La Kamikaze en action : la fin de la Belgique a commencé.
Un billet en plusieurs chapitres à avaler d’un coup ou à déguster en plusieurs fois.
À droite, on vous a promis un gouvernement «de centre-droit», répondant aux désirs «des Flamands». À gauche, on vous a promis un gouvernement de «droite extrême», voire de «talibans» (écouter François Heureux dans Les Experts sur Télé Bruxelles à propos des excès de langage). Au final, on a un gouvernement de centre (CD&V), libéral (Open VLD et dans une moindre mesure, MR), de droite conservatrice (N-VA et dans une moindre mesure, MR), séparatiste (N-VA), avec des perspectives sécuritaires qui ne déplairaient pas au Front national français (jihadistes, cannabis, migrations). Surtout, l’intronisation de cette nouvelle équipe est un joli ratage dont tout le monde paiera, tôt ou tard, les pots cassés. Et la Belgique pour commencer.
1. La com qui consacre la disparition d’une valeur belge fondamentale : le compromis.
Ce ratage décrédibilise d’emblée tout ce que les partisans de la soi-disant «suédoise» (la Suède est revenue à gauche, ce qui est sa tradition politique depuis des lustres) raconteront sur le PS. C’est d’autant plus tragique que le renvoi des socialistes dans l’opposition était indispensable après 27 ans de présence dans les gouvernements belges successifs. Un des arguments forts du MR lorsqu’il justifie sa participation au gouvernement. Cela étant, prétendre que le PS est «au pouvoir» depuis 27 ans est néanmoins cynique dans le système belge : les gouvernements sont toujours coalisés dans notre pays et le MR lui-même doit admettre qu’il serait alors «au pouvoir» depuis 1999, ce qui fait déjà quinze ans. Quinze ans «au pouvoir» seraient perçus comme déjà trop, en France, par exemple (et on va en reparler, de la France). Sur ces quinze ans, les libéraux-conservateurs francophones ont toujours participé au gouvernement. En faisant comme si la Belgique avait toujours eu une politique de gauche, ils décrédibilisent leur propre action passée. Et la présence, pendant une petite décennie, de Didier Reynders aux finances.
En fait, sur les cinquante dernières années, quatre seulement ont vu un premier ministre socialiste diriger le gouvernement. Et jamais pour une législature complète. Edmond Leburton avait tenu un an dans les années septante ; Di Rupo, deux ans et demi (eh oui !) Entre ces deux socialistes, près de quarante ans se sont écoulés. On ne peut pas dire non plus que Di Rupo ait mené une politique purement socialiste, loin de là. Il n’y-a-qu’à voir la rigueur de Maggie De Block ou les économies énormes consenties par l’équipe orange-rouge-bleue, les mesures touchant les chômeurs, et un code de la nationalité que le Front national aimerait appliquer en France : devenir belge est pratiquement devenu impossible, même pour un-e Français-e ou un-e Néerlandais-e.
Or, les partis suédois font comme s’il y avait aujourd’hui une alternance. Comme si, après 27 ans de politique de gauche, on allait goûter aux délices d’une politique de droite. Elle est étonnante, cette propension à évoquer une alternance en Belgique. Il n’y a jamais eu une telle chose. De gouvernement en gouvernement, on a toujours changé un parti sur deux ou trois, pas plus. L’usage du paradigme français de la part d’admirateurs de Nicolas Sarkozy n’est guère étonnant, mais il est absurde, sinon scandaleux envers le citoyen qui a droit à un minimum de correction dans l’information. La Belgique élit ses parlements selon les règles proportionnelles et non majoritaires. Cela implique que n’importe quelle formation démocrate peut gouverner avec n’importe quelle autre. On a déjà vu les socialistes et les libéraux en coalition avec les écologistes, sans les chrétiens-démocrates. Les quatre partis traditionnels sont tous candidats crédibles au pouvoir, mais jamais seuls, et donc, chaque programme sera, en cas d’entrée dans un gouvernement, d’une souplesse telle qu’un parti de gauche peut devoir défendre, des années durant, une politique de centre-droit. Et alors qu’autrefois un premier ministre donnait l’axe politique central (voir Dehaene, par exemple) plus qu’il n’arrondissait les angles, la présence de la N-VA en filigrane dans le paysage politique flamand a au contraire amené Elio Di Rupo à payer cher son poste de premier ministre, en termes de concession aux autres formations.
