enfants, sur lesquels Le Monde est revenu ce matin avec d’autres révélations, sans toutefois démontrer qu’ils n’auraient pas travaillé, mais en insinuant (non sans éléments) que leur activité n’était pas celle d’assistants parlementaires. De nouvelles informations qui ne semblent pas aggraver la position de François Fillon mais au contraire, sonner de plus en plus creux. Le scandale finit par lasser.
Bien sûr, ses enfants ont bénéficié d’un salaire démentiel pour de jeunes « stagiaires » non encore diplômés. En même temps, on ne peut pas reprocher à un père aisé de vouloir leur mettre un pied à l’étrier. Et à nouveau, combien d’autres parlementaires l’ont fait ? Certes, démarrer dans la vie avec un revenu aussi élevé (que moins de 10 % des Français gagnent), ce n’est pas une très bonne leçon. C’est soustraire d’emblée ses enfants à la réalité qu’ils seront, peut-être, un jour, chargés de gérer pour des millions de Français.
Mais les politiques ne comprennent plus la vie que leurs administrés mènent. Ils sont dans une autre dimension (et l’ont probablement toujours été plus ou moins). Envoyer ses mioches bosser sous des caisses huileuses chez le garagiste d’à côté, ou récolter des pommes en Corrèze me paraît plus instructif. Reste que cette partie-là de l’affaire pourrait aussi rapidement faire flop : c’est François Fillon lui-même qui a vendu la mèche ! De son point de vue, c’était un argument, pas un aveu.
La morale est finalement à la fois l’engagement et le problème de François Fillon. C’est la morale qu’il incarne. C’est logiquement au nom de la morale qu’on lui demande de renoncer. Mais on évoque alors souvent son remplacement par l’un des autres candidats malheureux à la primaire. Alain Juppé a, lui, bel et bien été condamné pour emplois fictifs (il a alors payé aussi pour des pratiques largement organisées par son parti, mais son image ne devrait logiquement pas être plus blanche que celle de Fillon). Certains rêvent plutôt de le remplacer par Sarkozy, pourtant empêtré dans une batterie de casseroles à rendre le vieux conseiller culinaire Gaston Clément blanc de jalousie. Quant aux autres candidats potentiels (Baroin, etc), on ne sait évidemment pas ce qu’on pourrait leur découvrir.
La crise Fillon est peut-être déjà derrière lui.
Face à tout ce déballage, Fillon est pragmatique. Au final, ce sera à l’électeur de juger. Tant que le scandale ne lui ferme pas définitivement une potentielle entrée à l’Élysée, il a raison de continuer. S’il a baissé dans les sondages au point de ne plus être au second tour dans les projections actuelles, il sait que c’est momentané. Sauf nouvelles révélations, la crise est déjà passée. D’abord parce que l’histoire est ancienne. Ensuite, parce que la diffusion d’Envoyé spécial était le momentum qui pouvait le faire tomber, ou non. Il y a résisté. Désormais, il peut espérer remonter dans les intentions de vote, d’autant que certains lui reconnaîtront la gratifiante qualité d’avoir résisté à une adversité plutôt dure. La résistance peut être vue comme une qualité présidentielle.
Les dernières attaques ne convaincront d’ailleurs plus grand monde. On lui reproche désormais d’avoir un château avec un cependant modeste 7ha de terrain. Un château, pour un candidat de droite, c’est pourtant presque une tradition depuis Giscard d’Estaing. Jacques Chirac avait le sien aussi. Après, on ne trouve apparemment plus rien de bien scandaleux. On lui reproche d’avoir mis son château aux Monuments historiques, la belle affaire. Ou d’avoir mis une partie de ses terres en bail de fermage, contre paiement en nature (converti, depuis, en euros), ce que certains présentent comme une pratique moyenâgeuse. C’est évidemment amusant de découvrir que la campagne a des pratiques ancestrales, mais un tel bail permet au locataire-agriculteur d’aligner le prix de sa location sur la valeur du blé ou du bœuf. Là encore, il n’y a rien à trouver.
