Dix bonnes raisons de visiter la Bruxelles déliquescente maintenant !
Les journaux alignent les critiques sur Bruxelles. Elles sont généralement justes. Notre administration est une usine à gaz. Nos politiques d’intégration ont échoué à un point dantesque. Notre police et nos services de renseignements n’ont pas su empêcher la terreur brutale. Et nos politiciens ne sont toujours pas capables de reconnaître l’ampleur de leur responsabilité.
Les Belges sont eux-mêmes en partie responsables de cet état de fait. Ils se plaignent sans arrêt de leurs politiciens, mais ne s’impliquent presque jamais. Même quand le pays semblait condamné à la scission, il a fallu 200 jours sans gouvernement pour qu’enfin une petite foule se décide à manifester. La plupart des citoyens s’en fichaient. Ils avaient mieux à faire : travailler, épargner pour acheter leur petite maison ou leur appartement, sortir, faire du shopping, parler de football, boire une bière, faire l’amour (le samedi).
(English version)
Et pourtant, ça vous donne une première bonne raison de visiter Bruxelles : si nous ne nous intéressons pas à la politique, c’est parce que le chocolat est franchement plus important. Ou les frites. Nous pouvons passer des heures à discuter de la meilleure friterie. Antoine, Clémentine, Flagey, Miroir ? Nous nous chamaillons sur la boulangerie qui fait le meilleur gâteau des Rois. On peut même défendre férocement sa version de la véritable origine de notre fameux Manneken Pis, monument national minuscule, qui nous fait en plus passer pour de petites bites !
Mais quel que soit le sujet de nos querelles, elles se terminent généralement autour d’une bonne bière belge, d’un thé à la menthe, de vin ou de café. Parce que ce que nous aimons le plus, c’est être aimé. Et comme nous sommes un peu en manque d’amour ces jours-ci, notre hospitalité célèbre sera d’autant plus chaleureuse dans les boutiques, hôtels, restaurants.
Vous pourriez penser que nous sommes un peu déprimés en ce moment, et qu’un citytrip à Bruxelles serait une expérience potentiellement triste. Après tout, trente-deux personnes sont mortes dans les récents attentats. Et depuis, les affaires sont mauvaises. C’est vrai, certains de nos hôtels ont perdu jusqu’à 80 % de leurs visiteurs. Mais voilà une deuxième bonne raison de venir dès que possible : même dans les pires circonstances, nous nous raccrochons à ce que certains appellent « notre surréalisme ». Ainsi, la semaine dernière, des hôtels vous offraient 50 % de réduction si vous vous présentiez à la réception en… pyjama !
La troisième bonne raison serait de montrer votre solidarité avec une ville en détresse. Et de visiter le mémorial que des citoyens de toutes origines ont construit spontanément avec des drapeaux et des fleurs sur les marches de l’ancienne bourse de Bruxelles. Un lieu de valeurs monétaires est devenu lieu de valeurs humaines quand des citoyens de toutes les communautés ont organisé ce qui n’avait apparemment pas effleuré les politiques.
Et puis, même attaquée, Bruxelles reste moins dangereuse que bien des villes d’Europe et d’ailleurs. Vous pouvez vous promener à Molenbeek et découvrir qu’elle n’a rien de la soi-disant no-go-zone que les médias ont décrite. C’est juste vivant et dépaysant.
La quatrième raison de visiter Bruxelles est notre technologie administrative ChiconPlus™. Nous sommes en effet le seul pays au monde qui se réforme tous les dix ans vers toujours plus d’inefficacité. Du coup, Bruxelles est un formidable exemple de mauvaise gouvernance. Au point que, dans cette (in)discipline, nous n’avons pas le moindre concurrent. Mieux : aucun autre pays, aucune autre ville, n’arrive à notre cheville !
Voyez notre record du monde : notre plus longue crise politique a cessé après 541 jours sans gouvernement. Mais le pays a survécu pour une raison folle : il est virtuellement impossible de ne pas avoir de gouvernement en Belgique, parce que nous en avons tout simplement trop. Même sans gouvernement fédéral (national, donc), il nous en reste au moins cinq pour faire le job. Et avec ça, la bagatelle de huit parlements, dont un sans pouvoir (le Sénat) et un autre qui n’est pas appelé « parlement » (la COCOM — n’essayez pas de comprendre ce que c’est si vous tenez à votre santé mentale).
En fait, il n’y a pas moins de six de ces parlements qui ont des compétences dans la seule région bruxelloise : la Chambre, le parlement flamand, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le parlement francophone de Bruxelles, le parlement de la Région Bruxelles-Capitale et la COCOM ou Commission communautaire commun. Ajoutez-y le parlement européen et vous obtenez la cinquième bonne raison de visiter Bruxelles : nous détenons le record mondial de parlements et de parlementaires au mètre carré. À cela s’ajoutent 19 communes qui ont chacune autant de pouvoir que la plupart des mairies centrales d’une capitale normale. Vous vous demandez probablement si ça fonctionne. Évidemment que non ! Et pourtant, elle tourne !
