L’exécution d’Hervé Gourdel et de Samira Saleh, ou comment nos réflexes profitent à l’EI
Hervé Gourdel est mort assassiné par des fanatiques qui se réclament de Dieu (Al-Lah en arabe) et du « soi-disant État islamique », comme je l’ai lu ce matin sur un site anglophone (so-called islamic state). Une définition qui convient mieux, reconnaissons-le, que toutes les autres (pour rappel, Daesh signifie bêtement État islamique en Iraq et au Levant.) Le débat fait rage en France pour savoir quel mot utiliser pour désigner ce nouvel ennemi de la paix. Daesh, Isis, EIIL, EI, L’Organisation, etc. Pourtant, au temps où notre grand Satan était le soviétisme, on n’a jamais proposé d’écrire la soi-disant République démocratique d’Allemagne. Devons-nous perdre du temps à ergoter sur le nom à donner à l’État islamique sachant qu’il n’est ni État, ni islamique ? Je n’ai pas la réponse, mais cette question montre à quel point cette organisation a réussi à semer le trouble en Occident.
Le simple fait qu’on discute de la manière de nommer l’Organisation État islamique est une victoire de celle-ci.
Car on ne discute pas, en général, de la pertinence des acronymes. Du statut libératoire (ou non) du « Front de libération national corse », ni de sa qualité de « Canal historique ». On ne se demande pas s’il faut écrire Front de pseudolibération pseudonationale corse. Ni canal soi-disant historique. On ne s’interroge même pas sur le nom des Jeunes Turcs, qui n’étaient ni particulièrement jeunes, ni représentatifs des Turcs, qui ont planifié et organisé le génocide arménien. Aujourd’hui encore, on n’écrit pas « les soi-disant Jeunes prétendument turcs étaient des génocidaires ». Ça aiderait pourtant les Turcs à ne plus se sentir visés quand on évoque les méfaits de ce parti dont le nom officiel était Comité Union et Progrès. Pseudo-union, et soi-disant progrès. L’Organisation État islamique (OEI) a déjà obtenu que nous nous bisbillions sur le nom à lui donner ou à lui reconnaître. Mais ce n’est qu’un début de la description du marasme.
Hervé Gourdel était un paisible Français, amical, apprécié. Il était parti faire un trekking en Algérie. Il fut enlevé. On l’exhiba, vivant encore. On prétendit que c’était pour tenter d’empêcher la France de s’en prendre à l’Organisation État islamique. À peine deux jours plus tard, on mit son exécution en scène. Un peu comme si, en deux jours, un otage français menacé de mort pouvait empêcher une intervention de la République française en Irak.
James Foley était un paisible américain, amical, apprécié. Steven Sodloff était amical, apprécié. David Haines, le Britannique assassiné de la même façon, était amical et apprécié. Dans tous ces cas, le débat a porté sur le fait de montrer ou non les images de l’exécution. Nous avons le luxe de nous poser la question. L’OEI compte là-dessus.
Dès l’annonce de l’assassinat d’Hervé Gourdel, les médias et les politiciens sont partis en vrille.
Nous avons le luxe de propager l’idée qu’il faut montrer des photos de ces innocents de leur vivant, quand ils étaient encore maîtres de leurs destins, des photos qui les mettent en valeur. Les enfants de Gaza, les martyrs de Syrie, les yézidis et les chrétiens aux têtes coupées ne l’ont pas. On montre les têtes coupées. On montre les cadavres. On montre les femmes en larmes, incapables de parler, on montrerait, si on le pouvait, les fillettes battues par les nazislamistes. Cette inégalité de traitement joue en faveur de l’OEI.
