Négationnisme au PS : y’a un Turc qui cloche.
Trois députés bruxellois ont été félicités par un journaliste turc pour avoir empêché le Parlement bruxellois de respecter une minute de silence en mémoire du génocide des Arméniens. L’un de ces députés, Sevket Temiz a même affiché les félicitations de Selim Eryaman — le journaliste en question — sur sa page Facebook. « Grâce » à eux, le Parlement n’a pas consacré son instant de recueillement au génocide arménien, mais bien à l’ensemble des victimes de la Première Guerre mondiale, s’enthousiasme Eryaman. Or, l’anniversaire célébré la semaine passée n’était pas celui de la Première Guerre mais bien du génocide des Arméniens, mais aussi des Araméens et Syriaques par l’Empire ottoman. De 800.000 à 1,5 million de femmes, enfants, bébés, grand-mères, grands-pères et hommes. Comme je dis toujours : votre mari ou votre femme, vos enfants, vos parents.
Le parti socialiste est désormais joliment emberlificoté dans ses contradictions pour avoir laissé monter des négationnistes dans le cénacle qui représente 1,2 million de Bruxellois — à peu près le nombre d’innocents chrétiens tués par l’Empire ottoman entre 1915 et 1917. Il a dû expliquer qu’il reconnaissait le génocide, comme s’il était possible, avec les informations dont nous disposons aujourd’hui, de ne pas le faire. André Flahaut, qui était interviewé dimanche par Pascal Vrebos, a également affirmé qu’il reconnaissait la chose, mais sans prononcer une seule fois le mot « génocide ». Il a néanmoins terminé l’interview en condamnant à demi-mot l’attitude des trois députés d’origine turque. Ceci rappelle l’attitude du CDH quand la jeune députée Manihur Özdemir fut accusée de négationnisme pour avoir évoqué le « soi-disant génocide arménien » dans la presse turque.
Turc, turc, d’êt’ socialo
Il faut dire que les trois députés turcs ont mis le PS dans une position délicate. Il a donc dû adopter une communication à deux tons. D’un côté, il s’agissait de montrer patte blanche vis-à-vis des valeurs humanistes en affirmant que le PS reconnaît le génocide arménien (un parti qui a besoin de l’affirmer a tout de même un sérieux problème). D’un autre, de laisser les élus d’origine turque faire du clientélisme à la petite semaine en ne froissant pas leur électorat. Le statut Facebook de Sevket Temiz semble avoir disparu depuis…
Cela dit, que des citoyens belges d’origine turque refusent d’admettre que le gouvernement nationaliste ottoman de l’époque a commis un génocide, on peut le comprendre. La liberté d’expression et d’opinion, c’est ça aussi — hélas. Après tout, le parti coupable de ces « massacres » s’appelait « jeune-turc ». Beaucoup de Turcophones s’identifient de ce fait à cette épouvante et ne peuvent admettre d’y prendre une part de responsabilité (qu’ils n’ont bien sûr pas). Ils ne nient pas les massacres, mais la qualification de génocide.
Ils ne font en cela que reprendre la théorie fumeuse du gouvernement turc et de ses prédécesseurs : la cause de ce meurtre de masse est la guerre que « les Arméniens » menaient contre l’Empire. Une explication qui ne tient pas la route, les révoltés arméniens étant trop peu nombreux pour expliquer l’exode forcé des civils et le tragique bilan qui s’en est suivi.
Belgationnisme
Mais ce refus de Belges d’origine turque de regarder la réalité en face n’est pas si difficile à comprendre : combien de Belges reconnaîtraient la culpabilité de la Belgique dans les massacres congolais, et combien admettraient, si les historiens l’établissaient, la qualification de « génocide » pour les actes infâmes de Léopold II ? Combien feraient du négationnisme ? Lorsqu’Arte a diffusé un documentaire accablant sur les crimes du roi barbu, qualifiant son action de « génocidaire », la chaîne s’est pris une volée de bois vert pas piquée des vers depuis notre petit pays, qui a donc aussi sa pudibonderie à lui dès qu’on met le doigt où ça fait mal. Mais là, le génocide n’est pas établi, les historiens étant plus que divisés sur la question. Anglo-saxons parlent volontiers de « génocide », les Belges étant plus enclins à parler de calculs erronés dans le chef des Anglo-saxons.
