Reynders en Noiraud, la gaffe que la Belgique ne veut pas voir.
Le 18 mars, sur Télé Matin (France 2), Francois Beaudonnet, correspondant à Bruxelles, a envoyé et commenté un reportage plutôt sympathique sur les Noirauds. Mais dans la séquence est apparu un participant inattendu à cette œuvre de bienfaisance patronnée par la reine Paola : notre ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, qui a volontiers expliqué sa gueule noire — qui n’avait rien de celle d’un mineur borain — face caméra. Et tout à coup, le web s’est enflammé.
Un blogueur a parlé de racisme. Mia Farrow (excusez du peu) s’est offusquée de la présence d’un ministre dans une délégation typique d’un folklore inimaginable au USA. Les Inrocks ont évoqué un « malaise ». Peter Bouckaert, de Human Rights Watch, a twitté « Ministre des Affaires étrangères belge Didier Reynders j’ai une question : porterez vous ce déguisement ‘blackface’ pour vos prochaines réunions avec des leaders africains ? C’est honteux ! » Jeune Afrique s’est demandé s’il s’agissait d’un défilé généreux ou d’une parade colonialiste. Puis ce fut l’avalanche, CNN, le Washington Post, The Guardian…
« Une sottise de journaliste français »
Je suis blanc de peau
Et en Belgique francophone, l’affaire soulevait des épaules bonhommes, comme le dit Het Laatste Nieuws. Circulez, y’a rien à voir. Pour l’Echo, c’est la méconnaissance du folklore bruxellois qui a fait frôler l’incident diplomatique. La DH donne la parole à l’ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles, Jean-Pierre Buyle, noiraud lui-même, qui a asséné : « c’est une sottise de journaliste français en mal d’informations ». C’est sûr qu’un journaliste belge aurait fait mieux. Pendant ce temps, sur Twitter, François Beaudonnet se prenait les insultes de quelques Belges pas contents qu’il ait osé se demander : « Le ministre belge des Affaires étrangères peut-il se grimer de noir sans choquer l’Afrique ? » Une question apparemment taboue chez nos marabouts des médias.
Outre celle de l’ancien bâtonnier qui ne faisait rien pour arranger les soupçons de xénophobie des Noirauds, Beaudonnet s’est pris quelques autres insultes francophobes sur Twitter, du style « les Français souffrent d’une constipation héréditaire qui les empêche d’apprécier l’humour » et un twit bien rentre-dedans de Philippe Carlot de la RTBF « Merde, on avait déjà @quatremer pour les leçons de journalisme, en voilà un autre. » Parce que, hein, un correspondant étranger, surtout français, il est là pour admirer Bruxelles (ou Charleroi s’il est photographe italien, coucou Paul !), mais pour critiquer, il faut être Belge de souche, nom de doum ! Et qu’il n’aille surtout pas insinuer que la presse belge aurait dû voir un problème dans le comportement de son ministre !
Que veux-tu, le « bon Belge à papa » est comme ça. Mets le doigt sur sa plaie et il te reprochera d’avoir un doigt (ça pourrait être un proverbe africain). Car même quand le ministre des Affaires étrangères a une attitude inacceptable eu égard à ses fonctions et qui ne fait même pas honneur aux Noirauds eux-mêmes, comme on va le voir, une certaine Belgique trouve que le Français devrait la fermer. Cette francophobie n’est pas neuve, j’en ai déjà parlé dans deux autres billets, et Fadila Laanan avait, en son temps, été l’objet de mes foudres pour avoir proposé à Jean Quatremer d’aller voir l’herbe plus verte ailleurs (sous-entendu de retourner dans son pays).
Avouez que tenter d’évacuer des soupçons de racisme en faisant de la xénophobie, c’est déjà une sorte d’aveu. Alors, quelle est donc l’affaire dont on aurait dû (entendre) parler chez nous ?
Le roi Philippe s’est déguisé en Noiraud mais n’y a pas gagné le sens du rythme.
Noir c’est noir.
Pour les ignorants — et ils sont nombreux, même à Bruxelles, les Noirauds sont une institution du cru. Depuis 1876, quelques gens de la haute s’habillent chaque année en notables nègres version image d’Épinal du XIXe siècle pour recueillir de l’argent pour des œuvres de bienfaisance. Ils se maquillent le visage en noir et trimballent de petites tirelires tout aussi afro. Le but avoué de tout ça : faire la manche sans être reconnu. Ben oui, quand on a une certaine classe sociale, quêter devant tout le monde, ça ne se fait pas. Ce déguisement a permis, par exemple, aux princes Philippe et Laurent de faire les Noirauds dans leur jeune temps (logique, c’est parrainé par leur maman). On notera que se déguiser en notable africain n’aura conféré à aucun des deux princes le sens du rythme qu’on attribue volontiers aux Noirs, ni même la souplesse élégante d’un vrai notable black — ça, c’est un constat : Obama a, à lui tout seul, plus de swag que ses 10 prédécesseurs réunis. L’élégance d’être nègre dont parlait Brel. Un Bruxellois, tiens, lui aussi.