Voilà d’ailleurs la sixième raison de découvrir de Bruxelles : tout ce que vous pouvez en dire est vrai, et son contraire aussi. Vous pouvez dire que c’est une ville faillie. Vrai. Ou qu’elle fonctionne plutôt bien. Vrai aussi. Vous pouvez la qualifier de pauvre, ses habitants ayant le plus bas salaire moyen en Belgique. Ou la trouver très riche puisque son PIB est le troisième plus élevé de l’Union européenne.
Vous pouvez croire que c’est une ville du Nord, de par son marché de Noël, son goût de l’intimité, son architecture. Ou la trouver méditerranéenne du fait de ses rues sales, de son trafic anarchique, ou parce qu’on peut négocier ses impôts. Bruxelles est hyperactive quand il pleut ou qu’il neige. Et super décontractée dès que le soleil brille. En fait, Bruxelles est le contraire de Bruxelles, tout le temps.
C’est probablement pour ça que les Bruxellois détestent leur ville et l’adorent. Il y a même un mot pour décrire cette relation étrange : l’abruxellation. Nous critiquons nos services publics en permanence, mais devenons bien vite nostalgiques dès qu’on la quitte. Nous sommes jaloux des beautés de Paris ou de Londres, mais passons des heures dans les allées vertes et les parcs qui rendent Bruxelles si agréable. Nous voulons que la ville soit grande et fière, et faisons tout pour la garder petite et modeste.
Et puis, bien sûr, il y a notre querelle linguistique. Étrangement, souvent, elle nous réunit. Ainsi, la station de métro qui a subi l’attentat de mars s’écrit Maelbeek en français et Maalbeek en néerlandais. Mais ça se prononce de la même façon dans les deux langues. Une septième raison de passer nous voir, donc : découvrir que nous n’avons pas réussi à gérer nos deux communautés linguistiques de façon simple. Mais que ça marchotte quand même au final.
La huitième raison est évidente, pratique et un peu cynique : comme il y a peu de visiteurs ces temps-ci, les chambres sont moins chères !
La neuvième raison, je vous laisse la choisir. Les langues ? On en parle plus de 140, et le français est compris partout. L’armée gardienne de la paix ? Nos soldats, qui patrouillent partout ces jours-ci, sont sympas, souriants, et donc populaires. La Bruxellisation ? Juste à côté d’un bâtiment horrible, vous découvrirez une façade art nouveau d’un goût exquis. Une gastronomie cosmopolite ? Les meilleurs restaurants du monde vous attendent, thaïs, indiens, chinois, tunisiens, français, belges, africains, et tant d’autres.
Il y a aussi les contrastes. Vous boirez une bière dans une authentique brasserie intimiste du XVIIe siècle et, juste après, vous flânerez dans un marché à la marocaine au cœur de l’Europe. Vous dînerez au Comme chez Soi, l’élégant restaurant deux étoiles, découvrant qu’il se trouve dans un quartier très populaire. Vous visiterez l’étonnant cimetière du Dieweg, abandonné en 1958, où la nature a superbement repris ses droits sur de luxueux caveaux de famille. À Bruxelles, notre désorganisation est un mode d’organisation.
Et si vous ciblez le citytrip culturel traditionnel, vous visiterez forcément nos musées nationaux. Peut-être aurez-vous alors la chance de trouver des seaux d’eau au milieu d’une pièce pleine d’œuvres précieuses. C’est parce que notre gouvernement n’investit pas dans la réparation des toits, même quand il y a un Brueghel en dessous. Mais les employés du musée, eux, bossent dur pour préserver les œuvres, bougeant les seaux et les peintures selon la météo.
La dixième raison vous paraîtra alors évidente : visiter Bruxelles est le seul moyen de comprendre ce qu’est un pays déliquescent : un système qui rend tout plus compliqué. Mais qui révèle aussi le meilleur de nous-mêmes, qui luttons contre vents et marées pour garder ce pays vivable, visitable, adorable. Et le plus fou, c’est qu’on y arrive.
Donc, il faut que vous veniez tout de suite. Pour découvrir une grande petite ville. Une petite grande ville. Un pays failli qui fonctionne. Et vous vous rendrez compte que, quoique la politique puisse faire à une ville, un sourire est le meilleur remède. Et les nôtres sont tout, sauf déliquescents !
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mélanippe
mai 14, 11:33mélanippe
mai 14, 11:46mélanippe
mai 14, 11:48Beatrice Pornon
mai 14, 12:00mélanippe
mai 14, 12:13mélanippe
mai 14, 12:34mélanippe
mai 14, 12:47mélanippe
mai 14, 12:53mélanippe
mai 14, 12:56Sylvie Rigot
mai 14, 13:29moinsqueparfait'
mai 14, 18:14marcel
mai 17, 08:40moinsqueparfait'
mai 17, 18:36Jester
mai 20, 10:01u'tz
mai 15, 10:26mélanippe
mai 15, 10:42PATRICK DE GEYNST
mai 15, 12:03mélanippe
mai 15, 15:10Capucine
mai 15, 17:50van der Weerden
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