La Shoah était « une erreur criminelle » dit Bart De Wever, l’Emir Kir de la N-VA.
La presse francophone s’emballe pour la reconnaissance de Bart De Wever de « l’erreur criminelle » que fut la collaboration, notamment du nationalisme-flamand. Elle devrait pour le moins nuancer. Cette reconnaissance est partielle et n’engage pas son parti, comme je vais le montrer ci-après. L’essentiel n’étant pas dans ce qu’il a dit, mais bien dans ce qu’il n’a pas dit, ou a refusé de dire.
La même presse fustige à juste titre l’attitude d’Emir Kir face au génocide des Arméniens. Plus encore, c’est l’hypocrisie du Parti socialiste qui est soulignée. À juste titre aussi. Soit, le parti reconnaît le génocide et exige de tous ses membres qu’ils fassent de même. Soit, il avoue ne pas pleinement le reconnaître et laisser ses membres et élus choisir dans quelle mesure ils traitent cette reconnaissance. C’est ce que fait, aujourd’hui encore, la N-VA, avec l’Occupation et la collaboration nazie.
Pour sa part, poussé aux fesses par l’opinion publique et les révélations sur ce génocide, Emir Kir reconnaît désormais les massacres, mais du bout des lèvres : « Je reconnais les faits de 1915 et leur gravité, je trouve normal que la Turquie présente ses condoléances. Je ne suis pas négationniste mais le mot que vous utilisez [génocide — qu’il prend soin de ne pas prononcer tout comme André Flahaut l’a fait chez Pascal Vrebos NDLA] doit être cautionné par des historiens et des juristes. Si vous voulez y voir une divergence de vues avec mon parti, libre à vous. Pour moi, il ne s’agit que d’une question sémantique ».
Kir fait du half-en-half
Ce qu’il ne reconnaît pas, c’est donc la définition de génocide, pour des raisons soi-disant juridiques (les historiens ont pour leur part massivement tranché). Ce faisant, il est sur la même ligne que le gouvernement turc, mais aussi que le gouvernement belge qui a, par la voix du chef de sa diplomatie, asséné exactement et précisément la même explication insoutenable qu’Emir Kir. Ce n’est donc pas le parti socialiste qui est hypocrite, mais aussi le gouvernement belge, et l’on peut se demander pourquoi la presse ne s’est pas intéressée aux autres partis dont des députés d’origine turque se sont fait excuser au moment de la minute de silence organisée au Parlement belge — mais aussi au Parlement bruxellois. L’hypocrisie est généralisée, me semble-t-il.
Mais une chose me paraît évidente : dès lors que le gouvernement belge n’a pas les couilles de reconnaître pleinement la nature génocidaire de l’élimination des Arméniens et des Syriaques (notamment) par l’Empire ottoman pour éviter de se mettre à dos la Turquie, il permet complaisamment à des élus d’origine turque de ne pas froisser leur électorat en évitant de parler de génocide. La lâcheté est la même. Je précise toutefois que le négationnisme des députés turcophones ne porte apparemment pas sur les faits, mais sur la qualification des faits. Ce négationnisme, contrairement à celui qui concerne la Shoah, n’est pas un délit en Belgique. La question n’est donc pas juridique, mais morale. On ne sait pas non plus si Emir Kir agit par conviction personnelle ou par souci de conserver un électorat largement acquis aux théories fumeuses des gouvernements turcs successifs. Bart De Wever a, de son côté, fait plus ou moins la même chose.
Le courage du limaçon.
L’on s’est donc gargarisé de la « courageuse » reconnaissance par Bart De Wever de la collaboration passée du nationalisme-flamand dans son discours à « la communauté juive » (sic). Pour JoodsActueel, « il n’a éludé aucun sujet ». Étonnante interprétation d’un speech extrêmement prudent, conçu pour ne pas choquer ceux des nationalistes-flamands qui, aujourd’hui encore, parlent de la répression d’après-guerre lorsqu’ils évoquent en fait l’épuration. Les explications du président da la N-VA dans Reyers Laat (VRT) face aux questions de Kathleen Cools montrent même qu’il refuse toute critique envers la collaboration individuelle !
