Paniekvoetbal : le jour où la N-VA a fermé Bruxelles.
Dans Les Experts de ce samedi, Christos Doulkeridis (Ecolo) imaginait qu’un des facteurs de la fermeture de Bruxelles, du 21 au 25 novembre, était l’opportunisme de la N-VA. S’il est évident qu’une telle chape de plomb sur la ville arrangeait bien le parti de Bart De Wever, toujours vindicatif envers la Capitale et sa majorité francophone, la seule volonté de salir la ville ne peut expliquer la séance de paniekvoetbal (football panique) dont les Bruxellois ont été les témoins désolés. Voici mon hypothèse.
Selon la DH, le lockdown a été provoqué par une menace d’attaque contre le métro et aggravé, le dimanche soir, par un SMS annonçant « On est cramés. On doit le faire avant demain ».
Si l’on en croit cette version, la cible était claire, le moment aussi. Il n’était apparemment pas nécessaire de tout fermer pendant cinq jours et la démonstration de force (avec des blindés dans les rues et sur la Grand Place) était disproportionnée.
Bruxelles a perdu vingt ans d’efforts touristiques. En deux jours.
Elle dépassait même les mesures prises généralement dans les villes touchées précédemment par un attentat. Bruxelles a littéralement subi un état de siège policier et militaire. Il a coûté une fortune à la ville et à ses commerces, avec jusqu’à 90 % d’annulations dans certains hôtels et des pertes de revenus ahurissantes dans les commerces. L’image touristique de Bruxelles est ratatinée et, selon Didier Gosuin et Christos Doulkeridis, tous deux ex-ministres du tourisme bruxellois, on a perdu une ou deux décennies d’efforts constants pour faire de Bruxelles une destination de minitrips.
Évidemment, la N-VA n’est pas seule responsable de ces choix militaristes. Mais c’est le poids lourd du gouvernement, et elle tient deux ministères-clés, la Défense et l’Intérieur. Je pense que son jusqu’au-boutisme vient du fait que celle-ci ne pouvait absolument pas se permettre un attentat sur le sol belge. Voici pourquoi.
La N-VA, société nationale de sécurité.
Tout a commencé lors de la formation du gouvernement Michel. Les nationalistes flamands se sont arrogé les portefeuilles ministériels liés à la sécurité. Le ministère de l’Intérieur, celui de la Défense, le secrétariat d’État aux migrations (qui est aussi un facteur de sentiment d’insécurité) devaient leur permettre de prouver leur capacité à réaliser le modèle de société « dur » et sécuritaire qu’ils prônaient. Et séduire l’électeur potentiel de 2019.
Ça a très bien commencé : un an après l’entrée en scène du gouvernement Michel, la presse continuait à boire les paroles de Jan Jambon ou de Theo Francken. Ce dernier annonçait qu’il était le premier secrétaire d’État aux migrations grâce à qui aucun demandeur d’asile ne dormait dans la rue ? Les journaux publiaient, oubliant souvent de lui faire remarquer que c’était grâce à l’engagement citoyen (ces « gauchistes bien-pensants » qui s’étaient mobilisés pour créer un village au parc Maximilien). Même après la fermeture du parc, quand 150 demandeurs d’asile ont effectivement dû dormir à la rue, on a rarement confronté Francken à ses prétentions fantaisistes. Mardi dernier, De Morgen écrivait néanmoins que Theo Francken avait pratiquement été « sauvé » par l’alerte : il y aurait eu plus d’un millier de demandeurs d’asile dans la rue ces dernières semaines !
Quand Jan Jambon affirme que plus aucun jihadiste n’a quitté Anvers depuis des mois, personne ne le contredit !
Pareil pour Jambon. Ainsi, lorsqu’on a découvert que les attentats avaient été au moins partiellement organisés à Molenbeek, le ministre de l’Intérieur ne s’est pas privé de rejeter toutes les fautes sur la commune, égratignant au passage sa bourgmestre… libérale. Il a pu lancer une idée débile après l’autre sans beaucoup de résistance au nord. Ainsi, il allait « nettoyer » la commune. Voilà, voilà. Jambon annonça aussi qu’il allait sonner à toutes les portes de Molenbeek pour voir qui habite où — comme si la police molenbeekoise ne faisait pas déjà ça toute l’année ; comme si on pouvait vérifier l’intérieur des logements sans mandat. Trente-huit mille sonnettes à vérifier, mesdames, messieurs. Il s’enfonça encore en annonçant qu’il allait envoyer des dizaines de fonctionnaires pour le faire, alors que Molenbeek supplie qu’on lui envoie des policiers !