Reste le salaire étrange de son épouse à la Revue des Deux Mondes. Selon Le Monde, il pourrait rétribuer la légion d’honneur obtenue par son propriétaire, deux ans avant. Deux ans ! Ça paraît dur à croire.
Au final, on a peut-être aujourd’hui un portrait complet du candidat. Pas irréprochable moralement, mais plutôt moins pire que ses prédécesseurs de droite. Peut-être a-t-on été jusqu’au plus noir de l’homme, ce serait presque rassurant. Quant au côté châtelain prolifique du candidat, il cadre plutôt bien avec ses idées conservatrices. Il n’est pas moderne, il n’est plus le modèle moral, mais il reste cohérent. Un président normal de droite catholique, en quelque sorte.
Mieux (pour lui), il est humain. Quand toute la presse est contre lui, il répond par des gestes de tendresse envers sa femme (même s’ils sont un peu forcés et très paternalistes, on reste dans le cadre conservateur). On attaque le candidat, c’est l’homme qui répond. Ecce homo.
Le pire, en définitive, c’est qu’une fois de plus, pour se défendre de ce que d’autres auraient balayé comme une sorte d’affaire semi-privée (il était l’employeur de Pénélope, c’était à lui de savoir si elle méritait son salaire, par exemple), un candidat à la présidentielle s’en est pris à la presse. Ça devient une sale manie. François Fillon a agité un pseudo-complot venant de gauche ou de Sarko — certains ont cité Rachida Dati —, de « source sûre », sans l’ombre d’une preuve, et il laisse entendre qu’une certaine presse se serait laissé joyeusement manipuler. Au Canard, ce n’est pourtant pas le genre de la maison. Bref, Fillon aura, comme bien d’autres (Mélenchon et Le Pen font encore pire) répondu à côté de la question et contribué à jeter le discrédit sur le journalisme. Tragique.
Mais l’électeur n’a que ce qu’il mérite. Il veut des candidats forts. Des gros bras qui savent rendre coup sur coup. Il ne comprend pas la sincérité. Répondre honnêtement ou humblement ou demander des excuses est perçu comme une faiblesse. Fillon a pris ce risque. Il a sorti sa dernière main. On verra à présent s’il l’a emportée.
Entretemps, n’en déplaise à beaucoup de journalistes, n’en déplaise à ma propre opinion, à mon amour de la belle politique et à mon admiration pour l’éthique du Général de Gaulle, François Fillon a raison de continuer. Déjà, parce que son scandale n’est pas pire que ceux dans lesquels ses prédécesseurs ont été mêlés. Mais surtout parce qu’il pourrait gagner. Et de nos jours, en politique, il n’y a — hélas — plus que ça qui compte.
Il a raison de continuer, parce qu’au premier tour, Emmanuel Macron (qui n’a toujours pas de programme), Benoît Hamon (qui manque de bouteille et de charisme) et l’éclatement de la gauche pourraient recycler le scénario de 2002. Et contre Marine Le Pen, il faut du muscle. François Fillon est peut-être le mieux à même d’incarner ce muscle. La morale n’y aura pas gagné, c’est évident. Mais la morale, vous savez, à l’ère de Donald Trump, c’est finalement — hélas, mille fois hélas — quelque chose de très relatif.
56 Comments
Miyovo Ceviki
février 06, 18:14marcel
février 07, 13:11Miyovo Ceviki
février 07, 20:13marcel
février 08, 14:57Tournaisien
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février 08, 21:53Wallimero
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février 07, 13:13coppola christian
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février 08, 01:42marcel
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février 08, 01:45Bernard Mélon (@happymerlin)
février 08, 13:58vince01
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mars 02, 19:05marcel
mars 02, 20:06Pourquoi Fillon doit arrêter. | Un Blog de Sel
mars 04, 16:18