Kobane, bal des faux culs et presse en rade.
Ça fait plus de 20 jours que Kobane, ville à majorité kurde, au nord de la Syrie est assiégée par l’Organisation État islamique. Elle est défendue par les Kurdes de l’YPG (Unités de Défense populaire), auquel l’on reproche d’être le bras armé du PYD, parti proche du PKK, ce dernier étant reconnu organisation terroriste par la Turquie et ses alliés américains et européens. L’YPG nie. Mais voilà. On a mis tous ces gens dans le même sac, autant le fermer et le jeter dans la rivière, non ?
Stupide classification que celle-là. Car l’YPG lutte ici pour sa ville, ses droits, ses femmes, ses hommes, sa terre. Des résistants, pas des terroristes ! Les Kurdes sont équipés de vieilles pétoires. En face, les barbus barbares disposent d’une vaste panoplie d’armes sophistiquées prises à l’ennemi, des armes américaines, françaises, anglaises, belges sûrement. Des chars, des mortiers, des fusils modernes, des bazookas (comme on disait autrefois), de l’artillerie. Plus de 150.000 habitants de Kobane se sont réfugiés derrière la frontière turque, toute proche. Les combattants kurdes se battent pied à pied malgré le manque de matériel. Depuis des semaines, ils en appellent à la Coalition — je rappelle que la Turquie fait partie de l’OTAN — espérant quelques frappes aériennes. Vous savez bien, ces avions F16 que nous avons envoyés, et dont la première frappe belge a été médiatisée par un ministre très fier de leur action.
Une équipe de la BBC s’est pris une grenade de gaz dans la voiture.
Il y a une semaine, le service public en a parlé un peu, de Kobane. Aujourd’hui, la ville, bientôt livrée au pillage, au meurtre, à l’épouvante a eu droit à… quatorze secondes au journal télévisé.
Il y a en ce moment à Kobane un obus jihadiste qui tombe toutes les 4 ou 5 minutes, selon un témoin sur place. Les frappes de la coalition ? Deux frappes hier. Quatre aujourd’hui. C’est à pleurer. En plus, elles sont peu efficaces, mais c’est tout ce qui donne un peu d’espoir aux combattants kurdes : ça fait des mois qu’ils demandent des armes, ils n’en ont pas reçues. Pire : à la frontière turque, des dizaines de chars attendent, le canon pointé vers Kobane. Et restent cois. Encore pire : les volontaires kurdes qui veulent rejoindre l’YPG pour défendre la ville sont remballés par la police turque à coup de gaz lacrymogènes. Seuls les réfugiés peuvent entrer en Turquie, personne ne peut en sortir. Une équipe de la BBC s’est même pris une cannisse de gaz dans la voiture, à travers la vitre ! La mauvaise volonté turque est patente. Les soldats de l’YPG, désespérés. Les habitants se disent déjà qu’ils ne reverront jamais leurs maisons.
Hier, dans plusieurs villes d’Allemagne, de Suisse, de Turquie bien sûr, des Kurdes se sont rassemblés pour protester contre l’absence de réaction internationale. Contre ce lâchage atroce d’une ville pourtant stratégique : elle permet à l’Organisation État islamique de relier ses possessions au nord de Raqqa à celles de l’Ouest, et d’éliminer une enclave kurde qui la dérange. Une ambition que la Coalition a toutes les raisons de contrecarrer énergiquement. Mais les frappes aériennes sont symboliques, et les chars turcs regardent sans bouger.
Il y a plusieurs explications à cela. La situation politique est complexe. Le parlement turc a voté en faveur d’une intervention turque contre l’ISIS en Syrie, ai-je lu dans le Washington Post. Qu’est-ce qu’elle attend, me direz-vous ? Eh bien, d’après le prestigieux quotidien, la Turquie ne voit les islamistes que comme une bande de jeunes mal informés et participerait plus volontiers à une action en Syrie si le but avoué de la Coalition était de déposer Bachar Al-Assad. Quod non. Mais il y a une autre info qui a apparemment échappé au Washington Post : on apprend dans la presse arabe que la résolution du Parlement turc concernait « tous les groupes armés [terroristes] », ce qui inclut bien entendu, du point de vue turc, les résistants kurdes de l’YPG ! Or, même si la Turquie ne les aime pas, ceux-ci l’appellent à l’aide depuis plusieurs jours ! Une aide qui permettrait peut-être à terme un apaisement des Kurdes de Turquie. Mais non. En échange, tout ce qu’ils obtiennent, c’est que le pays d’Erdogan, qui laisse entrer en masse des combattants de l’Organisation État islamique en Syrie (« notre frontière est trop longue pour les retenir »), empêche absolument les candidats-combattants kurdes de passer la frontière pour aider les « leurs » !