Un gouvernement ni libéral, ni centriste, mais néoconservateur.
Le rejet sémantique du parti socialiste comme une formation pestiférée, coupable de multiples crimes par trois partis qui ont, eux aussi, longuement gouverné, augure d’un avenir sombre. Car si la Belgique résiste aux cinq ans de «bosnienne» (le drapeau bosnien, bleu et jaune, comprend en plus la lettre «V»), le principe même de l’ouverture à une coalition est aujourd’hui contesté par l’une de nos familles traditionnelles fondamentales : les libéraux (en plus !) dont le laïus se rapproche progressivement de la dialectique thatchérienne, basée sur un rejet total du socialisme et de la sociale-démocratie qui, selon Hayek, maître à penser de Maggie (l’Anglaise, pas la Flamande), ne pourrait mener qu’au totalitarisme, excusez du peu. Bart De Wever est un Thachérien, europhobe, néoconservateur, anti-social-démocratie. C’est le contraire d’un «suédois». Et apparemment, une bonne partie du MR se trouve très bien dans cet environnement.
En acceptant d’entrer dans un gouvernement totalement déséquilibré, le MR a laissé la N-VA (et le gouvernement flamand) créer plusieurs précédents désastreux pour la stabilité du pays, pour l’équilibre linguistique de son gouvernement, de sa diplomatie, de son armée et de son service public.
Cette évolution néoconservatrice devient évidente quand on s’aperçoit qu’aucun de nos nouveaux ministres n’a bronché quand Bart De Wever s’est vanté d’avoir «mis les socialistes dehors» et a carrément déclaré qu’il souhaitait «ne plus jamais les revoir». Une phrase inimaginable jusqu’ici, y compris dans la bouche du plus radical des (ex?-)libéraux.
Cela étant, De Wever a tort de prétendre que c’est lui qui a «mis les socialistes dehors» et permis, enfin, l’avènement d’un gouvernement de «centre-droit». Car en 2007, sans son acharnement, et celui d’un certain Yves Leterme, à prétendre obtenir un confédéralisme rapide, et à exiger la scission de BHV, la fameuse coalition «orange-bleue» (chrétiens-démocrates et libéraux) était imaginable. On se rappelle qu’à l’époque, ce qui avait surtout propulsé Joëlle Milquet hors de cette coalition potentielle, c’était une liste de plus de 90 points à scinder avant de négocier un nouveau gouvernement. Ce qui a permis aux socialistes de rester 27 ans (plutôt que 20 en l’occurrence), c’est donc aussi le radicalisme de la N-VA. Mais on peut remonter encore en arrière : en 1999, si les libéraux de Verhofstadt se sont associés aux socialistes, c’est parce que le CVP (futur CD&V) s’était pris une déculottée magistrale après la bagatelle de quatre décennies de présence ininterrompue au gouvernement. Chacun son tour, dirions-nous.
On peut aller plus loin dans les potentialités : ce qui a empêché le CDH d’entrer cette année même dans un gouvernement sans socialistes, c’est la puissance et le radicalisme de la N-VA. Sans elle, on peut imaginer que le CD&V aurait recueilli 30 % des voix en Flandre et qu’une orange bleue eût été possible. Le succès nationaliste flamand a en fait rendu une bipartite orange-bleue, un vrai gouvernement de centre-droit sans socialistes, impossible pour longtemps. Et c’est peu de dire que le fait pour des Francophones de devoir s’associer avec un parti francophobe et belgophobe rend toute coalition «de droite» plus compliquée. Sans la présence massive de la N-VA, une majorité sans le PS aurait d’ailleurs même pu se dégager en 2010. Ce n’est pas pour rien que la presse flamande a longtemps canardé que les deux premiers partis de chaque communauté, PS et N-VA, étaient des alliés objectifs.
Mais de toute façon, il fallait que le PS fasse une cure d’opposition fédérale, tout comme c’était indispensable pour le CVP en 1999 (entretemps renommé CD&V), qui était au pouvoir, je le rappelle, depuis 41 ans ! À l’exception d’un an de législature Leburton (socialiste), la famille sociale-chrétienne a même fourni tous les premiers ministres du 26 juin 1958 au 12 juillet 1999 ! Et sur le dernier demi-siècle, les chrétiens-démocrates n’ont été absents du pouvoir que huit ans… Il fallait que le PS prenne une baffe, c’est salutaire, il était en train de devenir tentaculaire, omniprésent, incontournable, au point d’offrir, depuis quelques années, l’accès à son très performant Institut de recherche Émile Vandervelde à son alliée Joëlle Milquet.
