NordPresse, Hanouna, même combat ? Lettre à Vincent Flibustier.
Dans un long texte sur Facebook (long comme un de mes articles), Vincent Flibustier de NordPresse se demande pourquoi des gens quittent sa page après sa blague vaseuse sur l’attentat de Manchester. Il avait « titré » que les 22 morts et plus de cinquante blessés de Manchester étaient en fait dus à l’explosion de Nicky Minaj — une rappeuse aux rondeurs époustouflantes, seins énormes, fesses colossales.
Je pose là le fait que NordPresse ait trouvé drôle de se moquer des rondeurs d’une starounette. C’est déjà beauf comme du sous-sous-Sudpresse. Mais quand on plaisante, la veille, sur le fait que Donald Trump, à Auschwitz, se serait plaint de l’état des douches, ou qu’on rappelle que les Juifs anversois sont bourrés de pognon, on est forcément en dessous de quelque chose de très bas. Dans l’article où il se moque de l’explosion, le même « humoriste » flagelle l’équipe de la chanteuse Ariana Grande pour avoir écrit à ses fans qu’elle allait bien, oubliant qu’elle a aussi immédiatement dit toute son horreur face à l’événement. Chez NordPresse, on se permet tout, mais on ne pardonne jamais rien aux autres.
L’autre chose que Vincent Flibustier ne comprend pas, c’est pourquoi se marrer tout de suite après que des enfants ont été massacrés par un terroriste ne serait pas possible. Oui. Pourquoi, quand je suis face à une adolescente qui se demande si elle va encore oser aller à un concert et me dit que ce monde est horrible, je n’ai pas envie d’être confronté à un étron soi-disant humoristique de ce calibre ? Il ne fait qu’ajouter au sale goût du monde d’aujourd’hui. Je n’ai même pas envie de savoir qu’elle a pu faire rire des gens.
Et c’est la responsabilité que Flibustier refuse d’endosser. Aujourd’hui, tout ce que nous produisons arrive potentiellement chez tout le monde. Je n’ai pas besoin d’être abonné à NordPresse pour voir débouler du NordPresse. Celui qui use de sa notoriété pour flatter son ego a donc forcément une responsabilité et des devoirs envers, non seulement son public, mais le public en général.
La drôlerie de corps criblés de clous et de boulons
Flibustier se justifie en affirmant que les parents des victimes de Manchester ne seront pas confrontés à son humour. Il n’y aurait donc, chez nous, personne qui se sentirait solidaire de ces pères et mères, copains d’école, enfants brutalement orphelins ? Étrange manque de compassion, de solidarité, de sympathie.
Flibustier se demande même pourquoi on lui en veut d’avoir plaisanté sur de petits corps avec un tel empressement. Simplement déjà parce que personne, absolument personne, ne l’y obligeait !
Il prétend qu’il se fout complètement du buzz, et pourtant, il en est un des producteurs les plus actifs en Belgique. Il prétend qu’il se fout de diffuser des choses qui ne le font même pas marrer lui-même. Mais alors, pourquoi il les diffuse ? Il affirme qu’on doit pouvoir se moquer de tout, mais alors pourquoi se plaint-il que ça ne plaise pas à tout le monde ? Quand on prend sa page pour une déchetterie où on diffuse tout et n’importe quoi, il ne faut pas s’étonner que les gens constatent une forte odeur de marécage.
L’humoriste irresponsable n’est rien d’autre qu’un irresponsable.
Vincent Flibustier montre par là qu’il n’a pas compris deux ou trois choses fondamentales. D’abord, quand on a (ou qu’on est) un média, tout ce qu’on diffuse prend sens. Ça implique un choix éditorial. Il n’y a pas de je-m’en-foutisme qui tienne ou alors, c’est une posture. Il n’y a pas d’innocence. Les buzz rapportent, au minimum en notoriété, je suis bien placé pour le savoir. Ça implique, qu’on le veuille ou non, une responsabilité. Flibustier prend en fait la même posture qu’Hanouna : tout serait permis pourvu que quelqu’un, quelque part en rie. Et lui aussi fait son propre procès pour tenter de se blanchir.
Eh bien non. Le rire se pèse, se soupèse et tout l’art est justement de frôler la ligne rouge sans jamais la dépasser. C’est un flirt avec le précipice. Depuis la nuit des temps, les humoristes, mais aussi les auteurs ont développé des techniques leur permettant d’aller plus loin que ces limites. La perspective en est une. Quand on veut dire une grossièreté insupportable, on la met dans la bouche d’un individu notoirement grossier et insupportable. Coluche faisait ça très bien.