Erdogan, qui a des dizaines de chars sur place, « trouve » qu’il faudrait intervenir…
Et c’est là que le bal des faux-culs commence. Suite aux manifestations violentes d’hier soir à Istanbul, et plus massives à Diyarbakir (à majorité kurde), Erdogan s’est rendu sur place. Enfin, sur place, c’est-à-dire, dans les camps de réfugiés côté ottomans. Et devant la presse, il n’a rien trouvé de mieux que de constater que les frappes aériennes étaient peu efficaces (les combattants barbus ont déjà compris comment les éviter) et qu’il fallait penser à une attaque terrestre. Je répète : la Turquie a placé des dizaines de chars qui pourraient être à Kobane en quelques minutes, et le premier ministre turc trouve qu’il faudrait une attaque terrestre !
Pour sa défense, il faut préciser que l’Iran a prévenu qu’il y aurait des problèmes si la Turquie posait un pied sur le territoire syrien, ce qui serait vu comme une agression envers son allié baasiste (ou ce qu’il en reste). Comme on n’est pas à un faux-cul près, elle a aussi déploré aujourd’hui… l’inactivité de la Coalition à Kobane ! Mais non sans critiquer les frappes aériennes qui auraient pour but caché de déposer le régime d’Al-Assad…
Je récapitule : la Turquie trouve qu’il faut agir, mais il ne faut pas compter sur elle ; l’Iran trouve qu’il faut agir, mais voit toute action comme une agression. L’OTAN papote.
Après, ça continue. Soucieux probablement de ne froisser personne, les États-Unis ont timidement frappé ici et là hier, journée cruciale pour la survie d’une Kobane civilisée. Les autres pays coalisés laissant précautionneusement leurs avions hors de la zone. Et puis, l’affaire s’est étendue à Bruxelles. Et là, le faucultage s’est propagé à la presse.
Presse belge : au moins un article sur deux est titré n’importe comment.
Des Kurdes ont d’abord manifesté à l’aéroport de Bruxelles national. Interprétation de la presse belge : ils manifestaient contre « l’État islamique » ! On croit rêver. Car contre l’OEI, les Kurdes ne manifestent pas : ils tirent, ils tuent, ils se battent, pied à pied, ils meurent. La seule raison de leurs manifestations était au contraire de protester contre l’incapacité crasse de la Coalition à venir en aide à une ville située à un saut de puce de chars (turcs) de l’OTAN, facilement accessible par les airs, et de permettre enfin à un groupe de résistants confrontés aux armes occidentales (eh oui) de l’Organisation État islamique de s’armer correctement ! Voilà pour quoi ils manifestaient ! Voilà ce que je n’ai pratiquement pas vu dans les titres de presse aujourd’hui !
Pour couronner le tout, ce matin, des manifestants kurdes sont entrés comme dans du beurre dans le bâtiment bruxellois qui devrait être le plus surveillé, le Parlement européen. Comme ça ! Pouf ! Et là, on se réveille un tout petit peu. Oh non, pas notre ministre de la Défense, Pieter De Crem, il est encore tout esbaudi du fait qu’un F16 belge a tiré un missile hier et éliminé une cible ! Non, le faux-cul du jour, c’est Laurent Fabius, qui s’est fendu dans l’après-midi de quatre twits hallucinants :
« Les drapeaux noirs des terroristes #Daesh flottent aux portes de la ville de Kobani. »
Oh, tiens, comment ils ont fait ?
Puis, gonflé, ce constat sibyllin :
« Rien n’a pu endiguer l’assaut de Daesh, ni les [8 ou 10 tirs d’]avions de la coalition américano-arabe, ni les forces kurdes [à qui on n’a pas daigné fournir d’armes]. »
Pour embrayer sur du cocorico bien dégueulasse :
« La France a fait le choix clair d’intervenir militairement en Irak en livrant des armes aux Kurdes puis en engageant notre aviation. »
Oui, mais Kobane, c’est en Syrie, et de l’aviation et des armes françaises, on n’a pas vu l’ombre d’un pet !