Bart De Wever a-t-il néanmoins été courageux ? C’était ma première réaction. Car non, il n’est toujours pas facile de dire aux militants N-VA — et encore moins à certains électeurs du Vlaams Belang — que le Mouvement flamand a « massivement » collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout comme il n’est pas facile pour un politicien turcophone de reconnaître les massacres perpétrés par l’Empire ottoman. Mais pendant tout son discours, et dans l’émission qui a suivi, Bart De Wever a en fait tourné autour du pot.
Vive Pétain (version flamande)
D’abord, il parle à titre individuel. Une vieille habitude à la N-VA. Il ne s’excuse pas pour les fautes de certains membres de la direction du parti. Je les énumère brièvement : le ministre de l’Intérieur Jan Jambon n’a jamais formulé d’excuses claires pour son discours devant les ex-Waffen-SS au Sint-Maartensfonds, en 2001. Il n’a jamais dit, par exemple : « le Vlaamse Volksbeweging (dont il était alors l’un des leaders et au nom duquel il a donné ce discours) a eu tort de s’adresser à d’anciens militants nazis convaincus et j’ai eu tort de donner un discours pouvant apparaître comme une adhésion à l’idée qu’ils auraient servi ‘la Flandre’ en s‘engageant dans la SS militaire ».
Le même Jambon ne s’est jamais officiellement désolidarisé du Vlaamse Volksbeweging qui, à Anvers, célèbre encore chaque année le nazi August Borms. Le président du VVB — qui reste apparemment un fragment de l’ADN de notre ministre —, a encore cette année, selon l’Antifascistisch Front (bien renseigné), incité les Flamands à suivre l’exemple de cet activiste du mouvement flamand, sans regretter son ardente activité pronazie, un message à double sens lorsqu’on sait que Borms visitait Auschwitz en 1943 avec ses amis SS :
« C’est pour moi un grand honneur de pouvoir commémorer l’homme qui a donné sa vie pour la Flandre. » Comme August Borms a été exécuté en 1946 pour faits de collaboration (envoi de jeunes Flamands dans la SS ; participation au gouvernement nazi flamand en exil ; enthousiasme pour les thèses hitlériennes…), ce message peut être interprété comme un soutien au nazisme et à la collaboration. Autre déclaration du « patron » de l’association dans laquelle Jan Jambon serait toujours « actif » (selon son profil sur le site de la N-VA) : « Se mouvoir flamand est un verbe. Le VVB appelle tous les nationalistes-flamands à soutenir ensemble ce qu’August Borms a propagé ! Oui pour la Flandre ! Aujourd’hui, soyons tous Borms ! »
Remplacez Borms par Pétain ou par Léon Degrelle, et vous comprendrez mieux.
Je pense qu’un ministre d’un état démocratique doit officiellement se désolidariser d’une organisation restée aussi sulführeuse dans ses discours. C’est un strict minimum. Pour ne pas dire plus. Jan Jambon n’a pas su le faire, pas plus qu’il n’a su reconnaître qu’il avait, avec Bart De Wever, été un membre très actif d’un cercle d’extrême droite.
La famille, on la subit.
Autre petit problème. Le président du Parlement flamand, Jan Peumans, n’est jamais revenu sur ses propos sur la résistance qui, selon lui, était constituée « d’assassins » et ailleurs, de « crapules de rue ». Cela, suite à l’exécution de son oncle, un affreux collaborateur, pendant la guerre. Jan Peumans n’a jamais réussi à traiter cette affaire autrement que selon la légende familiale — à « regarder le passé droit dans les yeux », comme le propose Bart De Wever. C’est évidemment difficile pour un neveu de reconnaître la légitimité de l’exécution de son oncle par la résistance, et on peut comprendre. Mais on doit pouvoir l’exiger de Jan Peumans autant que la reconnaissance par Laurette Onkelinx de la collaboration de son grand-père.
