Un N-VA, ça Trump énormément. Ou comment la flamme démocrate du MR s’éteint doucement.
Les observateurs ont pu se demander pourquoi le Premier ministre Charles Michel n’a pas été plus virulent après la décision de Donald Trump d’interdire l’entrée des USA aux ressortissants de sept pays musulmans, y compris quand ils disposent d’un VISA ou même quand ils ont une autorisation de travail aux États-Unis et y résident depuis des années ! Charles Michel a ménagé la chèvre et le chou, rappelant que les USA sont un État souverain (merci, on était au courant) et affirmant que la Belgique n’allait pas suivre l’exemple de Donald Trump. Une info étrange : la Belgique ne pourrait de toute manière pas suivre cet exemple, elle fait partie de l’espace Schengen, pour rappel.
Pendant que le Premier ministre serpentait, Jan Jambon parlait de « contexte » et Theo Francken faisait même mine de comprendre la logique de cette infâme décision. Heureusement, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, sortait un mot nécessaire de sa poche, qualifiant la décision de « brutale ». Serait-il le dernier libéral du gouvernement ?
Un Charles Michel, ça Dewever énormément.
Pourquoi tant de retenue au 16 rue de la Loi ? On a un début d’explication. Hier, à la Chambre, Peter De Roover, chef de groupe N-VA, a taclé « la gauche » (mais aussi le Premier ministre) en lui reprochant de s’en prendre à Trump. Clairement, les protestations sur le décret qui interdisait brutalement toute entrée de citoyens de 7 pays à majorité musulmane (et à tout réfugié) étaient visées. Non seulement la N-VA n’y trouve pas matière à critique — mais plutôt à « nuances » — sous prétexte que cela ne concernerait pas la Belgique. Mais en sus, elle reproche à la gauche d’user d’une prétendue « supériorité morale ».
Or, reprocher à un gouvernant d’user des peurs pour désigner un bouc émissaire, ce n’est pas de la supériorité morale. Et ce n’est pas une exclusivité de gauche. C’est juste le minimum de ce qu’on doit attendre d’un démocrate. Et parce qu’une telle décision peut influencer des électeurs belges : « les USA expulsent bien à bras le corps, c’est la plus grande démocratie du monde, donc, il n’y a pas de mal que le Vlaams Belang propose la même chose ». Il n’y a qu’à voir l’enthousiasme de Marine Le Pen qui base son succès sur celui de Donald Trump.
Par ailleurs, la N-VA n’hésite pas à cogner sur Angela Merkel pour son accueil des réfugiés. On ne se demande pas non plus, à la N-VA, si la répression d’Erdogan a des conséquences en Belgique. On la critique. Point. On ne se demande pas, à la N-VA, si les décapitations de notre allié saoudien ont des répercussions belges. On les matraque, et on a raison.
Le devoir de réaction est une affaire interne.
La démocratie, l’humanisme sont des notions vagues et fragiles. Les dirigeants — nos dirigeants — ne sont pas uniquement là pour dire le droit, le nez dans nos seules affaires. Ils sont aussi là pour justifier — ou non — les liens que nous entretenons avec les autres États. Nous devons interpeller nos ministres sur les massacres au Yémen, causés par l’Iran et par l’Arabie saoudite, mais aussi par les USA (d’Obama comme de Trump), et peut-être avec des armes belges. Nos ministres doivent nous répondre et nous donner leur position, soit la position officielle de la Belgique, sur les exactions dont d’autres pays, amis ou non, se rendent coupables. Dans le cas du décret immigration de Trump, dès lors que les binationaux sont concernés, la Belgique l’est de facto. Mais même si ce n’était pas le cas, une réaction était indispensable.
La démocratie, l’humanisme ne sont ni de droite ni de gauche. Elles sont fondamentalement libérales, elles sont même la fierté du libéralisme. Il est un chouïa dévoyé ces temps-ci, mais ce n’est pas une raison, monsieur Michel, pour renier vos sources.
Un Premier ministre est un phare, une référence, son discours nous informe aussi de l’état de notre propre démocratie et de notre humanisme. Justin Trudeau a beaucoup de défauts, mais il l’a compris. Angela Merkel n’a pas manqué de réagir en expliquant pourquoi ce décret la révulsait : il jette une suspicion démesurée et totalement improductive sur toute personne, homme, femme, enfant, issue d’un de ces sept pays. Elle a pris une position de principe, ce que même Didier Reynders n’a pas pu faire.
Critiquer Trump, c’est aimer l’Amérique.
Les 3/4 de l’Amérique éditoriale l’ont compris aussi et ont montré l’absurdité des choix trumpiens : à deux exceptions près, aucun ressortissant d’aucun de ces sept pays n’a jamais commis un attentat terroriste aux USA, et aucun n’a tué. Les terroristes étaient russes (tchétchènes), saoudiens, pakistanais, afghans, somaliens et américains.
L’attentat terroriste de San Bernardino (Californie) a ainsi été perpétré par Rizwan Farook, citoyen américain d’origine pakistanaise, et Tashfeen Malik, une Pakistanaise qui a principalement vécu en Arabie saoudite. De tous les pays désignés par Trump, seule la Somalie a eu un lien avec deux terroristes (au couteau) sur le territoire américain. L’Iran est un choix encore plus absurde : principalement chiite, il n’est concerné ni par Al Qaeda ni par l’organisation État islamique. Si l’on suit la logique de Donald Trump, au contraire, ce sont les Russes, Saoudiens, Pakistanais, Afghans et… Américains qui devraient être interdits d’entrée. L’absurdité du choix, qui répond à une image d’Épinal destinée à satisfaire un public béotien, revanchard, haineux et en phase de brainwashing, en montre l’iniquité, l’absurdité, l’incompatibilité avec les plus élémentaires principes démocrates.