Mais il ne faut surtout pas qu’on fasse croire aux Belges qu’il y a une «alternance» qui vaille dans notre pays de coalitions. Or, ce à quoi la nouvelle coalition s’emploie, c’est bien à prétendre que le socialisme est buiten, le plus longtemps possible, et si cela ne tenait qu’à Bart De Wever, pour toujours ! Et ça, c’est un crime de lèse-belgitude, parce que notre pays n’existe que pas les coalitions et les compromis qu’elles supposent.
2. Accepter d’entrer dans un gouvernement avec la N-VA, c’était la soutenir dans l’entreprise de liquidation de la Belgique.
Le déséquilibre actuel du pouvoir fédéral ne peut qu’accélérer le phénomène de scission du pays et c’est déjà une grande victoire pour la N-VA : la partie flamande du gouvernement fédérale est la copie exacte du gouvernement flamand (et aux 2/3 du gouvernement bruxellois rôle néerlandophone) alors que la partie francophone est en exacte opposition à tous les gouvernements francophones (Communauté française ou FWB, Wallonie, Bruxelles francophone) et n’y est représentée nulle part. C’est une première en Belgique, un autre symbole du profond changement politique qui est en cours. Elle a des conséquences. Car comme de nombreuses politiques fédérales ne peuvent se mener qu’avec l’étroite collaboration du régional ou des communautés, on risque de se retrouver dans un pays à deux vitesses dans de nombreux dossiers. Un exemple : les deux demi-journées de prestation imposées aux chômeurs de longue durée ne pourront être mises en place qu’avec l’assentiment des régions. Si la Flandre joue le jeu à fond et la Wallonie et/ou Bruxelles traîne la patte (le gouvernement wallon voyant la mise au travail des chômeurs d’un très mauvais œil), ce dossier deviendra rapidement un brûlot communautaire et un argument de poids pour les sécessionnistes : voyez : les Wallons ne suivent pas.
Bien entendu, une telle prétention serait hypocrite de la part d’un parti qui prétend justement entériner un confédéralisme de fait où le pouvoir est concentré dans les régions. L’objectif est de démontrer que c’est bien déjà le cas. La 6e méforme de l’État permet à la N-VA d’accélérer ce phénomène pour, un jour, constater que la Belgique est constituée de deux États : la Flandre et la Francophonie, avec Bruxelles appartenant aux deux à la fois. De là à prétendre que la sécurité sociale ne peut qu’être scindée, il n’y a plus qu’un pas. En 2019.
On laisserait bien le temps au gouvernement Michel I de s’installer. On se dirait bien, comme nous le suggèrent les libéraux-conservateurs francophones, qu’il serait sage de lui laisser sa chance. Une réforme de la fiscalité est une urgence vitale. Les pensions sont réellement menacées. Oser les monter à 67 ans est d’une audace intéressante, pour autant qu’on trouve du travail pour tous ces gens jusqu’à 62 ans au moins, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais les ratages de ce tout début de législature sont d’une telle dimension qu’on ne peut pas les taire. Revue de détail.
Les Francophones à la portion congrue
Pour commencer, la distribution des portefeuilles démontre que les Francophones n’ont — comme on le craignait — pas un pouvoir digne de la population qu’ils sont censés représenter (42 % des Belges) dans ce gouvernement. Ils n’ont obtenu que des portefeuilles mineurs. Non pas au niveau de leur intérêt sociétal, mais bien en pouvoir d’influence. Pour la première fois, pendant une législature complète (soyons optimistes pour Charles), le premier ministre ne serait plus asexué linguistique : il est désormais labellisé francophone, ce qui fait perdre un ministre à la deuxième communauté la plus importante du pays. J’ai pointé dans On refait le Monde (au grand dam de mon ami Michel Henrion) qu’il ne pouvait en être autrement : il est impossible de vendre aux Flamands, particulièrement aux adeptes de la N-VA, qu’un parti qui ne représente que 9 % de la population (tous les partis flamands au gouvernement ont un meilleur score électoral, même s’ils disposent de moins de sièges — ce qui du point de vue nationaliste flamand est déjà un scandale en soi) ait la moitié des ministres, en plus du premier ministre. Soit, vu du Nord, la majorité absolue au gouvernement, alors que la N-VA, premier parti du pays, se retrouve avec quatre postes seulement. Il faut 1/4 d’heure pour expliquer pourquoi cette répartition est légitime, et une seul phrase pour dire qu’elle ne l’est pas.
