La Belgique « arrête » la Ligue des Droits de l’Homme. Quand l’hystérie a raison des idées.
Ça a fini par un « dérapage ». C’était ce midi dans C’est pas tous les jours Dimanche sur RTL-TVI (vidéo ci-dessous). L’un des chroniqueurs maison, Alain Raviart, excédé d’être interrompu constamment par sa consœur Emmanuelle Praet, qui défendait bec et ongles l’arrestation d’Alexis Deswaef, président de la Ligue des Droits de l’Homme, a fini par lui sortir « Défends tes amis nazis ». Dérapage…
Ou plutôt, point d’orgue de l’hystérie collective qui s’est emparée de notre pays. L’émission en était le reflet, entre un Luckas Vander Taelen (Groen) qui tenait à brandir que « La Flandre a sali Bruxelles » était raciste (le même jour, Bart De Wever relançait une nouvelle attaque sur Bruxelles sans que ça ne dérange Luckas…), et une Emmanuelle Praet plus remontée que jamais, brandissant le bon droit policier contre ce Deswaef décidément provocateur.
Et puis, un courant d’air frais : Michel Henrion disant très posément qu’on n’a pourtant pas à se demander s’il est normal qu’Alexis Deswaef — autrement dit la Ligue des Droits de l’Homme, représentante belge de la FIDH (créée en 1922, soit dit en passant) — se trouve à la Bourse, même si toute manifestation y était interdite.
Un commissaire de police n’a pas à se demander de quel bord est le président de la Ligue des Droits de l’Homme.
Car l’interdire de présence à cet endroit à ce moment, c’est considérer que la ligue qui défend les droits de l’Homme en Belgique est partiale, ou que sa présence sur un lieu sensible est une manifestation ou une provocation. Un policier n’a pas à s’interroger sur les tendances politiques de celui qu’il a clairement identifié comme étant le président d’une institution chargée de diagnostiquer notre démocratie. Ni sur les intentions qui prévalent à sa présence.
À moins, bien sûr, que la Belgique de Charles Michel, ou la Bruxelles d’Yvan Mayeur, ne considère que la FIDH ou Amnesty International sont des organisations subversives, mais dans ce cas, nous nous retrouvons au même niveau démocratique que la Turquie d’Erdogan ou la Russie de Vladimir Poutine.
L’arrestation a été filmée. Elle fut précédée d’une sorte de vaudeville digne du mariage de Mademoiselle Beulemans entre le président de la Ligue des Droits de l’Homme et le commissaire Vandersmissen. Deux emmerdeurs.
Le premier est la cible d’une droite qui ne supporte plus qu’on pense autrement que très à droite, très conservateur, et met, pour cela, entre parenthèses une partie de ses principes libéraux fondamentaux.
Le commissaire Vandersmissen, cible favorite des agitateurs congénitaux.
Le second est la cible préférée de gauchos garantis d’origine, manifestants professionnels et autres agitateurs congénitaux qui placent l’action avant la raison, quitte à ne rien obtenir et à régresser plutôt que progresser, et n’hésitent pas à provoquer « la bête » pour avoir une belle vidéo antipolicière à monter en épingle et en réseau ensuite. Peu subtil ou trop généreux (au choix), le commissaire leur offre régulièrement des petites victoires propagandistes.
Dimanche, de même. Mais le problème, c’est qu’il n’a pas arrêté un agité du PTB, un skin d’ultragauche insultant, irritant, voire violent, ni même un meneur qui appelait des gens à se rassembler. Mais bien le président d’une Ligue nécessaire — de plus en plus dans une Belgique aux valeurs déliquescentes. En fait, son arrestation n’en est que la superbe démonstration.
Bossemans et Copenolle en live à la Bourse.
Les deux emmerdeurs se connaissent. Alexis Deswaef lui-même a défendu des Congolais qui auraient été la cible du « racisme » de Vandersmissen, en vain : le tribunal n’a vu d’insultes que dans le chef des… Congolais, dans une vidéo brandie comme preuve par Deswaef. Un coup dans l’eau.
Leur échange de dimanche dernier dissimule donc certainement des rancœurs accumulées. Ceci explique probablement le déroulement doublement tragediante-comediante de l’arrestation : le commissaire exige la carte d’identité d’Alexis Deswaef, en l’appelant… par son nom ! Ce faisant, il montre qu’il connaît parfaitement l’identité du président de la LDH. La demande de carte d’identité est donc inutile et inutilement vexatoire et n’a d’autre objet que de provoquer l’intéressé qui, évidemment, refuse. Son identité est connue, on sait ce qu’il représente. Il a sa place à cet endroit en tant qu’observateur même si tout rassemblement est interdit et c’eût été tout à l’honneur de la police d’accepter sa présence de bonne grâce et de montrer qu’elle pouvait interpeler les citoyens qui violaient l’interdiction de se rassembler et de manifester sans violence inutile.