Les Noirauds sont l’héritage d’une conception particulièrement paternaliste de l’Afrique et des Africains. Le déguisement, à la fois coloré et excessif, donne des Noirs fortunés du dix-neuvième (siècle) une image peu avantageuse. Il mêle une fraise ridicule et anachronique à un chapeau haut de forme blanc et brillant, avec une veste queue-de-pie assortie d’un pantalon vert-jaune difficile à rater, et des colliers les plus improbables dans un foisonnement de perles, de faux or et de diams de pacotille. L’association des Noirauds est elle-même un peu mal à l’aise en permanence. D’un côté, elle affirme qu’il y a des Noirauds noirs qui s’incognitisent en se maquillant de noir. Eh oui, parce qu’un Noir, c’est pas noir, en fait, c’est brun. Donc, le noir ne serait même pas le noir du Noir ? En même temps, elle ne fait pas mystère de ses origines plutôt caricaturales puisqu’elle s’appelle le Conservatoire africain. Bizarre dualité. On regrettera d’ailleurs la disparition du nom original de la troupe : le Conservatoire de Zanzibar. Au moins là, la dimension extravagante de l’imitation était plus claire.
Parce qu’entendons-nous bien : il s’agit d’extravagance. De délire. De second degré. Du moins, c’est ce que les Noirauds affirment et pour la plupart d’entre eux, c’est probablement tout à fait sincère. Il n’empêche qu’ils énervent un certain nombre de gens. Au point de se voir refuser l’entrée d’un restaurant africain pas plus tard que la semaine passée. Mais de ça, ils ne feront pas état. Ils sont, à les entendre, toujours très bien accueillis.
Au Congo, la Belgique appliquait l’Apartheid paternaliste.
Indépendance cha-cha
Les Noirauds, c’est tout de même une œuvre de bienfaisance qui bénéficie à des enfants bruxellois, peu importe leur origine ou leur couleur de peau. Alors ? Colonialisme ? Inacceptable travestissement ? Dans un monde idéal, non. Leur déguisement pourrait même être vu comme la commémoration de la crétinerie passée de cette Belgique qui confondait Congolais et sous-développés. Mais est-ce assumé ? La question est importante. Parce que dans les années cinquante encore, notre pays eut tout de même l’idée de donner à certains Congolais noirs le statut « d’Évolués ». Entendez, des petits sauvages à qui on se promettait inculquer quelques notions de mathématique et de littérature. Les Évolués n’avaient pas les mêmes droits que les Blancs — faut pas déconner non plus, hein — mais ils avaient tout de même quelques privilèges. La Belgique, qui avait organisé un véritable Apartheid dans sa colonie, se targuait d’aider ainsi les négroïdes à s’éduquer, dans certaines limites toutefois, parce que l’université leur fut interdite presque jusqu’au dernier moment : au jour de l’indépendance, il y avait tout au plus quelques dizaines de Congolais universitaires !
Il faut dire que la ségrégation à la belge était telle qu’on attendit la fin des années 50 pour que, pour la première fois, un Noir puisse danser avec une Blanche. Pas une Belge, tout de même. Non, mais, vous rigolez ou quoi ? C’était une Portugaise ! Le gars s’appelait Jean Lema, alias Jamais Kolonga et il est mort tout récemment, le 14 février 2015. C’est aussi lui qui annonça l’indépendance du Congo à la radio. Un héros national qu’on a un peu vite oublié ici. Quant aux évolués, l’un d’entre eux paya de sa vie d’avoir dépassé le talent oratoire et littéraire de Bwana Kitoko alias le roi Baudouin. Il s’appelait Lumumba.
Et donc, en fait de conservatoire, les Noirauds seraient plutôt celui d’une vision coloniale de l’Afrique et de l’Africain. Et alors, pourquoi pas, si c’est assumé ? Si cela nous remet en mémoire les excès de nos coloniaux, de nos ancêtres ségrégationnistes, des crimes ignobles, massacres, viols et proto-génocides commis au nom de l‘État de Léopold II, puis du Royaume de Belgique ? Toutes ces choses dont on ne parle pas ouvertement au pays de Tintin… Autant que nos jeunes gardent précieusement le témoignage du racisme passé de leurs aînés. Et en soient les témoins une fois par an. Pourvu, bien sûr, que l’on prenne la peine de leur expliquer tout le contexte. Seulement, pour cela, il faudrait que la Belgique sorte du déni et que les Noirauds acceptent l’idée qu’ils ne sont pas déguisés en notables africains du XIXe siècle, mais bien en crétins racistes de la même époque qui se déguisaient en notables négros. Est-ce le cas ? Quand ils viennent récolter de l’argent, ils ne vous disent pas : « notre déguisement rappelle le racisme furibard des notables belges du XIXe siècle ! » C’est dommage, ils devraient.