Dans le cas de Jan, qui est un monsieur charmant à côtoyer, et pas dans le sens « ils sont si courtois », c’est d’autant plus dommage qu’il a eu d’autres courages, comme celui de trouver regrettable que l’ex Vlaams Belang Jurgen Ceder ait été accepté à la N-VA ; celui de s’opposer à Filip Dewinter (Vlaams Belang) en défendant une femme voilée qui observait les débats dans son hémicycle ; ou encore celui d’affirmer, dans une interview, que les militants de la NSV (cercle étudiant néofasciste dont est originaire la présidente des Jeunes N-VA) lui faisaient « froid dans le dos ».
Un coup de Maes pour Theo.
Je n’ajouterais pas ici la participation de Theo Francken à l’anniversaire de Bob Maes. Il est normal qu’il y fût, dès lors que c’était une fête organisée officiellement par son parti. Les députés qui ont poussé de hauts cris sur cette simple présence se sont stupidement trompés de combat. Le problème, c’était que suite à la présence du Secrétaire d’État à l’Immigration à l’anniversaire de cet ex-collaborateur, la VRT a demandé à Bob Maes s’il se désolidarisait du Führer flamand Staf De Clercq, et celui-ci a répondu que non. Quand on a un président d’honneur local dans son parti qui soutient un nazi antisémite féroce, les excuses ne peuvent pas être personnelles dans le chef de son président, comme l’ont été celles que De Wever a semblé présenter (il n’a pas parlé d’excuses), elles doivent être collectives. Et tout comme le PS, la N-VA doit jouer franc-jeu. À tous les niveaux.
Bart De Wever a cependant bien agi assez courageusement, en tant que personne. Mais le nombre de circonvolutions dans son discours laisse pantois. Il a ainsi bien rappelé que son grand-père avait fait partie du VNV. Mais il ne l’a pas directement qualifié de « collaborateur ». Il a dit que le VNV avait massivement collaboré, et a encore précisé qu’il avait préparé mentalement ses adhérents à fermer les yeux sur la collaboration, ou à y tomber.
Précédemment, il avait affirmé que son grand-père « [n’avait] pas collaboré dans le sens où il n’avait pas porté l’uniforme nazi ». Une étrange vision de la collaboration. Ce qu’on doit attendre de lui, et qu’on attend de Laurette Onkelinx, c’est de reconnaître que son grand-père était un collaborateur, point. Ensuite, l’on doit faire la différence entre les « petits poissons » (comme l’étaient probablement son grand-père, et celui de Laurette Onkelinx) et les hauts responsables (Léon Degrelle et sa clique, Staf De Clercq, Leo Delwaide, August Borms, Cyriel Verschaeve, etc.) C’est du reste ce que la justice belge a fait après la guerre. Le crime est avéré, ce sont les circonstances atténuantes qu’il appartient de relever.
Regarder le passé dans les yeux (fermés).
Bart De Wever n’a cessé de répéter hier qu’il fallait « regarder le passé droit dans les yeux » et « dire ce qu’était ce passé ». Le seul problème, c’est qu’il ne l’a pas dit. Il n’a évoqué le rôle d’aucun criminel de guerre et criminel contre l’Humanité qui ont amené le Mouvement Flamand à trahir, et la cause belge, et surtout la cause flamande. Hormis le rôle joué par Léo Delwaide (bourgmestre de guerre d’Anvers) dans la déportation des Juifs — qu’il a bien relevé, mais tout en rappelant qu’il ne fallait pas s’en prendre aux personnes individuelles (un comble, déjà en soi !), il n’a pas évoqué l’antisémitisme virulent de Joris Van Severen ou de Staf De Clercq. Il affirme qu’il faut regarder le passé coupable droit dans les yeux, mais il n’en pipe mot, de ce passé.
Ce faisant, il cache derrière une façade courageuse une dissimulation que ne dédaignerait pas Emir Kir. Dans l’imaginaire turc comme dans l’imaginaire flamingant, il y a, aujourd’hui encore, des choses qui ne se disent pas.