Certains se plaignent que Deswaef ne fait alors aucun effort pour calmer le jeu. Et il est vrai qu’il lui suffit de faire remarquer au commissaire qu’il connaît parfaitement son identité et sa qualité, et d’ajouter qu’il est là à titre d’observateur. Ce qu’il ne fait pas : il se présente au contraire comme un citoyen lambda, ce qu’il n’est pas.
Mais ça ne justifie pas la suite. Parce que quoi que dise Deswaef, Vandersmissen sait qu’il n’est pas un citoyen lambda. Il l’arrête néanmoins. Le fait de le cibler pour ce qu’il est et ce qu’il représente est dès lors un précédent inquiétant. Le rôle de Deswaef est notamment de tester la résistance des droits dans des situations de crise. Or, nous n’y sommes même pas au moment où on l’interpelle : il y a un mini rassemblement sur la place de la Bourse, quelques jeunes jouent de la guitare, rien ne permet de percevoir une menace. Lui-même n’en est pas une. Sauf pour ceux qui pensent que les Droits de l’Homme sont un problème. Vous en êtes ?
Pendant qu’on arrête le président de la Ligue des Droits de l’Homme, l’extrême droite manifeste peinard à Dilbeek et sous l’atomium.
Pendant ce temps, juste de l’autre côté de la frontière linguistique, une trentaine de manifestants d’extrême droite se baladent derrière une banderole, sans que les condés flamands n’arrêtent qui que ce soit. Ils se sont aussi promenés tranquillou à l’Atomium qui se trouve aussi sur le territoire de Bruxelles-ville. Sans problème.
Une semaine plus tôt, les individus qui avaient fait des saluts nazis — interdits en Belgique — n’avaient pas été arrêtés non plus — à quelques exceptions près. Ils étaient pourtant mille fois plus menaçants, avaient, avant d’arriver sur la place, déjà fait preuve de violence, dans un magasin notamment. Ils ont frappé plusieurs personnes venues se recueillir en mémoire des victimes des attentats du 22 mars. Une honte, à tous points de vue, qui marquera pour longtemps l’image déjà terriblement écornée de la Belgique. La police les avait gentiment accompagnés et raccompagnés.
Après avoir donné au monde une image aussi extrême de notre pays déjà si mal vu, la moindre des choses était de rattraper le coup ! L’arrestation du président de la Ligue des Droits de l’Homme belge devant les caméras alors qu’il ne menaçait rien, ne frappait personne, ne faisait rien de répréhensible, était une faute d’autant plus lourde. Or, il était urgent de ne plus en faire.
Le commissaire Vandersmissen n’a pas perçu cette urgence. État dans l’État, la police de Bruxelles n’a pas hésité à écorner encore son image. Il a fallu qu’il marque le coup en arrêtant non seulement Alexis Deswaef mais aussi un journaliste de ZinTV qui ne faisait, lui aussi, que couvrir l’événement.
Une hystérie qui amène une ribambelle d’amalgames et finit en noms d’oiseaux.
Ensuite, l’hystérie s’est emparée des réseaux sociaux. Il fallait être blanc ou noir. Ceux qui aiment Alexis Deswaef parce qu’il s’en est déjà pris régulièrement à Vandersmissen ont hurlé au fascisme, non pas pour défendre les Droits de l’Homme ou son représentant, mais parce que pour eux, le gars est « dans leur camp » et le commissaire dans l’autre, youkaïdi youkaïda et ça suffit à retarder toute réflexion, tralala !
Ceux qui aiment l’ordre, qu’ils voient incarné par le remuant commissaire, ont hurlé que Deswaef avait provoqué et que c’était bien fait qu’il fût arrêté nananère, d’ailleurs, c’est qu’un sale gaucho pan dans les dents. Et il est d’extrême gauche, c’est pire que l’extrême droite et paf sur ton pif.
Après, ne vous étonnez pas que des gens se demandent si certains de ces anti-Deswaef rugissants ne préfèrent pas, quelque part, les nazis hooligans à la Ligue des Droits de l’Homme… On n’a en effet pas vu une telle rage de leur part une semaine avant, contre les fascistes.
Et c’est tragique. Car si la Ligue des Droits de l’Homme ne peut plus être sur les lieux lors d’un événement qui oppose policiers et manifestants, avec les excès potentiels que ça entraîne, alors notre démocratie a du souci à se faire. Et l’idée que les démocrates de droite ne comprennent pas cette équation simple, ou ne veulent plus la comprendre, est très inquiétante. Michel Henrion a bien résumé ce point : si Erdogan avait arrêté le président de la ligue des Droits de l’Homme turque, on aurait unanimement crié au loup (gris).