On peut aussi se demander quand la Belgique reconnaîtra, comme l’Allemagne vient de le faire par la voix de son président pour le génocide arménien, sa responsabilité indirecte dans le génocide rwandais — pour avoir créé une inégalité entre Hutus et Tutsis et notamment des cartes d’identité ethniques à l’époque du protectorat belge au Ruanda-Urundi. Sous certains aspects, la Turquie a d’ailleurs fait mieux que la Belgique, puisqu’elle a, dès 1919, condamné à mort par contumace les principaux responsables du génocide des Arméniens, reconnaissant de facto une organisation criminelle visant à éliminer un peuple. Détail piquant, ces criminels s’étaient préalablement réfugiés en… Allemagne. Le chef de bande, Talat Pacha, y fut même abattu en pleine rue par un Arménien, qui fut ensuite acquitté tant sa description des « massacres » fut insoutenable.
Ankara de problème, appelez les Anglais
Une centaine d’autres responsables présumés du génocide furent transférés en 1919 par les Anglais à Malte pour y être jugés mais ils furent échangés contre quelques soldats britanniques et se réinsérèrent dans la société et l’administration turque — avec succès puisque deux d’entre eux deviendront même premiers ministres. Ils participèrent donc à la création de la République turque actuelle et sont une des raisons du négationnisme : reconnaitre le génocide reviendrait à entacher les fondements même de la Turquie moderne. À cela s’ajoute le fait qu’une reconnaissance pourrait, du point de vue turc, entraîner des demandes de réparations de la part de l’Arménie. On peut donc imaginer que si les Anglais n’avaient pas relâché les génocidaires en 1919-20, la Turquie aurait moins besoin de negationniser aujourd’hui.
Par comparaison, en Belgique, sur les crimes contre l’humanité commis au Congo belge, seul a droit de cité le révisionnisme, visant à blanchir le roi Léopold, notamment pour ne pas salir la famille royale, toujours à la tête de l’État. Quand ce n’est pas carrément la négation de tout excès par ceux qui ne veulent en aucun cas reconnaitre que nous ayons apporté autre chose au Congo que la civilisation. Celle des mains coupées, suppose-t-on. La Belgique s’est excusée pour son rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba, mais jamais encore pour les atrocités de l’État indépendant du Congo, dirigé par son roi de l’époque, ni pour l’Apartheid qu’elle a organisé ensuite dans le pays, et pas plus pour l’interdiction faite aux Noirs, jusqu’à l’aube de l’indépendance, de suivre des études universitaires. À ma connaissance, aucun homme politique belge n’a jamais inscrit ce genre d’excuses dans son programme, et pour cause, il y perdrait des électeurs.
Istanboude
Notons au passage qu’évoquer un génocide arménien est un délit en Turquie, passible de deux ans de prison en vertu de l’article 301 du Code pénal. Toutefois, le procès de l’écrivain Oran Pamuk, poursuivi pour avoir reconnu le génocide, finit en eau de boudin, probablement grâce à d’intenses pressions internationales. Il fut plus sérieusement l’objet de menaces de mort de la part des nationalistes turcs. Dans une communauté restée très proche de son pays d’origine, disons que c’est compliqué d’aller contre le vent quand il est si menaçant.
Les élus d’origine turque ne font au final rien d’autre que les élus d’origine belge par rapport au Congo : refuser de reconnaître ce que leurs électeurs auraient du mal à digérer. Par intérêt personnel. On peut difficilement les critiquer sans au moins évoquer la compromission assez fabuleuse d’une très large majorité de gouvernements, y compris en Europe, qui ne reconnaissent le génocide que du bout des lèvres, et rarement officiellement. D’ailleurs, si l’on a peu entendu les autres partis s’offusquer après l’épisode du Parlement bruxellois, c’est aussi parce que même le MR est mal placé pour le faire : Sevket Temis fut 5e suppléant à la chambre pour le MR, où il était arrivé via le… FDF avant d’entrer au PS. Un retournement de veste qui n’améliore pas son cas. Et il ne serait pas le seul MR à avoir un jour refusé de reconnaitre le génocide arménien.
Fort de café turc
Quant au gouvernement belge lui-même, il est atteint d’une étrange torpeur, n’ayant toujours pas reconnu officiellement le génocide des Arméniens (seul le Sénat l’a fait, votant une résolution — une sorte de souhait bien noble mais sans effet), pour ne pas fâcher l’allié de l’OTAN qu’est la Turquie d’Erdogan. Avec exactement le même niveau de lâcheté que les USA, Barack Obama en restant au seul terme de « massacre », lui qui s’était engagé pendant sa campagne à reconnaître le génocide.
Côté belge, on n’a guère fait mieux. Pas de reconnaissance dans le chef du premier ministre. Quant à Didier Reynders, il a bien été au mémorial d’Erevan, mais il a pris soin de ne pas participer aux cérémonies du centenaire. Je répète : du centenaire ! Ce jour-là, notre pays a timidement envoyé l’ambassadeur de Belgique à Moscou. On n’aurait pas pu faire plus minable.