Au fil des jours, la presse est devenue moins tolérante, mais le mal était fait : l’électorat N-VA battait des mains à tout rompre à chaque coup de Jambon matamoresque, aussi bête fût-il !
Bart De Wever sortit lui aussi quelques stupidités qui passèrent comme une lettre à la poste, expliquant que la frontière linguistique « protégeait la Flandre du terrorisme » (grossière naïveté), qu’aucun returnee n’était en liberté à Anvers (grossier mensonge), ou encore, que plus un Flamand n’était parti récemment en Syrie (encore un mensonge). À nouveau, on lui a opposé très peu de contradictions alors que le returnee Michaël « Younnes » Deleforterie n’est pas seulement en liberté, il tient une boulangerie et se pavane à la télévision, où il explique qu’il comprend très bien qu’on décapite des journalistes dans l’État islamique !
Quant aux affirmations de Jambon et De Wever que plus aucun Anversois n’était parti en Syrie depuis des mois, elle est contredite par plusieurs spécialistes. Un exemple a même fait grand bruit : un imam anversois a tout récemment pris le chemin de Raqqa, après avoir prêché dans trois mosquées anversoises reconnues !
Bref, la N-VA avait réussi à diriger tous les regards vers Molenbeek. Même ceux de l’étranger.
L’attentat qu’il fallait à tout prix éviter.
Dès le lendemain du 13 novembre, le discours musclé des mandataires N-VA produisit ainsi un rideau de fumée et l’on ne demanda pas au ministre de l’Intérieur des comptes pour les erreurs éventuelles de la police fédérale. Comment quatre résidents belges avaient-ils pu avoir les coudées suffisamment franches pour organiser les attentats les plus sanglants depuis Madrid ? Comment avaient-ils pu faire autant d’aller-retour entre notre pays et la Grèce, l’Italie, la Syrie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne, la France ? À chaque question, la même réponse : c’était la faute à « Molenbeek ».
Le 16 novembre, la montée au niveau d’alerte 3 fut l’occasion pour Jan Jambon de montrer le caractère martial de son ministère : présence militaire renforcée, et du bleu partout. Puis, le vendredi 20 novembre, juste avant minuit, l’OCAM (l’office qui estime le niveau de menace) a annoncé le passage au niveau 4 à Bruxelles, et tout s’est emballé.
Un attentat aurait ratiboisé la réputation de formidabilité de la N-VA en Flandre.
Pour la N-VA, le spectre de ce qui ne devait en aucun cas arriver venait de se profiler : des attentats sanglants à Bruxelles. Un tel événement aurait sonné le glas de la réputation de formidabilité de la gestion nationaliste. On se serait mis à poser des questions en rafales (si j’ose dire), et Molenbeek n’aurait plus été une réponse suffisante.
D’atout, l’accaparement des postes sécuritaires par la N-VA est alors devenu un danger. On peut utiliser la communication pour se blanchir en cas d’urgence, d’alerte, de menace vague ou précise. Mais après un attentat, c’est nettement plus hasardeux.
Alors, il ne restait qu’une solution : prendre des mesures si extrêmes que, même si un attentat sanglant avait lieu, on ne pourrait décemment rien reprocher au gouvernement, et en particulier à Jan Jambon et à ses amis. Ils auraient, comme le dit si bien Maggie De Block, « fait leur possible ».
Et du coup, zou, on a tout fermé ! On a envoyé des blindés dans la rue. Des militaires en pagaille. Les policiers ont été rappelés. On a verrouillé le métro. On a fermé des centres commerciaux aussi éloignés du Pentagone (le centre historique de Bruxelles) que le Basilix. L’ambiance générale a dès lors vu germer l’angoisse plus sûrement encore qu’un attentat. Par contraste, Jambon devenait l’homme providentiel, le Grand Protecteur. Superflamand.
Des dominos dans le paniekvoetbal.