Donald Trump ne s’est donc pas contenté de semer la haine. Il a montré à quel point il méprisait l’existence de ces « musulmans » en mettant en œuvre des mesures qui, du jour au lendemain, séparent des familles, bloquent des réfugiés déjà désespérés, parfois mineurs, dans des pays où ils étaient en transit et qu’ils ne connaissent absolument pas — et où ils sont parfois sans ressources —, empêchent des résidents américains de rejoindre leur foyer, leur travail ou leurs proches.
La scène où une maman iranienne résidente et intégrée aux USA emballe, les yeux effarés, son fils de cinq ans dans ses bras, parce qu’elle a bien cru pendant plusieurs heures qu’il allait être renvoyé alors qu’il se trouvait à quelques mètres d’elle, côté douane à l’aéroport de Dulles, est révélatrice : ce président-là n’hésiterait pas une seconde à séparer un enfant de sa mère pour marquer le coup, pourvu que l’enfant et la mère ne soient pas blancs et chrétiens.
Croire qu’il a agi comme un imbécile sur un coup de tête (la N-VA ânonne qu’il est impulsif), c’est lui donner un crédit qu’il ne mérite pas. Il est président, ses décisions sont censées être réfléchies, nous devons les considérer comme telles, et en conclure qu’il n’est pas stupide : il est juste toxique, entouré de racistes néoconservateurs qui ne refusent pas une cuillérée de fascisme et fricotent avec des Le Pen, des Wilders, des Farage. Penser que Trump est bête, c’est refuser de voir à quel point il est dangereux.
Le fait que Donald Trump soit le président du pays occidental le plus puissant auquel nous sommes étroitement associés notamment au travers de l’OTAN est largement suffisant pour que de telles décisions nous concernent et que nos dirigeants les commentent sans pitié. Les États-Unis sont notre premier modèle de société, l’État qui a le premier mis en œuvre la démocratie occidentale, celui qui a fasciné Tocqueville. Or, c’est ce modèle qui dérive à toute vitesse vers une autocratie brutale. Nous en avons déjà une à notre frontière orientale. Nous en avons plein à notre frontière sud. Ça suffit pour qu’on réagisse.
La leçon de morale, un devoir libéral.
Parce qu’il puise ses valeurs dans l’Habeas Corpus, Voltaire, les droits humains, un libéral aurait dû répondre sèchement que de telles mesures sont inacceptables, non pas pour les démocrates que nous nous targuerions d’être, mais les démocrates que nous tentons de rester.
Et là encore, la leçon vient d’Amérique. Après que le Congrès américain a décidé de la forme du nouvel État américain, l’honorable Benjamin Franklin a été interpellé par une dame qui lui a demandé « qu’avons-nous, une monarchie ou une république ? » Franklin a répondu : « une république, si vous savez la maintenir ».
Quoiqu’en dise la N-VA, ce n’est donc pas de l’éventuelle interférence avec les affaires belges qu’il s’agit, mais d’un principe bien plus fondamental, énoncé par l’Amérique elle-même. Ce n’est pas en adversaire que notre Premier devait lui répondre, mais en ami de ces idéaux fondamentaux que les Américains ont mis en œuvre plusieurs décennies avant nous et qu’une majorité de citoyens des États-Unis tentent aujourd’hui, désespérément, de maintenir.
Par-dessus le marché, Donald Trump se permet, semaine après semaine, de décrire l’Europe, la France et la Belgique comme des fatras (mess). En français, il dirait plutôt « des bordels ». Son prochain ambassadeur auprès de l’Union européenne prétend la « mater » et se réjouit de son explosion prochaine. À toutes ces provocations, nous ne répondons même pas. Nous baissons la tête. Nous lui donnons raison. Pourtant, son pays est n fois plus meurtrier que les 27 ou 28 nôtres réunis. En plus du sens de la répartie, nous avons perdu le sens de l’honneur. Laisser l’insulte sans réponse est littéralement irresponsable. C’est peut-être même un nouveau Munich — l’Histoire nous le dira.
Aujourd’hui, la N-VA persiste et signe. Elle incite ses membres à ne pas réagir aux informations concernant Donald Trump et à attendre qu’elle soit vérifiée par « le service d’Études de la N-VA ». Celui-ci serait donc mieux informé que Reuters, CNN ou ABC news. À moins bien sûr que, flatté de voir un type encore plus rustre que lui dans ses twits, Theo Francken ne parte du principe que la vérité est plus dans le camp de Trump que partout ailleurs.
Que notre Premier ministre se laisse mater par ces gens-là, et se retienne d’éclairer notre démocratie au moment où c’est indispensable, donne la mesure de la faute commise en s’associant inconditionnellement à des néoconservateurs nationalistes qui ont, toujours, gardé un morceau de fibre identitaire. Le naturel de la N-VA ne se chasse pas au galop. Celui du MR, lui, semble bien s’éteindre doucement.
24 Comments
Tournaisien
février 03, 12:29Alfred
février 04, 15:39Tournaisien
février 05, 08:30u'tz
février 08, 00:56Salade
février 03, 12:49WunderWaffle
février 03, 13:41marcel
février 04, 00:02u'tz
février 08, 00:32u'tz
février 03, 21:37Wallimero
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février 04, 19:20lievenm
février 04, 19:51Capucine
février 05, 19:12Rivière
février 05, 20:17Wallon
février 07, 09:22marcel
février 07, 13:14u'tz
février 08, 00:44Wallon
février 08, 10:26Wallon
février 08, 10:49marcel
février 08, 14:54mélanippe
février 27, 13:08mélanippe
février 27, 13:10