Dans Reyers Laat (VRT), il explique pourquoi il s’est tout à coup décidé à reconnaître la culpabilité collective du Mouvement flamand. Et l’une des raisons qu’il donne, c’est qu’il voulait en finir avec les accusations lancées [par Laurette Onkelinx surtout] contre la N-VA, et les comparaisons avec le passé (bruit de bottes, etc.) Il en a profité pour taper largement sous la ceinture de la passionaria socialiste, tout en affirmant que taper sous la ceinture n’était pas son genre. Pour cela, il l’a renvoyée à son statut de petite-fille de collaborateur. Dame ! Elle a osé parler de bruits de bottes alors que son pépé était collabo ? Oh, mais, je ne vais pas en profiter, hein, madame la présentatrice, ce n’est pas mon genre ! Bon, je viens de le faire, mais comme j’ai dit que non… enfin voilà, une jolie petite manipulation au nom de la reconnaissance de la Shoah, ça ne mange pas de pain chez Bart De Wever.
Regarder Onkelinx les yeux gourmands.
Donc, la première raison du discours du bourgmestre d’Anvers, c’est de répondre efficacement aux critiques des autres partis, prétendant qu’Onkelinx aurait attaqué le passé familial de la N-VA, alors qu’elle n’a attaqué que les actes posés par des ministres actuels et par le président du parti ! Au passage, Onkelinx était toutefois l’une des socialistes les moins bien placées pour jouer ce rôle d’aiguillon : pour avoir un jour écrit « la mérule flamande » ; et aujourd’hui, pour n’avoir pas immédiatement reconnu qu’être bourgmestre de guerre était un acte de collaboration, et donc un crime — il est probable qu’elle n’ait pas su qu’il eût collaboré, le silence des familles est parfois aussi tonitruant en Wallonie qu’en Flandre.
La seconde raison, c’est que le nationalisme-flamand a réellement besoin de se débarrasser de son encombrant passé. Le président de la N-VA répond ici aux attentes de bien des militants, mais aussi aux besoins du mouvement flamand de tirer un trait sur cette époque noirissime. Et cela implique de reconnaître les errements de l’émancipation dans la collaboration. Mais il n’a pas pour autant décapité les icônes collaboratives de ce mouvement, et je n’applaudirai que lorsqu’il le fera.
N’importe quel autre président de parti qui tiendrait un discours similaire à celui de Bart De Wever se verrait aujourd’hui à juste titre reprocher sa demi-mesure. On peut comprendre que son éducation, et 70 ans de déni, ne lui rendent pas la tâche facile. On peut même se dire qu’il entame une véritable révolution dans le nationalisme, mais le problème, c’est qu’à peine a-t-il entrouvert la porte qu’il la referme derechef !
Du noir, du blanc, du gris. Portrait d’un daltonien.
Ainsi, il affirme que dans toutes les familles, il y a du noir, du blanc mais surtout du gris. Excusez-moi, mais dans la mienne, il y a eu un noir, un gris, et des dizaines de blancs ! Au lieu d’inciter chacun à faire un travail véritable d’examen de conscience, il engage au contraire ses ouailles à ne pas aller plus loin : « ne continuez pas à vous attaquer les uns les autres avec un passé de guerre, certainement lorsqu’il s’agit d’individus, sur lesquels on devrait être prudents et nuancés dans nos propos. » Avec une telle précaution, ce n’est pas demain la veille que le néanmoins brave Jan Peumans se sentira poussé à reconnaître que son oncle ne fut pas assassiné, mais exécuté, et pour des raisons légitimes : il était, d’après les résistants, le bras droit d’un des pires nazis flamands de l’époque !
À plusieurs reprises (dans son discours, dans l’interview de Kathleen Cools dans Reyers Laat), Bart De Wever utilise l’expression : « regarder le passé droit dans les yeux ». Une étrange expression à laquelle on doit préférer : « s’excuser pour le passé collaboratif et violemment antisémite du mouvement que je représente ». Car, outre la collaboration à la déportation, les nationalistes-flamands ont aussi spontanément agi contre les Juifs, avec une violence qui a par exemple conduit à la nuit de cristal anversoise (deux synagogues et plus d’une centaine de vitrines brisées ou de magasins saccagés). De cela, Bart De Wever ne parle pas. Regarder droit dans les yeux ne signifie ni juger, ni condamner, ni même regretter. Et il est trop tard, 70 ans après, pour faire encore dans ce genre de demi-mesures.