Une tête de Noir style Y’a Bon qui fait très mauvais genre.
Car là, en effet, leur déguisement deviendrait drôle et pourrait faire rire aussi les Africains. Un peu comme une Drag Queen ne se moque pas des femmes, mais de son propre travestissement, de ses propres excès
Mais bon, je le répète, l’association est bienfaitrice et maintient une tradition plus que centenaire qui plait aux gens et les rendent plus généreux qu’à l’accoutumée ! Les billets de 100 € ne sont pas rares. Le gros problème, comme le montre le reportage de Francois Beaudonnet, c’est que certains symboles utilisés par les Noirauds dépassent le simple folklore et qu’on ne peut même pas en parler à Bruxelles sans se faire traiter de gâche-plaisir. Il en va ainsi d’une tête de Noir surmontant une pique avec un anneau dans le nez. Du Y’a bon Banania en pire. Dommage, parce que ça fout tout le reste en l’air et que ce genre de référence est facile à supprimer.
Enfin, comme vous le voyez, il y a donc bien un débat à mener sur les Noirauds, le sens de leur déguisement, et les limites à ne pas dépasser, même pour une œuvre caritative.
Afrique, adieu !
Bizarrement, la question la plus taboue dans toute cette histoire, c’est celle de la participation de notre ministre des Affaires étrangères à la noirauderie de la semaine passée. Pourtant, elle est inacceptable, scandaleuse. Elle aurait dû valoir au ministre la fureur de la presse. Et des interpellations à la Chambre. Car comme le dit Bouckaert : ira-t-il se dandiner maquillé de Noir la prochaine fois qu’il rendra visite à un pays d’Afrique ou à Barack Obama ? Un employé ou un chef d’entreprise qui aurait à ce point gêné sa propre fonction aurait-il pu garder sa place ?
Allez. Quelqu’un osera-t-il poser la question sérieusement à Charles Michel (sachant qu’il répondra que Reynders ne représentait pas le gouvernement…) ? D’autant que le Didier n’a rien compris au folklore noiraud : si on est peinturluré de noir, c’est pour ne pas être reconnu, schieven architecte ! Et absolument pas pour répondre à la caméra qu’on est bien le ministre des Affaires étrangères et qu’on trouve ça super bath d’être noiraud ! C’est pourtant ce que Reynders a fait, répondant prestement aux journalistes qui l’ont reconnu. Il faut dire qu’il n’était pas franchement discret dans le défilé, d’après un témoin, toujours au premier ou au second rang. Que voulez-vous, c’est un peu notre Sarkozy à nous. Quand il y a un appareil photo ou une caméra à proximité, Didier fait sa diva (même si Di Rupo a encore des leçons à lui donner, mais bon). Quitte à compromettre la réputation de la diplomatie belge et pour tout dire, de la Belgique à l’étranger.
Il suffisait pourtant à Reynders de dire qu’il était là incognito et qu’il ne souhaitait pas en parler, ce que les journalistes auraient probablement respecté, et qui eût fait honneur à sa nouvelle congrégation dont les membres sont, par nature, si discrets sur leur identité. Au contraire, notre Didier est même allé se vanter sur son site Internet d’avoir fait le négro de service pour une œuvre de charité et pour célébrer le folklore bruxellois ! Entre deux news sur ses relations internationales. Ça fait tache. Noire.
Enfin bon. Quand les Japonais inventeront les Belgauds et nous imiteront en costumes ridicules avec un os dans le nez pour une action de bienfaisance, et que leur ministre des Affaires étrangères se mêlera à cette troupe cocasse, on verra combien de Bruxellois trouveront ça drôle. Eh oui. L’humour, c’est donné à tout le monde. L’autodérision, par contre c’est moins courant. Quant à l’autocritique, si la critique vient d’outre-Quiévrain, à Bruxelles, on se dit parfois qu’il vaut mieux même ne pas y penser.