En acceptant d’entrer seul dans un gouvernement dominé électoralement par la N-VA, le MR provoquait immanquablement le déséquilibre gouvernemental, et il sera très difficile ensuite pour les Francophones de revenir à un rééquilibrage à l’avenir, comme le pointe Fabrice Grosfilley dans un billet dont je ne partage pas toutes les conclusions, mais qui est d’une cohérence absolue.
Le MR affirme que la N-VA a promis qu’il n’y aurait plus de communautaire pendant cinq ans. Mais c’est parce que le MR a accepté des conditions de participation francophones qui constituent un recul de l’équité communautaire. Il y aura 7 portefeuilles francophones sur 18. Une première. La parité gouvernementale a vécu. En mettant entre parenthèses «le communautaire» dans un pays où tout est communautaire, Charles Michel a détruit la nation belge, qui n’existe que par la recherche permanente d’équilibre entre les deux grandes communautés. Cet équilibre est mort.
Pourtant, il y a au MR des défenseurs acharnés des droits de la minorité francophone. Ce ne sont pas des nationalistes, ils ont la même fonction que les défenseurs des droits culturels des Flamands au CD&V, par exemple. Mais ils ont été mis de côté dans l’équipe gouvernementale. Un comble quand, côté flamand, le plus extrémiste des nationalistes est vice-premier-ministre !
On murmure ainsi que le nom de Denis Ducarme a profondément déplu à certains négociateurs néerlandophones. On l’évoquait comme ministre de la Défense. Mais Ducarme a milité pour une réduction de ce qu’il a présenté comme l’excès de pouvoir des Néerlandophones dans l’armée belge. Il y a quelques mois, il se plaignait qu’en 2015, suite à plusieurs départs, il n’y aurait plus que 18% de généraux francophones dans l’armée belge. Il avait aussi soutenu le colonel Gennart et coprésenté son livre Vers une Armée flamande ? avec Olivier Chastel. De quoi être persona non grata dans ce gouvernement. Pire : alors qu’on exclut le MR qui a lutté contre la flamandisation du sommet de l’armée, c’est la N-VA qui tient désormais le ministère. Difficile dans ce cas d’espérer un ralentissement de cette flamandisation, pour autant qu’elle soit avérée (mais les chiffres sont difficiles à nier). Pire : si le but de la N-VA est bien de scinder le pays, la laisser flamandiser définitivement son État-major sonne carrément comme une trahison pour un Belgicain (que je ne suis pas).
3. La distribution des portefeuilles révèle la stratégie de la N-VA, ou la stratégie Maggie au service de la popularité.
La presse s’est largement fait l’écho de la dangerosité des portefeuilles francophones. Ils sont «pourris», lit-on. Outre le chemin de fer et ses retards (sans parler du Thalys d’Ostende et de ses 7 % d’occupation, qui — symbolique comme un arrondissement judiciaire — sera bien difficile à supprimer), il y a le survol de Bruxelles, le RER qu’on ne voit toujours pas venir malgré les promesses, les pensions qui promettent de rougir les rues, voire pire, dès lors que seuls 3 % des Belges ont envie de prendre leur retraite à 67 ans (une enquête Randstadt). Le budget est un ministère-clé, mais c’est aussi celui qui devra batailler avec la Commission européenne, et en cas de problème, ce ne sera pas forcément le parti fort, la N-VA, qui défendra le MR. Il y a l’énergie, où le black-out se profile déjà et où la prolongation de vieilles centrales nucléaires risque bien de poser quelques problèmes (et qu’adviendra-t-il en cas de nouveau sabotage ?)