Autre arabesque dans son discours : il dit qu’il faut pouvoir juger ce passé, mais ne le juge que lorsqu’il affirme qu’il était « une terrible erreur » (on peut aussi traduire « une terrible faute ») exclusivement collective ! Les stars collaboratrices du mouvement flamand d’obédience ordre nouveau sont donc sauves.
Quand la Shoah n’est plus qu’une « erreur criminelle ».
Tout comme il n’implique pas directement son grand-père dans la collaboration, ce n’est pas du VNV (le parti de la collaboration) ni même de la collaboration qu’il parle quand il évoque une « faute criminelle », mais bien du nazisme et de la Shoah ! Si cela incrimine indirectement la collaboration, l’expression utilisée reste un insupportable euphémisme : la Shoah et partant le nazisme n’était pas une faute criminelle, mais un génocide, un crime contre l’humanité, et les mots qui sont absents ici sont abominable, épouvantable, insoutenable, horrible. Au choix (ou tous ensemble).
La Shoah, une « faute criminelle » ? Non, ça, c’est en minimiser la portée ! Ce n’est pas reconnaître, c’est au mieux méconnaître, au pire déconnaître ! La Shoah était un épouvantable crime contre l’humanité. Rien de moins. Le fait que JoodsActueel se satisfasse de « faute (ou erreur) criminelle », une expression qui, dans la bouche de tout démocrate d’un parti traditionnel sonnerait comme un déni de génocide, montre que Bart De Wever bénéficie d’un traitement de faveur qu’on n’octroierait à personne d’autre.
Ce qu’on attend de lui, c’est qu’il déclare que Staf De Clerck, August Borms, Cyriel Verschaeve étaient complices du génocide nazi. Pas qu’ils ont (collectivement, s’il vous plaît) commis une « affreuse erreur ». Tant que Bart De Wever n’aura pas pris ce chemin-là — le seul tolérable pour un parti démocrate —, on pourra lui attribuer un certain courage, une certaine bonne volonté, une empathie bienvenue. Mais que ceux qui le félicitent aujourd’hui se demandent s’ils auraient trouvé le même discours acceptable dans le chef d’un Jorg Haider. « Oui, l’Autriche a collaboré, mais ne jugez pas les individus », aurait-il dit, peut-être. Ou encore « oui, la collaboration fut une affreuse erreur et la Shoah une faute criminelle ». Tout en laissant ses militants commémorer des collaborateurs.
Bart, half-en-half, fait son Kir.
Aujourd’hui, je reconnais un certain courage, mais pas une grande témérité au bourgmestre anversois. Je ne lui reproche pas tant de n’avoir toujours pas reconnu les choses clairement — dans la mesure où cela reviendrait à provoquer un tollé voire un schisme dans son parti — que je reproche à la presse de faire croire qu’il n’a « éludé aucun sujet », et de se satisfaire de son discours tarabiscoté qui ménage la chèvre et le chou et dénie à la Shoah son statut de crime contre l’Humanité. Tant que le président de la N-VA privilégiera la sensibilité d’une partie de son électorat et minimisera pour cela la collaboration et la Shoah, il ne sera rien de plus que l’Emir Kir de la N-VA. La principale différence, c’est qu’Emir Kir n’est pas président de parti.
Seule consolation, mais qui mérite d’être soulignée : en exigeant qu’on honore les résistants (en particulier les policiers déportés pour avoir résisté aux rafles), Bart De Wever inverse néanmoins la logique nationaliste, où le bon était jusqu’ici le collaborateur. Reste à appliquer cette logique intégralement et à remplacer les führieux héros actuels du mouvement flamand par ceux qui ont résisté — oui, il y en a — et que les nationalistes-flamands ont passé leur temps à scrupuleusement ignorer.
Verbatim commenté
A. Extraits du discours au mémorial de la Shoah.
« La collaboration était une faute affreuse [ou affreuse erreur NDLA] à tous les niveaux. Le Mouvement flamand doit regarder les fautes qu’elle a commise en face. »
« Mon propre grand père était membre du VNV, le parti Nationaliste-flamand, qui est entré massivement dans la collaboration. Et aussi à ce propos, je veux regarder le passé droit dans les yeux. »
[Notez qu’il ne dit pas que son grand-père est entré dans la collaboration, mais qu’il faisait partie d’un parti qui y est entré massivement. En cela, il ne regarde pas le passé droit dans les yeux NDLA].