Dès l’annonce de l’assassinat d’Hervé Gourdel, les médias français sont partis en vrille, et les politiciens ont suivi. Une fois encore, ceux qui ont attendu qu’on tue un Français face caméra pour crier à l’ignominie, à la barbarie, sont très en retard. Des milliers d’Irakiens ont subi un sort similaire. Des centaines, sinon des milliers de femmes et de jeunes filles sont enlevées, séquestrées, violées aujourd’hui même par les lâches soudards de l’OEI. S’appuyant sur une phrase d’un hadith qui affirme qu’une des femmes du Prophète avait neuf ans lorsqu’il l’a épousée (une affirmation qu’il faut remettre dans un contexte historique et symbolique), les immondices humaines qui constituent cette soi-disant armée considèrent qu’ils sont en droit de violer aussi des petites filles. Les résistantes sont quelquefois, tout comme Hervé Gourdel, assassinées.
800.000 hits Google pour « yézidi », 2.800.000 pour Hervé Gourdel.
Mais cela ne fait pas la une des journaux, télévisés ou non. Et les ministres français ou belges n’en parlent pas des masses. Comment interpréter le fait que le Ministère des Affaires étrangères publie un communiqué à chaque otage occidental « exécuté », et aucun lorsqu’on apprend, par exemple, l’exécution d’une centaine d’otages irakiens ? Aucun lorsqu’on découvre le témoignage d’une jeune fille de quatorze ans qui a réussi à échapper aux griffes violeuses d’un ponte de l’OEI et raconte l’horreur totale qu’elle a vécue. Non, ils ne l’ont pas tuée, mais elle explique qu’elle voulait se tuer elle-même. Et ils ont tué son frère, sans raison, comme ça.
Le mot yézidi retourne 812.000 résultats Google pour quelques milliers de morts. Le nom Hervé Gourdel en retourne 2.800.000. L’OEI jubile.
Mon opinion est que les assassins d’Hervé Gourdel n’ont jamais imaginé que leur acte pouvait avoir le moindre effet sur la politique française d’intervention en Irak. J’éviterais de leur prêter une telle bêtise. Ben Laden nous a montré qu’il savait pertinemment comment atteindre même l’État le plus puissant du monde, comment le blesser dans sa chair, comment l’effrayer, comment lui donner un nouveau Satan contre lequel unir sa population : en abattant ce qui en faisait la fierté même, les Twin Towers, en tuant 3.000 civils dans un pays qui a déjà du mal à accepter même que des militaires soient tués dans ses guerres et privilégie l’usage d’avions et de drones, mortels pour les civils d’en face qui ne sont plus que des casualties.
Les « jihadistes » ont très bien compris comment tirer profit de nos réflexes occidentaux.
Ben Laden a tiré profit de la différence fondamentale du niveau perçu de droit à la vie, au confort, à la liberté entre l’Occident et l’Orient actuel, en utilisant des armes des plus banales — des couteaux — et un mode de transport populaire et banal aux USA, l’avion de ligne. Ce faisant, Ben Laden espérait lancer une guerre religieuse. Georges W. Bush s’est surpassé, il a été porter cette guerre en Irak, qui n’avait rien à voir avec le schmilblick. Oussama rit dans sa tombe (ou plutôt au fond de la mer) : l’Occident a largement dépassé ses espérances. Le territoire revendiqué aujourd’hui par l’OEI dépasse celui du Royaume uni, même s’il est plutôt désertique. Le talibanisme afghan était du travail d’amateur, une préparation. Qui plus est, un nombre non négligeable de ces néojihadistes qui tuent, décapitent, violent, viennent directement d’Europe. Certains ne sont même pas nés musulmans ! Ils sont susceptibles à leur tour de rentrer en Occident pour jouer les Mohammed Merah ou les Mehdi Nemmouche. Ou ces deux égorgeurs anglais qui s’en prirent un jour à un paisible passant. Un seul. Et ça suffit pour semer la terreur dans nos populations. Et semer la discorde. Ce n’est plus un attentat massif que nous craignons aujourd’hui, mais un acte isolé, ciblé. Et le venin de la peur s’insinue dans nos populations. Suffisamment pour que certains exigent des musulmans qu’ils s’offusquent ouvertement de cet État islamique avec lequel ils n’ont absolument rien à voir.