Enfin, voilà quelques écueils sur la route du MR qui profiteront à la N-VA. Ah oui, j’oubliais. Le parti de Charles Michel pourrait même perdre de grosses plumes dans son propre camp traditionnel, les indépendants : leurs représentants protestent déjà contre une mesure furieusement anti-entrepreneuriale : désormais, lorsqu’un employé d’une petite boîte est malade, l’entreprise devra prendre ses deux premiers mois de salaire en charge, dit le programme. Pour les petites boîtes, ça signifie qu’elles ne pourront pas, en temps de crise, se permettre de le remplacer. C’est exactement le contraire de ce qu’attendaient les TPE (très petites entreprises) et les indépendants qui ont du personnel, ne fût-ce qu’un employé.
L’avez-vous remarqué ? La N-VA, qui appelait de ses vœux un gouvernement «socio-économique», a laissé pratiquement tous les ministères pouvant répondre à cette définition aux autres partis ! Seul le ministère des Finances va au parti de De Wever. Les autres portefeuilles N-VA sont ceux de la répression et du fusil : défense, intérieur, migration et asile. Au passage, elle prend aussi la fonction publique, où certains se plaignent depuis longtemps déjà d’une «domination flamande». Elle ne risque pas de s’arranger dans les cinq ans à venir.
Notons que ce choix est extrêmement habile. Voyez comme Maggie De Block est devenue populaire en menant une politique radicale d’expulsion. Les victimes de sa politique (qui a fait plusieurs morts, eh oui) n’ont pas une seconde limité l’enthousiasme qu’elle soulevait. Lorsqu’un opposant politique rwandais qu’elle avait renvoyé au pays alors qu’il était malade du Sida a été retrouvé mort torturé au Rwanda, ses services ont affirmé que rien ne démontrait qu’il avait été tué par les autorités et il faut bien reconnaître que la presse n’a pas demandé son reste, s’intéressant plus à l’étonnant succès de cette femme qu’aux conséquences parfois atroces de sa politique d’asile, plus proche de la comptabilité que de la gestion humaine. Le nouveau gouvernement va plus loin, en étendant les centres fermés et en prévoyant des logements familiaux en marge de ceux-ci. Va-t-on enfermer encore plus de mineurs ?
Toujours est-il que le succès de Maggie De Block a mis la puce à l’oreille de la N-VA. Qu’on se le dise, celle-ci fera encore «mieux». Une perspective qui doit effrayer. Alors que des centaines d’Européens ont reçu une lettre les priant de quitter le pays (en Belgique ! Au cœur de l’Union !), certains citoyens de l’Union résidant en Belgique se demandent déjà s’ils ne vont pas partir avant de recevoir un courrier aussi méprisant…
Un gouvernement néoconservateur qui brandit le bâton et oublie tragiquement la carotte.
Au ministère de l’Intérieur, les mesures dures ne devraient pas tarder. Elles sont notamment axées sur les jeunes, avec la fin de la tolérance sur le cannabis. Mais le chapitre le plus «lourd» de l’accord gouvernemental est celui du «jihadisme». On comprend bien entendu que le gouvernement s’en occupe, là n’est pas la question. Mais l’on se dit que la N-VA n’a pas laissé échapper la possibilité d’user de ce thème pour se montrer aussi efficace que Maggie. Si le gouvernement prévoit bien des mesures de prévention, elle ne détaille que la répression. Ainsi, les «jihadistes» potentiels risqueront la perte de la nationalité belge s’ils ont une double nationalité. Cette mesure apparemment logique pose pourtant un problème : les citoyens de certains pays, comme le Maroc, ne peuvent pas perdre cette nationalité et seront les premiers visés, même s’ils résident depuis leur enfance en Belgique. On prévoit aussi une loi punissant les jihadistes, mais aussi ceux qui ont été en Syrie et en sont revenus — souvent par dépit. Ceux-ci se retrouveront criminalisés d’office à leur retour en Belgique. Or, il y a là des mineurs et un certain nombre de naïfs qui ne se sont rendu compte de l’horreur du régime de l’Organisation État islamique que sur place, et ont de surcroît risqué leur vie pour quitter cette secte épouvantable.