Il y a aussi la notion de temps. Le rire est un acte social. Si la société appelle au recueillement, il n’a pas sa place et ce n’est pas grave. C’est juste momentané. Du reste, une même blague faite dix jours après un drame n’a pas le même impact que celle qui se plante dans la terre fraîche de la tombe où l’on vient de précipiter des innocents.
L’humour, comme toute diffusion, requiert un choix éditorial
L’humour, c’est comme l’écriture. Tout le monde sait écrire, mais rares sont ceux qui peuvent en faire une profession. Et parmi les professionnels, rares sont les vrais talents. Il en va de même pour l’humour. Des gens ultradrôles en privé peuvent être médiocres en public. Quand on fait profession de l’humour, comme Flibustier, il y a un travail quotidien à accomplir, une sélection à faire, des choix à assumer. C’est frustrant, c’est épuisant, c’est sévère. Au pire, quand on merde, on assume. Vincent a bien publié une merde, mais même l’assumer, il n’y parvient pas. Il s’est pris une volée de bois vert et il pleurniche, se victimise, prend son public à témoins, c’est probablement encore le pire. Hanouna, pareil.
À ces critiques, Flibustier répond, comme on le fait de plus en plus souvent, qu’on doit pouvoir rire de tout ! C’est faux. On entend régulièrement que le politiquement correct nous censure. Bizarrement, cette critique vient souvent des conservateurs. Pourtant, ce politiquement correct, autrefois, on appelait ça de la décence. Ça a toujours existé.
L’art de l’humoriste est alors de flirter avec la décence, de la remettre en question. Michel Colucci a d’emblée créé un personnage qui pouvait tout dire. Ce qu’on a souvent présenté comme de la grossièreté était le résultat d’un travail, au contraire, d’une grande finesse. Il repoussait le territoire des possibles en évoquant des cardinaux « presque liquides ». Des phrases comme « sa saleté Jean vingt-douze » ouvraient radicalement de nouvelles portes au droit à la caricature. Aujourd’hui, on peut toujours aller aussi loin. Et même plus loin. Le soi-disant politiquement correct n’est pas un obstacle. Il protège simplement des individus qui n’étaient pas encore protégés autrefois. Mais ce n’est pas une atteinte à la liberté de rire. Ce sont les limites posées à la liberté de s’en prendre aux minorités ou aux différences visibles.
Le « politiquement correct » n’est que le reflet correct d’une société plus libre.
Car, en réalité, on n’a jamais été aussi libre qu’aujourd’hui. Libre d’être homosexuel sans être confronté, à la télévision, à des imitations grossières ou des plaisanteries vaseuses sur sa sexualité. Libre d’être femme sans être prise, par des personnes publiques, pour une référence de faiblesse (femmelette, jeannette) ou au contraire pour « couillue » dès qu’on ne correspond pas à ce cliché. Libre d’être noir sans qu’un humoriste fasse rire des salles bondées en raillant vos narines ou en vous comparant à un singe. Libre d’être immigré sans être présenté comme un abonné au chômage. Ceux qui ne parviennent pas à respecter ces quelques règles simples ne respectent pas autrui et se prennent une juste volée de bois vert.
Mais l’humoriste, lui, n’a rien perdu de sa liberté de faire rire. Il a heureusement perdu un peu de sa liberté d’être beauf. Car je ne vois pas en quoi rire des yeux bridés des Asiatiques soit indispensable. Je ne vois pas pourquoi il faudrait faire passer (tous) les homosexuels pour des folles, même sympathiques. Il y a suffisamment de choses drôles à souligner chez les puissants, les corrupteurs, les malveillants, les salauds publics, pour ne pas avoir envie de s’en prendre aux plus faibles, aux individus, au physique ou aux tares. Et quand les plus faibles — des enfants — se prennent toute l’horreur de notre société dans le corps, des clous, des boulons, des shrapnells, celui qui a besoin d’en rire, ou qui ressent le besoin de faire rire sur ce sujet a, de mon point de vue, le cerveau sérieusement pollué.
Et, oui, je vous assure que je ne suis pas du tout ce qu’on appelle « un triste sire ». Je ris beaucoup, tout le temps. Je ris, je raille, je déraille. Mais le rire étant le propre de l’homme, un minimum de décence ne fera que servir son humanité.