Après, l’hystérie a apparemment aussi gagné un syndicat policier, dont un président local a carrément appelé à interdire Alain Raviart d’antenne. Moi, quand la police en arrive à demander une censure, je suis comme qui dirait très mal à l’aise. Du reste, Raviart a bien insulté Emmanuelle, mais pas la police !
Le problème de fond n’a pas pu être traité faute de pouvoir le diagnostiquer.
Outre l’invraisemblable attaque publique d’Yvan Mayeur contre sa propre police, le problème que cette affaire révèle concerne le commissaire Vandersmissen en premier et l’hystérie a empêché qu’on l’évoque. Vandersmissen est responsable de l’image qu’il projette de la police bruxelloise et de la ville de Bruxelles en général. En arrêtant Deswaef pour l’exemple, il a contribué à écorner cette image. Ce n’est pas la première fois qu’il fait preuve d’un excès de zèle qui ne sert personne, ni l’ordre, ni la police, ni l’image de la ville, ni lui-même. Si Vandersmissen pense encore que se faire plaisir en donnant une leçon au président de la LDH est la bonne façon de redorer le blason de son service et de Bruxelles, il n’est pas à sa place. Il ne reste qu’à espérer qu’il ne se contente pas d’écouter les louanges faciles d’une droite dévoyée et qu’il soit au contraire capable de se remettre en question. Et que la prochaine fois, il mettrait son esprit de corps avant le petit plaisir d’arrêter un avocat (Deswaef) contre lequel il a une dent.
Hélas, la police et ses syndicats, tout comme une partie de la droite qui le soutient mordicus, ont largement déplacé ce débat qui fut donc étouffé.
Une question se pose aussi à la Ligue elle-même : Alexis Deswaef défend-il trop ostensiblement « la gauche » face à la police, par pure préférence idéologique, comme certains l’affirment ? Ça ne justifie pas une arrestation, bien évidemment. Mais si c’est le cas, il faut corriger le tir. On attend une Ligue des Droits de l’Homme impartiale, sans préférence partisane. Il en va aussi de sa crédibilité.
Le clash de ce midi sur RTL-TVI, n’est donc que l’image du débat ultrapolarisé qui témoigne d’une dérive conservatrice de nos sociétés. Je me dis — sans preuves bien sûr — qu’il y a vingt ans, Louis Michel aurait protesté contre l’arrestation du président de la Ligue des Droits de l’Homme par la police. Aujourd’hui, des membres de son parti en arrivent au contraire à mettre au même niveau des saluts nazis et un regroupement pacifique un peu bobo. C’est profondément triste, mais surtout profondément interpellant.
La défense radicale d’Emmanuelle Praet tout comme le « dérapage » d’Alain Raviart, eux, ne sont au final que le reflet et l’aboutissement de cette dérive, dans un débat qui est rapidement monté en neige dans une ambiance électrique. Après, il y a eu insulte. Et qui dit insulte, dit excuse. C’est qui fut fait dans l’après-midi.
54 Comments
Pierre Verhas
avril 11, 05:46J Monteyne
avril 11, 07:49Tournaisien
avril 11, 08:22Pfff
avril 11, 16:27Pfff
avril 19, 13:37Pfff
avril 11, 16:59Tournaisien
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avril 11, 17:43Yves
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avril 19, 13:41Didier
avril 11, 08:42Lilly
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avril 11, 12:14Renal de Waterloo
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avril 12, 12:53Wallon
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avril 11, 12:26Lachmoneky
avril 11, 14:02Georges-Pierre Tonnelier
avril 11, 15:08Jester
avril 11, 10:03Salade
avril 11, 10:35Salade
avril 12, 19:08Salade
avril 13, 11:09u'tz
avril 11, 12:17Salade
avril 13, 10:59marcel
avril 14, 01:00Salade
avril 14, 18:42u'tz
avril 14, 19:44Georges-Pierre Tonnelier
avril 11, 12:36Georges-Pierre Tonnelier
avril 11, 15:03u'tz
avril 12, 21:38u'tz
avril 12, 21:53Hugues Crepin
avril 11, 13:55spamerino
avril 12, 23:28guypimi
avril 11, 14:33moinsqueparfait'
avril 11, 16:22Capucine
avril 11, 17:48Gilles - Bxl
avril 11, 17:50Gilles - Bxl
avril 11, 17:56Rivière
avril 11, 18:28Wallimero
avril 11, 19:10Pfff
avril 11, 19:33marcel
avril 14, 00:53MUC
avril 12, 07:48marcel
avril 14, 00:55MUC
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avril 14, 08:36Rudi
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avril 12, 09:13moinsqueparfait'
avril 12, 11:35Tournaisien
avril 12, 12:25Lachmoneky
avril 14, 09:39Capucine
avril 12, 19:36