« Cette collaboration était une affreuse erreur ».
« Cette collaboration était une affreuse erreur à tous les niveaux. C’est une page noire dans l’histoire du nationalisme-flamand qui doit regarder cette réalité en face et qu’il ne peut jamais oublier. »
[Pour la collaboration, il ne parle donc pas d’erreur criminelle, mais d’affreuse erreur. On peut aussi interpréter cette qualification comme relative aux problèmes que cette collaboration a causé par la suite à la cause flamande. Ce n’est donc pas forcément ou pas uniquement un mea culpa NDLA]
« Dans l’histoire de chaque individu, il y a du noir et du blanc, et surtout beaucoup de gris (sic). Mais le nazisme et la Shoah étaient des erreurs [des fautes] criminelles. Personne ne peut le nier, cela ne supporte même pas la moindre nuance. »
[Notez qu’il nuance lui-même, le nazisme et la Shoah n’étaient pas des fautes criminelles mais des crimes contre l’Humanité, et un génocide.]
B. Verbatim Reyers Laat
(Pour la clarté, j’ai omis quelques phrases ou bout de phrases qui n’ajoutaient rien à la compréhension. Pour ceux qui le désirent, l’émission est en ligne ici.)
La jounaliste-présentatrice Kathleen Cools demande d’abord à Bart De Wever pourquoi il reconnaît la collaboration du mouvement flamand maintenant.
« Il y a eu beaucoup d’allusions récemment à la guerre, qui a été utilisée et dont on a surtout beaucoup abusé. Il y a eu beaucoup de cris et je trouvais qu’il était temps de mettre les points sur les i, pas pour rendre les coups sous la ceinture, ce que nous pourrions faire très facilement, mais cela n’apporte rien. »
« En tant que bourgmestre, je regarde le passé de ma ville droit dans les yeux, ce que cette administration de la ville a signifié dans la déportation des Juifs [il utilise le mot jodenvervolging, qui peut aussi signifier plus globalement la Shoah NDLA]. La recherche historique continue d’avancer à ce niveau, et ce n’est pas joli. Reconnaissons-le. Je peux difficilement dire à cette communauté [juive] : ‘ceci ne peut plus jamais arriver’ sans dire de quoi il s’agit, sans dire ce qui est arrivé. On mettrait bien la responsabilité sur l’étranger [allemand NDLA], quelqu’un que tu n’es pas toi même, mais la ville a porté une responsabilité. Certaine courants ont fait ça aussi. La collaboration était large, celle du nationalisme-flamand était massive et parfois (sic) très active.»
[La collaboration du VNV, parti unique nationaliste-flamand de l’Occupation était totale, toujours, pas « parfois très active : Staf De Clerck se réclamait totalement d’Adolf Hitler ».]
« Il y avait deux volets : en tant que bourgmestre, je veux parler du rôle d’Anvers dans la Shoah, mais je veux aussi à titre plus personnel parler du rôle du nationalisme-flamand parce que je suis président d’un parti nationaliste-flamand et pas du moindre, et cette tendance a aussi un passé, qui passe aussi par ma famille, donc c’est personnel, mais aussi collectif. J’ai dis qu’à propos des individus, il faut être prudent. Dans le passé de tout le monde, il y a du noir, du blanc, et surtout beaucoup de gris. Donc pousser de haut-cris sur la responsabilité de l’un ou de l’autre, il ne faut pas le faire*. Mais cela ne peut pas vous absoudre de porter un jugement sur l’histoire collective d’une communauté, d’une ville ou d’un courant [politique]. Et collectivement, le Nationalisme-flamand a plongé dans la folie [il dit : verdwazing, qui peut aussi signifier stupidité ou bêtise NDLA] de l’Ordre nouveau des années trente, Cela a préparé mentalement beaucoup de partisans à fermer les yeux sur le nazisme, ou à y participer activement**. Si on fait la balance, on ne peut que reconnaître que, collectivement, primo c’était une affreuse erreur, secondo, cela n’a apporté que des misères au nationalisme-flamand, et à tous les autres !