Je suis Charlie… un peu, beaucoup, pas du tout…
On nous a volontiers vanté que l’humour n’était jamais nocif. On nous l’a beaucoup joué « je suis Charlie ». Des gens qui avaient trouvé l’hebdo illisible auparavant se sont tout à coup inventés grands défenseurs d’une liberté soi-disant absolue. Cette liberté est un mensonge gros comme un film nazi sur les Juifs. Vulgaire comme une blague beauf sur les Italiens à la moutouelle. L’humour est une arme de décompression quand il est bien manipulé. Mais c’est aussi du TNT qui fait passer plus facilement le racisme, l’homophobie, la misogynie et tous les -ismes quand on se laisse aller.
Hanouna comme Flibustier ont pris l’habitude de se laisser aller sous prétexte de liberté totale pour se faire, ensuite, applaudir par les foules qui, elles, hélas, ne voient pas le mal potentiel. Hanouna est le pape des harceleurs. Après qu’il a fait l’objet d’un procès public (à faute publique, procès public), certains de ses fanzouzes sont allé casser la gueule de jeunes identifiés comme homos, responsables, selon eux, de l’affront fait à leur star. Du rire, dites-vous ? Du rire, vraiment ?
Hélas, quelques grands humoristes se sont régulièrement présentés comme des défenseurs du droit absolu de (faire) rire de tout, sans limites. Ce droit n’existe pas. Ayant récemment repris la direction de Pan, un journal satirique qui a dérivé vers ce que beaucoup ont qualifié de « poujadisme », je suis bien placé pour savoir que chaque dessin et chaque vanne un peu limites se discutent et tombent vite à la poubelle si l’on juge qu’on peut mal les comprendre, ou si des gens mal intentionnés peuvent aisément les récupérer pour semer la haine.
L’humour, c’est du tri
Dans tous les projets humoristiques auxquels j’ai eu l’honneur de participer, au moins la moitié des idées pass(ai)ent au classement horizontal avant même d’être développées. Parce que pas drôles, souvent. Parce qu’indécentes parfois. L’art de l’humoriste est bien de rire de n’importe quoi, mais justement pas n’importe comment. Et on n’est pas toujours obligé de faire rire : l’humoriste est d’abord quelqu’un qui pose un regard sur la société. Sinon, c’est juste un singe.
L’attitude de NordPresse est, enfin, incohérente. Vanner sans arrêt les « journaux de merde » que seraient ceux du groupe SudPresse, et aller soi-même encore plus loin dans le voyeurisme, dénoncer des journalistes en donnant pratiquement leur adresse, c’est répondre au voyeurisme certes très critiquable par un populisme facile, tout aussi critiquable. Et cela revient à annuler sa propre action.
Prétendre qu’on a raison de publier n’importe quelle plaisanterie dégueulasse parce qu’il y a des followers qui applaudissent, c’est se ranger dans la même classe qu’Hanouna ou Dieudonné. Se plaindre ensuite que des gens réagissent, c’est nier qu’on a créé un public (avec des 1 000 ou 100 000 likes sur une horreur) qui n’est pas moins voyeur que celui de sa victime préférée, SudPresse par exemple. C’est manipuler les foules aussi sûrement que le font les Trump ou Le Pen, têtes de Turc courantes de Flibustier.
L’humour n’est jamais anodin. Mais heureusement, la notoriété est vengeresse. Celui qui l’a acquise par des biais dégoûtants ne peut se plaindre qu’elle lui renvoie ses propres égarements et lui fasse, un jour, payer le prix de sa facilité.
En espérant que ceci aidera Vincent Flibustier à mieux (se) comprendre.
102 Comments
Gérard
mai 25, 16:07fred
mai 25, 16:25Clement Musashi Tokugawa
mai 25, 16:33marcel
mai 26, 12:19u'tz
mai 27, 22:16Charlie Hebdo | Pearltrees
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mai 26, 12:17Alexis Ewbank
mai 26, 16:30Tournaisien
mai 26, 16:54marcel
mai 26, 17:39Tournaisien
mai 26, 21:18Billy Bob Coosemans
mai 25, 21:28marcel
mai 26, 12:15Alexis Ewbank
mai 26, 16:36u'tz
mai 25, 22:16Tournaisien
mai 26, 21:28Laurent Leprince
mai 26, 10:10Niala92
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mai 30, 11:06Wallimero
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juin 29, 10:15Micheline Jacobs
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