0 Comments
Doc Izzie
mars 20, 11:33guypimi
mars 20, 20:40uit 't zuiltje
mars 20, 21:39willy
avril 07, 20:25uit 't zuiltje
avril 07, 23:29Irène Kaufer
mars 22, 12:07Caroline Sägesser
mars 20, 11:35Marcel Sel
mars 20, 20:20uit 't zuiltje
mars 20, 21:40Moinsqueparfait'
mars 21, 14:44Pfff
mars 22, 13:47willy
avril 07, 20:32uit 't zuiltje
avril 07, 23:24@mustiq
mars 20, 12:29uit 't zuiltje
mars 20, 21:41Akem
mars 22, 01:03Pfff
mars 22, 15:48zad
mars 20, 13:33uit 't zuiltje
mars 20, 21:45Moinsqueparfait'
mars 21, 12:22Franck Pastor
mars 21, 15:14moinsqueparfait'
mars 22, 13:56Pfff
mars 22, 16:32uit 't zuiltje
mars 26, 21:30Tournaisien
mars 20, 13:42Marcel Sel
mars 20, 20:22Tournaisien
mars 20, 21:08Akem
mars 22, 01:06Pfff
mars 22, 12:51Pfff
mars 27, 16:05Pfff
mars 27, 16:08guypimi
mars 20, 20:45uit 't zuiltje
mars 20, 21:48Pfff
mars 21, 11:13Pfff
mars 27, 13:12Pfff
mars 27, 13:29hilarion lefuneste
mars 20, 17:24Marcel Sel
mars 20, 20:25Tournaisien
mars 21, 10:31Tournaisien
mars 21, 10:58Tournaisien
mars 21, 11:01uit 't zuiltje
mars 22, 19:43Tournaisien
mars 25, 20:40yves villers
mars 20, 18:02uit 't zuiltje
mars 20, 22:00uit 't zuiltje
mars 20, 23:18Pfff
mars 22, 14:02Juliette
mars 20, 18:10Juliette
mars 20, 18:16Shanan Khairi
mars 20, 23:27Pfff
mars 21, 14:34Pfff
mars 21, 17:45Pfff
mars 22, 14:55Rivière
mars 20, 20:01Hansen
mars 21, 07:42L'enfoiré
mars 20, 20:10Juliette
mars 21, 14:15L'enfoiré
mars 22, 21:12Pfff
mars 25, 19:58uit 't zuiltje
mars 26, 00:17MAUDOUX
mars 20, 20:46Salade
mars 20, 20:50uit 't zuiltje
mars 26, 00:26uit 't zuiltje
mars 20, 21:50uit 't zuiltje
mars 20, 22:11Pfff
mars 22, 15:16uit 't zuiltje
mars 23, 23:44uit 't zuiltje
mars 23, 23:48thomas
mars 20, 23:18lievenm
mars 21, 17:37willy
mars 23, 11:36Pfff
mars 27, 11:13Pfff
mars 27, 11:30MUC
mars 23, 14:23uit 't zuiltje
mars 26, 00:39Willy
mars 26, 17:41MUC
mars 30, 13:30Pfff
mars 30, 13:39Lies
mars 20, 23:23LilAngel
avril 02, 00:46uit 't zuiltje
mars 20, 23:28Alain
mars 21, 13:47Marcel Sel
mars 22, 10:12uit 't zuiltje
mars 22, 19:51Pfff
mars 26, 12:22Capucine
mars 21, 18:20Marcel Sel
mars 22, 10:13uit 't zuiltje
mars 22, 19:53mbo
mars 21, 21:19Marcel Sel
mars 22, 10:14mbo
mars 22, 09:52Marcel Sel
mars 22, 10:43Pfff
mars 22, 13:30uit 't zuiltje
mars 22, 20:30uit 't zuiltje
mars 23, 01:20MUC
mars 23, 14:27Marcel Sel
mars 25, 20:34uit 't zuiltje
mars 25, 23:29MUC
mars 26, 15:18Marcel Sel
mars 29, 22:13MUC
mars 30, 13:33Marcel Sel
mars 30, 23:30Pfff
mars 22, 12:43Pfff
mars 22, 15:19Pfff
mars 22, 16:25Pfff
mars 22, 21:06Pfff
mars 22, 21:37Pfff
mars 23, 17:23mbo
mars 22, 18:49alex
mars 23, 12:26uit 't zuiltje
mars 26, 00:42Pfff
mars 23, 12:41uit 't zuiltje
mars 26, 00:46Antoine Roquentin
mars 26, 11:03Pfff
mars 30, 12:02Pfff
mars 30, 12:06Pfff
mars 23, 12:55uit 't zuiltje
mars 26, 00:50uit 't zuiltje
mars 26, 00:51groserch
mars 23, 14:05Tournaisien
mars 23, 19:37wallimero
mars 23, 23:58uit 't zuiltje
mars 25, 23:54Willy
mars 26, 17:47Tournaisien
mars 24, 22:26Tournaisien
mars 25, 07:30Wallon
mars 25, 17:35uit 't zuiltje
mars 26, 00:00uit 't zuiltje
mars 26, 01:13Pfff
mars 30, 12:03uit 't zuiltje
mars 31, 01:09Après la polémique, les Noirauds réfléchissent à leur évolution. | UN BLOG DE SEL
mars 25, 20:00msgodfroid
mars 29, 08:10