[* ceci est inacceptable parce que cela revient à absoudre les coupables de collaboration et en particulier les chefs des partis et groupements collaboratifs NDLA].
[**Il rejette ici la faute de la collaboration sur une préparation mentale collective, ce qui rend pardonnable tout crime individuel NDLA].
« Ce n’est pas un mea culpa, je suis né en 1970 »
« Ce n’est pas un mea culpa, je suis né en 1970* […] Il faut faire un peu attention avec la responsabilité collective, mais il faut reconnaître ce passé, il faut le regarder droit dans les yeux. Si on dit, il faut travailler à un meilleur avenir, il faut commencer par reconnaître ce qui s’est passé autrefois, le souligner, être honnête à ce sujet, mais il faut aussi oser dire ensuite : ‘nous tournons la page, nous tirons les leçons pour l’avenir’, c’est-à-dire cette idéologie, cette déshumanisation, cette prédication de la haine** […] Elles n’ont pas disparu avec ce passé, elles sont toujours là et nous devons faire les bonnes choses mais le mal est en chacun de nous, ça peut aussi arriver chez nous, ça peut aussi affleurer chez nous, dans nos courants et nous devons oser en tirer les leçons, ça commence par la reconnaissance de ce qui est arrivé.
[*On note que personne ne lui a demandé de reconnaître des fautes personnelles pendant la guerre. Il utilise cet artifice pour justifier l’absence d’excuses en bonnes et due forme]
[Ceci est l’un des seuls moments où il est effectivement clair.]
Kathleen Cools revient sur la réponse de Bart De Wever en 2007, qui avait qualifiée de « gratuites » les excuses de Patrick Janssens pour l’assistance fournie par Anvers, son bourgmestre Léo Delwaide et des dirigeants de la police aux rafles de Juifs.
« J’ai tout de suite reconnu que j’avais très mal réagi. […] je parle pour ma ville et si l’on veut le présenter comme une sorte de pardon historique, je n’ai pas de problème avec ça, même si c’est au nom du nationalisme-flamand. Mais il faut bien faire attention à ne pas présenter des excuses au nom de gens qui ne sont plus là à des gens qui n’y sont plus (sic)*. Je trouve plus embêtant de parler du rôle d’individus, le rôle du bourgmestre [Léo Delwaide, bourgmestre de guerre d’Anvers, qui avait offert l’aide de sa police pour les rafles nazies, contrairement à d’autres bourgmestres, dont celui de Bruxelles NDLA]**, Ce n’est pas une attaque envers des individus qui ont dû faire des choix dans des circonstances difficiles (sic)***. Mais il faut bien oser faire la balance et dire, celui-ci était dans le bon ou dans l’erreur et s’il était dans l’erreur, il faut le reconnaître. À l’époque, j’ai voulu souligner que si l’on dit « le corps de police avait tort », on peut (sic) le reconnaître, mais il faut aussi reconnaître que des policiers ont résisté et qu’un grand nombre d’entre eux ont été déportés, que beaucoup d’entre eux ont fait des actes d’héroïsme. Et oser (sic) dire qu’à Deurne, la population s’est soulevée contre ces razzias. Il faut reconnaître le bien aussi, et l’honorer.
[*Cette phrase est terrifiante].
[**Ceci confirme qu’il n’est pas question pour lui de reconnaître la culpabilité des… coupables de collaboration et d’assistance à la déportation et à l’élimination des Juifs.]
[*** Il prétend « regarder les choses en face » mais minimise la participation active de Leo Delwaide à la déportation, pourtant clairement établie par les historiens.]
« Il ne faut pas présenter d’excuses au nom de gens qui ne sont plus là à des gens qui n’y sont plus ».