Une fois cette séance de paniekvoetbal engagée, plus personne n’a voulu être en reste. Aucun élu ne tient à être celui qui pourrait avoir négligé quelque chose si, par la suite, un attentat devait réellement survenir. La ministre francophone de l’éducation, Joëlle Milquet, a voulu qu’on ferme aussi les écoles. Son homologue néerlandophone, de même. Dame, on a bien arrêté des matches de foot, on a fermé le métro, la moitié des chauffeurs de bus ont refusé de travailler, on allait bientôt payer 50 € de prime de risque (!) aux chauffeurs de bus flamands pour qu’ils acceptent d’entrer avec leur véhicule dans Bruxelles… mais il faudrait laisser les écoles ouvertes ?
On a donc aussi fermé les écoles. Au moment de l’annoncer, Joëlle Milquet a clairement dit qu’on ne fermerait pas les crèches. Mais le ministre-président bruxellois n’a pas voulu, à son tour, prendre le moindre risque alors que tout le monde avait fermé boutique. Paf, on a aussi fermé les crèches. Là-dessus, on aurait bien laissé les cafés bruxellois ouverts. Mais, inquiet, le bourgmestre de Bruxelles, lui aussi, a fini par faire fermer ceux du quartier Saint-Géry, très crowded. Quand le paniekvoetbal commence, il devient vite général.
Bruxelles, à l’étranger, ressemblait tout à coup au Liban dans les années 80.
Et le manque de prévision du gouvernement fédéral s’est dessiné dès le lundi : dès lors que la N-VA (qui détient le ministère ad hoc et préside aux destinées du gouvernement fédéral) a verrouillé la ville en expliquant ce verrouillage par le niveau d’alerte 4, il fallait attendre que celui-ci baisse à 3 pour revenir à une situation économiquement, socialement, humainement supportable. Eh oui, on ne bloque pas une ville d’un million d’habitants sans se demander comment la débloquer si, par malheur, le niveau 4 allait perdurer ! Pourtant, c’est ce qu’on a fait !
Il n’y a donc pas eu de place pour un scénario de décompression au début du lockdown. Pourtant, depuis le Musée juif, depuis Charlie, on savait que ce niveau d’alerte pouvait survenir à Bruxelles ! On aurait dû être mieux préparés.
Après deux jours de fermeture à Bruxelles, confronté à l’extrémisme de ses propres mesures, et à leur effet sur la population qui se recroquevillait et suivait le mouvement amorcé par ses édiles en fermant volontairement leurs commerces ou en restant chez eux, sans compter l’image de la Belgique à l’étranger qui commençait à ressembler à celle du Liban dans les années 80, le gouvernement s’est rendu compte qu’il ne lui restait plus qu’à tout faire pour que ce niveau d’alerte baisse. Ce qui revenait, par exemple, à arrêter Salah Abdelslam ou à taper du pied dans la fourmilière.
Abracadabra, y’a plus de Salah.
Après la toute première perqui-chou-blanc de Molenbeek où l’on avait assiégé un pâté de maisons avec des tireurs d’élite, des démineurs et tout le tralala pour… rien — donnant l’impression qu’on cherchait surtout à impressionner et à répondre aux critiques contre le fantasmatique Jihadland belge —, la fourmilière a donc été prise d’assaut dès le dimanche soir, au second jour de l’alerte 4, et ce fut l’occasion d’une démonstration de force encore plus impressionnante. Aujourd’hui, une fuite a permis d’apprendre que c’était lié à un SMS.
La chape de plomb déjà imposée à la société « réelle » s’est alors étendue aux médias et aux réseaux sociaux, à la demande de la police fédérale. Et les mesures furent à ce point exceptionnelles dans un pays où la liberté d’expression ne souffrait plus la moindre exception depuis des lustres, qu’on a tous cru qu’on allait faire main basse sur une énorme quantité d’armes et d’explosifs, et arrêter des terroristes en pagaille. Dame, avec Jan Jambon à l’Intérieur, ça ne pouvait rater ! Quelques heures plus tard, le parquet a d’ailleurs tonitrué qu’il avait interpelé 15 suspects.
Mais le lendemain, on a relâché presque tout le monde, et on a annoncé qu’on n’avait absolument rien trouvé. Comme on ne nous communiquait toujours rien de plus précis, les médias se sont occupés en parlant des jolis chats de la veille. Les télés et les radios ont aussi dû digérer la « censure volontaire » de la nuit. Jean-Pierre Jacqmain (RTBF) a dû répondre, avec un peu de gêne, aux questions du Petit Journal de Canal Plus, promettant un débriefing. En Belgique même, ce débriefing n’a pourtant pas vraiment eu lieu, le chaos qui a suivi l’état de siège à Bruxelles ayant monopolisé les médias pendant près d’une semaine.