Néanmoins, il n’a pas hésité à twitter que…
« Pour Kobani nous nous mobilisons. Nous renforçons notre propre coopération avec les forces armées qui combattent Daesh. »
Ah ben oui, mais Laurent, là, c’est franchement tard, hein. C’était avant qu’il fallait se mobiliser pour Kobane !
Côté belge, vous allez rire (jaune) : le ministère des Affaires étrangères n’a pas moufté, même pas après l’invasion du Parlement européen, alors qu’il n’avait pas manqué de s’indigner pour chaque otage occidental « exécuté » par « l’EI ». Ah si, à titre personnel, notre ministre Didier Reynders a bien twitté une fois aujourd’hui :
« pluie d’automne ».
On suppose qu’il doit s’agir d’un code.
Pourtant, des jihadistes, y compris des « jeunes » venus de chez nous, décapitent, crucifient, tuent et violent. Ça devrait nous rendre un peu responsables, non ?
Selon une ex-jihadiste reconvertie et réfugiée en Turquie, ces types sont à ce point tarés que même les femmes qu’ils épousent se retrouvent à l’hôpital après l’amour, les pratiques sexuelles de ces porcs — désolé pour les cochons qui ne méritent pas une telle comparaison — étant d’une violence inouïe. La jihadiste, interviewée par le Guardian, était partie dans le pseudocalifat pour vivre réellement « son » islam radical, en paix, confiante. Elle avait notamment pour fonction de surveiller la bonne tenue des femmes en rue. Sauf qu’il n’était pas prévu qu’elles se feraient battre pour un voile un rien ajouté. Ou abattre pour un oui ou pour un non. Exécutions sommaires, gamins crucifiés, viols en série, marché d’esclave auront eu raison de ses convictions. Elle en revient sonnée, terrorisée, par la brutalité et la folie meurtrière de ses comparses.
Comme quoi il y a bien des jeunes qui s’en vont sans comprendre ce qui les attend là-bas.
Nous, pendant ce temps, on est très fiers d’envoyer six avions qui vont chier une bombinette de temps en temps, bien proprement, d’en haut, sans risque. Et nous, on regarde tranquillement Kobane tomber. On imagine déjà les assassinats dans la ville (les vieux n’ont pas tous accepté de partir, ils seront tués d’une balle, égorgés ou crucifiés), on fait de grands effets de manche, on dit ce qu’on pourrait faire, et on attend même vainement une belle claque à la une de notre quatrième pouvoir. Une claque qui dirait, par exemple :
Kobane : la Coalition complice des islamistes !
Ah oui, encore une chose : j’ai que certains se demandaient si on pouvait vraiment bombarder « nos propres nationaux » et si on ne devait pas faire gaffe à ne pas toucher les jihadistes belges ou français présents sur place… Mais oui, je l’ai lu, ça !
Comme quoi, apparemment, il n’y a pas que les faux-culs qui sont de sortie. Il y a aussi les cons.
Photo @cahitstorm
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paworms
octobre 07, 20:03schoonaarde
octobre 07, 20:08Tournaisien
octobre 07, 21:24uit 't zuiltje
octobre 08, 01:25Bernard (Rouen)
octobre 07, 21:35uit 't zuiltje
octobre 08, 01:11Tournaisien
octobre 08, 06:21uit 't zuiltje
octobre 12, 18:05Pfff
octobre 08, 08:52uit 't zuiltje
octobre 12, 18:07Lachmoneky
octobre 08, 16:09Salade
octobre 07, 23:33Démocrate
octobre 12, 17:52Démocrate
octobre 12, 19:06uit 't zuiltje
octobre 08, 01:29Démocrate
octobre 12, 18:19Capucine
octobre 08, 19:12Salade
octobre 08, 20:07uit 't zuiltje
octobre 12, 18:29uit 't zuiltje
octobre 13, 23:48Pfff
octobre 09, 09:58Démocrate
octobre 12, 18:33Cap18
octobre 09, 10:03Pfff
octobre 09, 11:17Salade
octobre 10, 18:15Guy Leboutte
octobre 12, 03:46