Kathleen Cools demande alors : « Que se passe-t-il aujourd’hui avec ces grand-pères ? On a récemment eu cette histoire sur Laurette Onkelinx, vous faites explicitement allusion à votre grand-père, cela a-t-il un rapport ? »
« Je sais qui était mon grand-père, je sais quel était son courant de pensée.* On a toujours été clair à ce sujet dans notre famille. J’ai trouvé cette histoire de Laurette Onkelinx triste, honnêtement. Je n’étais pas demandeur de faire remonter tout ça à la surface. Je connais la complexité du passé. Les choix que les gens ont fait. Mais à quel point on peut être attaqué là-dessus gratuitement. On pourrait dire que j’y prendrais un plaisir malicieux parce qu’elle a crié aux nazis et aux monstres et le bruit de bottes qu’elle entend à nouveau dès que la N-VA dit quelque chose**, et que son grand-père apparaît avoir accepté des mains de Romsée*** une charge de bourgmestre. »
[* Notez bien qu’il ne dit pas « mon grand-père était un collaborateur »]
[**Propagande : personne n’a attaqué la N-VA pour ce qu’ont fait les ancêtres de l’un ou de l’autre, mais pour des refus d’excuses ou d’explications claires sur des participations à des cérémonies avec Waffen-SS, ou d’anciens collaborateurs qui n’ont pas eux-même fait une croix sur leur passé, comme Bob Maes].
[*** Bart De Wever fait ici intervenir Gérard Romsée, gouverneur de guerre du Limbourg et secrétaire général de l’Intérieur et de la Santé, national-socialiste convaincu qui a notamment ordonné aux bourgmestres de transmettre les listes de Juifs à la SIPO-SD, ce qui permettra de les centraliser et facilitera la déportation et l’extermination. Ce choix vise bien sûr à incriminer le grand-père de Laurette Onkelinx, à comparer à son « humanité » envers Leo Delwaide qui, bien sûr, a aussi accepté son poste de mains tout aussi nazies. NDLA]
« Ça pourrait me faire plaisir mais ce n’est absolument pas mon cas. Je ne veux pas juger d’une histoire que je ne connais pas. Je trouvais franchement l’interview dans Terzake du père de Laurette Onkelinx dérangeante. Aller pratiquement martyriser un monsieur de 82 ans avec une histoire qu’on ramène à la surface… est-ce la bonne façon de traiter notre passé ? Allons-nous nous en porter mieux ? […] [À la N-VA,] nous savions ça depuis longtemps, mais je ne voudrais jamais faire de la politique [d’un niveau aussi bas]. […] Il faut tourner la page sans jamais rien oublier, bien sûr. On ne peut pas oublier, sinon, on n’en apprend rien. Dites honnêtement ce qui s’est passé, tirez-en les leçons, mais avancez vers l’avenir et ne continuez pas à vous attaquer les uns les autres avec un passé de guerre, certainement lorsqu’il s’agit d’individus, sur lesquels on devrait être prudents et nuancés dans nos propos. »
41 Comments
Hansen
mai 07, 18:21thomas
mai 07, 18:56Hansen
mai 10, 06:19Hansen
mai 10, 06:33Hansen
mai 10, 07:43Salade
mai 07, 23:02Juliette
mai 07, 23:05thomas
mai 07, 23:15Marcel Sel
mai 08, 10:29thomas
mai 08, 11:32des
mai 08, 16:08Marcel Sel
mai 10, 21:18Wallon
mai 10, 16:13Dan
mai 08, 11:38Wallons
mai 08, 13:49MUC
mai 08, 15:50Salade
mai 08, 22:10leyn
mai 09, 00:22Démocrate
mai 09, 21:08Hélène P
mai 12, 19:18moinsqueparfait'
mai 10, 01:19Hansen
mai 10, 06:42leyn
mai 10, 09:24Bernard (Rouen)
mai 10, 11:49Pfff
mai 11, 17:30leyn
mai 10, 11:55Pfff
mai 10, 13:30Pfff
mai 10, 13:46u'tz
mai 10, 22:39u'tz
mai 10, 23:00Willy
mai 11, 10:01Marcel Sel
mai 11, 16:54Peter
mai 11, 15:35Marcel Sel
mai 11, 17:06Peter
mai 12, 12:11Marcel Sel
mai 12, 17:36thomas
mai 11, 18:41Marcel Sel
mai 11, 19:03Capucine
mai 23, 09:35grosconnard
janvier 21, 16:27marcel
février 06, 10:25