Quand Bernard Cazeneuve a accusé la Belgique d’être « coresponsable » des attentats, Jan Jambon, à côté de lui, n’a pas moufté.
Puis, il y eut cet incroyable retournement : alors que le niveau d’alerte devait rester inchangé jusqu’au lundi (étrange faculté de prédiction du gouvernement que voilà), l’OCAM a brusquement retourné sa veste en milieu de semaine et d’un coup de baguette magique, tout redevint presque normal.
David Copperfield n’aurait pas fait mieux. Et Jan Jambon pouvait tranquillement affirmer que lui et ses collègues avaient évité — abracadabra — des attentats. Il ne restait plus qu’à le croire sur parole. Les électeurs N-VA, eux, étaient extatiques : le merveilleux sauveur que voilà !
Soyons clairs : on a peut-être évité un attentat, en effet. Mais la question de la proportionnalité des mesures prises est évidemment cruciale : aurait-on pu l’éviter sans créer ce dommage énorme autant que durable à l’économie bruxelloise ?
Le temps de l’analyse, lui, était déjà passé. D’abord parce qu’entre-temps, des journalistes étrangers, du Monde, du New York Times ou de Politico, avaient taclé la Belgique sans pincettes et que ça n’a pas plu. Et plutôt que de se concentrer sur les erreurs belges, bien présentes, nombreuses, structurelles, et sur les questions laissées en suspens après ces innombrables démonstrations de force, certains journaux francophones — et non des moindres — se sont plutôt dressés comme un seul Belge pour répondre grossièrement à l’accusation « d’État failli », la plume dans le poing et la tête dans le cul.
Puis, le lundi, il y eut la COP21, et l’affaire était bouclée. Charles Michel a pris le temps de couvrir son gouvernement, de féliciter son ministre de l’Intérieur N-VA qui avait si bien travaillé, et de s’en prendre violemment à la France, tant à la RTBF que sur les ondes de BelRTL, brandissant le banditisme à Marseille ou les demandeurs d’asile de Calais comme preuve qu’en Belgique, tout fonctionnait pour le mieux. Et quelques Belges pleurèrent de voir leur premier ministre salir le voisin encore meurtri par des kalachnikovs venues de chez nous.
Pendant ce temps, la N-VA sortait la tête des tranchées. Elle avait montré ses poings, caché l’impéritie éventuelle du ministère de l’Intérieur, vendu Molenbeek et les zones de police bruxelloises comme seules causes de la « faillite belge ». On a sauvé le soldat Jambon.
Détail piquant : en s’en prenant à l’insécurité en France, Charles Michel oubliait pieusement que Jan Jambon se trouvait à côté du ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, quand celui-ci a martelé, au lendemain des attentats, que ceux-ci avaient été organisés « en Belgique ». Curieusement, Jan Jambon, lui, n’avait pas moufté ! Le lendemain, il sortait sa carte Molenbeek.
33 Comments
Dossier niveau 4 : c’est parce que le gouvernement refuse le débriefing qu’il faut le faire. | UN BLOG DE SEL
décembre 06, 15:24Georges-Pierre Tonnelier
décembre 06, 16:02Pfff
décembre 06, 22:22u'tz
décembre 06, 23:10Nyssen, Vivianne
décembre 06, 17:44Marcel Sel
décembre 08, 10:46Jean Dupont
décembre 06, 18:19Martine - Bxl
décembre 06, 18:20u'tz
décembre 09, 01:43alain sapanhine
décembre 06, 18:32MUC
décembre 06, 22:01Marcel Sel
décembre 08, 10:47Pfff
décembre 08, 13:39MUC
décembre 08, 21:17MUC
décembre 08, 21:12moinsqueparfait'
décembre 07, 01:06Renal de Waterloo
décembre 08, 18:05denis
décembre 10, 11:20denis
décembre 10, 11:20u'tz
décembre 07, 04:59Wallon
décembre 07, 11:06u'tz
décembre 09, 01:34Lachmoneky
décembre 07, 12:46Pfff
décembre 07, 13:22Eridan
décembre 07, 16:34Pfff
décembre 07, 17:14xavier
décembre 07, 18:36Martine- Bxl
décembre 07, 20:49wallimero
décembre 07, 23:21Pfff
décembre 08, 13:46Tournaisien
décembre 08, 17:57u'tz
décembre 09, 01:29denis
décembre 10, 13:57