Quant au porte-parole de la diplomatie belge, Hendrik Van De Velde, ses propos n’ont absolument rien à envier à ceux de la diplomatie turque, puisqu’il a tenu exactement le même discours que l’ambassadeur de Turquie en France, expliquant que le terme « génocide » a « une signification juridique spécifique » et qu’il « appartient aux tribunaux de se prononcer ». Un calque de la position d’Erdogan, pour un pays qui affirme son attachement aux valeurs européennes (le Parlement européen a pour sa part reconnu le génocide) c’est tout de même fort de café, non ? Oui, turc, bien sûr.
Le pompon du grand écart revient toutefois à Israël, qui ne cesse de se réclamer de la Shoah, et exige de tous qu’on reconnaisse l’État hébreu comme le dépositaire de la Mémoire. Dans le même temps, le président Reuven Rivlin a bien reçu les représentants de la petite communauté arménienne en Israël, mais il a évoqué les « massacres », refusant de parler de « génocide ». Et exactement comme la Belgique, Israël n’a envoyé que des sous-fifres aux commémorations d’Erevan et ce, pour des raisons stratégiques : préserver ses alliés turcs et azéris. Notons tout de même qu’Israël a une meilleure excuses que nous : la Turquie et l’Azerbaïdjan sont grosso modo ses seuls alliés dans une région qui lui est globalement hostile, le second partageant une longue frontière avec un adversaire commun : l’Iran. Mais tout de même. Le grand écart entre l’insistance à brandir un génocide comme valeur suprême de l’État tout en niant pratiquement un autre crime contre l’humanité est comme qui dirait déplacé.
Gauck pas glauque
Face à ce bal des faux culs, l’Allemagne tire brillamment son épingle du jeu. Son président, Joachim Gauck, a non seulement évoqué le génocide, mais il a de plus reconnu la coresponsabilité allemande dans la destruction programmée des Arméniens de Turquie. L’Allemagne était en effet l’alliée de l’Empire ottoman au moment des faits et lui a offert son assistance militaire. Elle a également hébergé les plus hauts responsables de la shoah arménienne et chrétienne, condamnés par contumace chez les Ottomans.
Les élus turcophones de Belgique ne font donc pas pire que nos dirigeants lorsqu’ils évitent d’évoquer un génocide. Notons au passage qu’on a besoin de traducteurs turc-français (ou néerlandais) pour comprendre ce qu’ils publient sur les réseaux sociaux, exclusivement en turc pour certains ! Un communautarisme inacceptable dans le chef d’élus de la nation : un minimum serait de proposer aussi une traduction en français de leurs publications. L’intégration n’a jamais été ma tasse de thé, mais il y a tout de même des limites, ce que des élus disent doit être compréhensible dans au moins une langue nationale. Mais passons.
Parlement turc-xellois
Que ces édiles ne soient pas capables de reconnaître le génocide arménien, on peut donc éventuellement encore le comprendre (mais pas l’admettre). En revanche, qu’ils manœuvrent pour empêcher Bruxelles de montrer son respect aux victimes d’un génocide centenaire, c’est ignominieux. Qu’ils s’en vantent ensuite montre la mollesse indigne des partis qui les héberge. Les laisser faire revient à livrer l’ensemble de la démocratie bruxelloise à trois élus d’une seule origine, agissant au bénéfice d’une seule communauté.
Non, je vais dire mieux : ce qu’ils ont commis là ne bénéficie pas à la « communauté turque » de Belgique, mais jette au contraire le discrédit sur l’ensemble des Belges d’origine turque. Non seulement ils projettent l’image d’une communauté qui refuse encore cent ans après d’admettre que l’ancêtre de la Turquie moderne a commis l’irréparable, mais en plus, ils les assimilent à l’État turc actuelle, offrant aux populistes le spectre de citoyens qui refusent l’intégration ! Une question se pose : ces députés bruxellois d’origine turque sont-ils des représentants des autorités turques en Belgique, ou des représentants de la population belge ? Une autre, brûlante : quand vont-ils se rappeler que la pédagogie est l’une des fonctions fondamentales des politiciens ? Qu’ils sont aussi là pour donner l’exemple ?