L’accord de gouvernement prévoit également une accélération du traitement judiciaire de ces cas, qui risque d’avoir un effet similaire à celui de la politique de Maggie De Block : une justice aveugle qui ne résoudra pas les problèmes liés au retour des déçus du jihadisme, mais punira à la va-vite. Enfin, une police «secrètes» du web et donc des réseaux sociaux les explorera incognito et sévira en cas de contenu «jihadiste». S’il est évident qu’il faut les censurer pour limiter au plus tôt la conversion via le web, de plus en plus active, on doit se poser des questions sur la perspicacité des enquêteurs, déjà paranoïaques aujourd’hui : il suffit de voir comment la police a amené une presse trop confiante à accuser deux paisibles citoyens «d’origine immigrée» qui jouaient à un jeu «de guerre» d’avoir participé à des entraînements au jihad dans «les Ardennes» ! L’info, obtenue de source policière, a fait le tour du monde et a valu à l’un des protagonistes d’être licencié. Pourtant, les photos, postées sur le Facebook d’un «candidat au jihad présumé» ne contenaient rien qui pût faire penser au jihad !
Autrement dit, avec le même accord de gouvernement, selon ses modalités de concrétisation, on peut espérer une politique rigoureuse et efficace autant qu’on peut craindre de nombreux débordements, approximations, au profit d’une statistique qui mettra l’action du nouveau ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, en exergue. Avec ce petit problème supplémentaire : si l’on se montre sévère envers les jihadistes, une partie de la population demandera pourquoi on ne fait pas pareil avec les Belges engagés en Israël alors que ceux-ci ne font qu’exercer un doit fondamental en vertu de leur double nationalité. Ceci sera instrumentalisé par les fanatiques anti-israéliens. La «suédoise» se profile déjà comme une machine à éloigner encore plus les Belges les uns des autres, tant au niveau horizontal (Nord-Sud) que vertical (communautés diverses). Si la Flandre est la plus grande pourvoyeuse de jihadistes aujourd’hui, c’est peut-être aussi du fait de sa politique conservatrice et du manque de réaction face aux exactions islamophobes du Vlaams Belang.
Quoi qu’il en soit, le fait que la N-VA ait choisi les postes répressifs indique qu’elle laissera les autres partis s’occuper de son soi-disant core-business, à savoir «le socio-économique». Cela lui permettra de tirer son épingle du jeu quoiqu’il arrive : en cas d’échec économique, ce ne sera pas sa faute ; en cas de réussite économique, elle pourra y ajouter le succès sécuritaire. L’objectif : se faire réélire en 2019, après que la Suédoise aura ouvert la Constitution à révision, pour une ultime réforme de l’État menant à un confédéralisme pur et dur. Cette potentialité figure clairement dans le préambule de l’accord de gouvernement. Si cela arrive, le MR, plus encore que le PS, aura été le parti qui aura accéléré la fin du pays côté francophone.
Les «Belges d’origine immigrée» ne seront évidemment pas à la fête, du fait de cette insistance sur le jihadisme — et notre société est déjà en train de rendre chaque «musulman» (c’est-à-dire toute personne qui a un faciès qui pourrait faire supposer que sa religion serait l’islam, ou qui aurait des ancêtres musulmans) suspect. Lorsqu’une société exige ou suggère que «les musulmans» devraient s’indigner ouvertement et clairement pour ce qu’une bande de chtarbés sanguinaires fait à 5000 km de chez elle, on n’est déjà plus dans une société cohérente, dans un vivre ensemble mais dans un État de la suspicion. À cela s’ajoute une discrimination au logement et à l’emploi. Une étude révélait cette semaine que 84 % des agents immobiliers pratiquent la discrimination aux «étrangers». Logiquement, un gouvernement qui veut lutter activement contre le jihadisme prend soin de lutter contre les discriminations envers les populations les plus susceptibles d’être converties à l’islam radical. Or, le programme de gouvernement se débarrasse un peu vite de ce problème pourtant crucial : après avoir annoncé une «tolérance zéro» pour les discriminations envers les femmes, les handicapés, les homosexuels et «d’autres groupes à risque», notamment les travailleurs plus âgés, il évoque du bout des lèvres les discriminations liées à l’origine.
«Malgré des progrès en la matière, il existe encore des inégalités dans l’accès à l’emploi entre les Belges, selon qu’ils soient d’origine belge (sic) ou issus de l’immigration». On notera le ton sibyllin et la propension à l’euphémisme. Ce n’est pas étonnant pour un «gouvernement N-VA» : Zuhal Demir (N-VA «issue de l’immigration») a ainsi déclaré «ne pas croire en une discrimination structurelle» et a renvoyé les «Belges d’origine immigrée» à s’en prendre à eux-mêmes s’ils ne trouvent pas d’emploi ! Or, une étude du très sérieux Institut d’Étude du Travail (IZA) à Bonn, a montré qu’avec un CV identique, une personne ayant un nom turc est invitée deux fois moins souvent à un entretien que si elle porte un nom flamand, du moins pour les postes relativement faciles à pourvoir (à savoir, la majorité des jobs). En fait, avec la N-VA, les discriminés au nom exotique sont punis deux fois : d’abord lorsqu’ils subissent la discrimination, ensuite, quand une femme politique leur reproche de la subir !
Cette translation d’un droit fondamental non respecté en devoir mal rempli par la victime de la discrimination ne donne pas l’impression qu’on a envie de reconnaître aux «Belges d’origine immigrée» les droits fondamentaux qu’on reconnaît d’autant plus volontiers aux citoyens «belges d’origine belge». Rien que l’expression utilisée donne déjà une impression de «meilleure belgitude». Or, notre société est de plus en plus explosée. Les communautés sont en confrontation permanente, du fait de l’importation de plusieurs conflits moyen-orientaux et suite au 11 septembre. La première chose à faire est donc de lutter pour que chaque citoyen puisse vivre la citoyenneté promise par notre État «de droit». Il est inimaginable de consacrer toute l’énergie jambonnesque à la répression du jihadisme sans mettre au moins autant d’effort dans l’intégration. L’accord gouvernemental laisse augurer du contraire. Et là, je n’ai même pas parlé de la recherche d’un logement quand on est «bruin», comme on dit à Anvers.
4. Un gouvernement anti-discrimination qui discrimine dès le premier jour.
L’accord de gouvernement affirme mettre l’accent sur la lutte contre les inégalités. Il prétend ainsi appliquer une «tolérance zéro» dans la discrimination à l’emploi envers les femmes. On a du mal à y croire lorsqu’on voit qu’il ne parvient à aligner que quatre femmes sur dix-huit portefeuilles (trois ministres sur quatorze, une secrétaire d‘État sur quatre), dont aucune ne bénéficie du statut de vice-première-ministre. Le fait que d’autres gouvernements (wallon, FWB, germanophone) n’ont pas fait mieux et parfois pire, n’est pas une excuse, mais la preuve que le patriarcat a bien gardé ses marques dans notre pays ! C’était au fédéral de redresser la barre. Ça non plus, ce n’est pas à la portée de Charles Michel, apparemment.
Plus gros encore dans ce domaine, Jan Jambon, dans une séquence VTM où on le voit arriver au siège de la N-VA (si je ne me trompe) pour se faire couper les cheveux avant la prestation de serment, semble effrayé en voyant que sa collègue Elke Sleurs est en train de se faire maquiller. Et à la journaliste qui lui demande s’il a quelque chose contre le fait de se couper les cheveux, il répond : «le coiffeur ça va, mais ça [le maquillage], c’est bon pour Élio Di Rupo» ! Sous-entendu, c’est bon pour les pédés. Et voilà la «tolérance zéro» pour la discrimination envers les homosexuels (LGBT) qui valse aussi, et d’un seul coup de langue. Doit-on considérer que l’engagement soi-disant total de la N-VA pour la défense des LGBT est, lui aussi, de simple façade ?
5. Un geste antibelge, une presse francophone qui minimise, tout est en place pour une domination flamingante à long terme.
Ce ministre de l’Intérieur, à qui il faudra tout de même poser quelques questions au parlement (voir mon article sur Jan Jambon en visite chez les ex-Waffen-SS qui assument leur collaboration au nom de la défense de la Flandre) n’a rien trouvé de mieux, au moment de prêter serment, que de le faire avec les doigts en V. J’ai lu beaucoup de sottises à cet égard dans la presse, jusque dans nos journaux télévisés. Ce V évoquerait le slogan de la N-VA «Vooruitgang Voor Vlaanderen» (que je traduirais approximativement par «En avant pour la Flandre»). C’est n’importe quoi : en réalité, ce signe est utilisé depuis très longtemps par les nationalistes-flamands pour prêter serment. Ainsi, j’ai une photo du TAK, en 1983, où l’un des membres de cette milice «pacifique» met les doigts bien distinctement en V pour prêter serment. Mais mieux encore : depuis que l’Ijzerwake (pèlerinage de l’Yser extrémiste) existe, c’est comme ça qu’on y prête serment, les doigts en V, et pour les plus extrémistes, le bras tendu, en plus. Or, Jan Jambon est membre du Vlaamse Volksbeweging qui co-organise l’événement, notamment avec le Vlaams Belang.