Cure distante
Oui, ils devraient être aussi là pour rappeler que la Belgique n’est pas la Turquie (reconnaissons que nos ministres n’aident pas, cela dit). Que si là-bas, reconnaître le génocide est éventuellement punissable, ici, ne pas le reconnaître est immoral. Parce que c’est aussi l’absence d’intérêt pour le génocide des Arméniens qui a permis le génocide nazi. Parce que l’Histoire ne peut se lire avec des lunettes politiques, au risque de la trahir et de permettre ainsi les pires exactions. Parce qu’au contraire de salir ceux qui font cet exercice, reconnaître le génocide des Arméniens par un parti disparu d’un empire aujourd’hui éteint, les libère et les désolidarise de l’ombre maléfique de Talat Pacha, l’Hitler ottoman. Les Turcophones qui décideront d’emprunter cette voie feront alors preuve d’un courage supérieur à celui de la Belgique elle-même. Très supérieur aux minables manipulations de trois députés, et à la lâcheté ahurissante du parti socialiste qui ont, de facto, pris la démocratie bruxelloise pour l’otage de leurs convictions, de leur révisionnisme, de leur négationnisme.
Les citoyens d’origine turque se plaignent souvent qu’on les harcèle avec le génocide arménien. Il y a une façon simple de parvenir à la fin d’un tel « harcèlement » : reconnaître le génocide. Et donc, s’en détacher définitivement.
Nous n’avons cependant pas de jugement à porter sur les citoyens d’origine turque qui ne parviendront pas à accepter ce débat et continueront à user de l’expression « soi-disant génocide ». Des années de désinformation, jusque dans les écoles (depuis 1993, le sujet est abordé dans le sens de « massacres ») ne s’effacent pas d’un coup de baguette magique. La négation du génocide (non pas de sa réalité, mais de la terminologie) fait aujourd’hui partie de l’être turc. Exiger de citoyens qu’ils renoncent à leurs racines est indigne d’un État libéral. Plus encore de ceux qui luttent contre le négationnisme : c’est l’intolérance envers les différences qui a provoqué les génocides.
Il faut donc à la fois comprendre, inciter, et débattre. Dans un pays où l’homme politique le plus puissant a un jour comparé l’occupation nazie à l’occupation israélienne en Palestine, et refusé de reconnaître la complicité de l’administration anversoise dans l’arrestation de familles juives en vue de leur déportation et de leur élimination, ce serait un comble de fustiger les citoyens turcs qui ne font en fait que donner crédit aux théories imposées dans leur pays d’origine. Mais nous devons exiger des élus qui basent leur succès électoral sur le communautarisme de cesser de se prendre pour des ambassadeurs de la Turquie en Belgique et d’assumer leur citoyenneté en embrassant les valeurs des partis pour lesquels ils se présentent. Et à ma connaissance, le négationnisme n’est pas une valeur socialiste.
51 Comments
Salade
avril 29, 14:09francolatre
avril 29, 14:28Marcel Sel
avril 30, 00:47thomas
avril 30, 07:27Hansen
avril 29, 14:29L'enfoiré
avril 29, 14:59L'enfoiré
avril 29, 15:03lion
avril 29, 15:21Marcel Sel
avril 30, 00:48Wallon
avril 29, 17:57Marcel Sel
avril 30, 00:50Wallon
avril 30, 11:24Tournaisien
avril 29, 23:34Marcel Sel
avril 30, 00:51Wallon
avril 30, 08:00Salade
avril 30, 09:50Tournaisien
avril 30, 13:34u'tz
mai 03, 22:12Naher Arslan
avril 30, 08:45serge
avril 30, 09:43serge
avril 30, 09:44Pfff
avril 30, 10:24schoonaarde
avril 30, 19:39Marcel Sel
mai 04, 23:25thomas
mai 04, 23:55xavier
avril 30, 20:08ersatzdelicieux
avril 30, 22:24marcel de durbuy
mai 01, 03:39Pascal Debière
mai 01, 11:26Marcel Sel
mai 04, 23:28Pascal Debière
mai 05, 17:39u'tz
mai 05, 01:25Pascal Debière
mai 05, 17:42Capucine
mai 03, 17:37Capucine
mai 03, 17:48wallimero
mai 03, 21:35Marcel Sel
mai 04, 23:30MUC
mai 04, 23:56wallimero
mai 06, 20:18Marcel Sel
mai 08, 10:22François Schurmans
mai 06, 13:21u'tz
mai 03, 21:57u'tz
mai 05, 01:20Hansen
mai 04, 07:46vince01
mai 04, 10:21Wallon
mai 06, 09:48Zorglub
mai 07, 21:08Blog à part » Responsable mais pas coupable !
mai 08, 08:57Faruk
mai 14, 14:31Tournaisien
juin 03, 14:49marcel
juin 08, 09:05