Depuis des lustres, ces doigts en V ont un sens précis : l’indépendance de la Flandre, la libération de «la prison belge» et du «boulet wallon».
Face caméra, Jan Jambon prétend en souriant l’avoir fait «par habitude». Sur VTM, il est plus loquace : les deux autres ministres (de la Défense et des Migrations) qui l’ont fait lui auraient dit avant la prestation : «si tu le fais, on le fait aussi», mais lui assure bien que ce n’était pas un fait exprès. C’est ballot, avouez ! Alors que les journaux télévisés minimisent l’événement en prétendant que Di Rupo ou Onkelinx auraient fait un geste similaire (non, ils ont tendu deux doigts joints, et l’angle de prise de vue donne l’impression qu’ils sont un peu écartés), la N-VA s’est ainsi autorisée à planter un poignard dans le dos du roi Philippe, autant qu’aux partis qui sont entrés dans ce gouvernement pour une Belgique plus efficace, mais toujours fédérale.
La peur de revivre une crise de 540 jours est sans doute à l’origine de tous les silences de la presse sur la «Suédoise-Kamikaze-Bosnienne-Flamande». Ça donne la valeur de l’information du citoyen à l’heure de la N-VA.
Pour ce manifeste nationaliste-flamand, le MR n’était pas au courant. Grave aveu qui montre bien le peu de pouvoir de Charles Michel dans cette coalition-suicide (pour les Francophones, pour la Belgique) dont il ne contrôle pas et ne contrôlera jamais l’élément central : la N-VA. Ce gouvernement n’est de toute évidence pas dirigé depuis le 16 rue de la Loi, mais bien depuis le «schoon verdiep», le bureau de Bart De Wever, à Anvers. Ce que l’on subodorait jusqu’à aujourd’hui est, au vu de ce qui précède, de plus en plus difficile à contester. Charles Michel n’est pas grand-chose de plus qu’un instrument dans les mains de Bart De Wever qui pourra couper le courant quand ça l’arrangera, ou continuer jusqu’aux prochaines élections. Avec les atouts qu’il a en main, et que le MR a largement contribué à lui donner, il devrait l’emporter. Et la Belgique avec lui.
Je passe sur l’impossibilité du ministre N-VA des Migrations — sorte de skinhead version ministrable — de s’exprimer en français. Et sur celle du ministre de la Défense de faire une phrase correcte, voire compréhensible dans la langue de Molière. Bien sûr, des ministres francophones sont tout aussi coupables d’unilinguisme (un scandale dans un pays où un-e secrétaire doit parler couramment trois à quatre langues !). Mais pour un parti qui s’est gaussé de l’incapacité des Francophones à parler le néerlandais, la N-VA est décidément un exemple piteux de «faites ce que je dis, pas ce que je fais».
On retiendra plus tard, peut-être, que l’ambition et l’aveuglement d’un homme politique francophone et de son parti auront, plus encore que les errements wallons, entraîné un vieux pays par le fond.
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Xavier
octobre 12, 14:53Marcel Sel
octobre 12, 21:58Démocrate
octobre 12, 14:57Paul
octobre 12, 22:35uit't zuiltje
octobre 15, 16:30Guy Leboutte
octobre 12, 16:35nancybaran
octobre 12, 18:22Salade
octobre 12, 18:57schoonaarde
octobre 13, 00:16thomas
octobre 12, 21:20Marcel Sel
octobre 12, 21:48schoonaarde
octobre 13, 00:18schoonaarde
octobre 13, 00:42uit't zuiltje
octobre 15, 16:41Le_M_Poireau
octobre 12, 23:37Axle
octobre 13, 08:52Jay
octobre 13, 12:19francolatre
octobre 13, 15:27uit 't zuiltje
octobre 14, 00:55Yoel
octobre 13, 20:28Jo
octobre 13, 21:43Joris
octobre 13, 21:47uit 't zuiltje
octobre 14, 00:37Jester
octobre 14, 13:42CelC*
octobre 14, 16:55Marcel Sel
octobre 15, 10:40