Je n’ai pas vu un seul Français dans la rue lorsque la France a laissé les Interahamwe rwandais massacrer un petit million de Tutsis et de Hutus trop peu xénophobes à leur goût. Pas un. Et pas un Belge quand notre gouvernement a ordonné à ses paras d’abandonner 2.000 Rwandais qui étaient sous leur protection à l’Institut Don Bosco, aux machettes des génocidaires. Pas un. Pourtant, il y a des victimes du génocide rwandais chez nous, et à l’époque déjà, il y avait des familles de ces victimes. Mais nous ne nous sentions pas concernés. Pourtant, ce n’était pas un État à 4000 km de chez nous qui était en cause. C’était le notre. Le gouvernement que nous avions élu.
En assassinant un Occidental à la fois, l’OEI sait très bien ce qu’elle fait.
En assassinant un Occidental à la fois, l’OEI sait que le requiem sera massif sur nos chaînes d’information. Il sait qu’on l’isolera des milliers d’autres victimes de sa barbarie. Il sait que ce faisant, on se détachera petit à petit du monde musulman, y compris de notre petit monde musulman, celui de nos concitoyens qui ont choisi l’islam pour religion et ne comprennent même pas qu’on puisse les associer à cette bande de tarés qui officie, là-bas, loin, et prend grand soin, de temps en temps, de tuer « l’un des nôtres ». Et ce n’est jamais un musulman, jamais un Arabe, toujours un blanc, de préférence un peu chrétien. En creusant le fossé entre concitoyens occidentaux, l’OEI obtient tout ce qu’elle désire : une inégalité de traitement médiatique, une stigmatisation des musulmans d’Europe, notre aide précieuse à la création de nouvelles vocations jihadistes dans nos pays, la croissance logarithmique de l’insécurité ressentie ici (inversement proportionnelle au danger réel : on risque plus à rouler en voiture qu’à fréquenter des lieux potentiellement ciblés), une intervention perçue comme américaine et présentée comme croisée en terre d’Islam. Le PowerPoint de l’OEI se gave de nos réactions.
La première chose à comprendre, c’est qu’on ne peut combattre l’islamisme qu’avec les musulmans. Coude à coude. Main dans la main. Les stigmatiser revient à alimenter la bête immonde.
Samira, exécutée par l’OEI. Une militante, une résistante, oubliée totalement par nos médias.
Bien sûr, il faut s’offusquer de l’assassinat d’Occidentaux par les nazislamistes. Bien sûr, il faut informer la population, s’émouvoir. Bien sûr, les politiciens peuvent en toucher un mot. Mais ce matin, c’était Gourdel partout et rien que lui et un concours de déclarations fracassantes à gauche comme à droite. Rien d’étonnant : le soi-disant État islamique a très bien compris comment nous faire perdre notre self-control : en décapitant. Ça, ça nous impressionne. Entretemps, la presse a totalement passé sous silence une autre exécution orchestrée par l’OEI : celle de Samira Saleh Al-Naimi à Mossul (ah, ben tiens, c’est dans cet article que j’ai trouvé so-called islamic state). Samira était avocate et militante des droits de l’Homme, à Mosoul. Selon le Centre pour les Droits humains du Golfe Persique (Gulf Center for Human Rights), elle avait osé traiter de « barbaries » les dégâts commis par l’Organisation État islamique dans la ville. Elle a été capturée la semaine passée par les soudards du régime et exécutée par balle le 22 septembre, sur une place publique. Samira était une résistante, une pacifiste. Comme Foley, comme Gourdel, Samira était amicale, appréciée. Son nom sur Google donne seulement 50.000 hits, et aucun article en français. Je ne peux pas m’imaginer une seconde qu’elle fût moins importante qu’Hervé Gourdel, que son exécution ait moins de valeur journalistique, que sa mort fût moins injuste ou moins brutale, qu’elle a moins souffert.
Bien sûr, il faut parler de ce paisible randonneur et de son sort aussi horrible qu’absurde, s’offusquer, se révolter. Bien sûr. Mais il y a lui, et des milliers d’yézidis et de chrétiens, de musulmans chiites et sunnites, et ces fillettes qu’on viole au nom de Dieu, et ces militant-e-s pacifistes qu’on tue pour un oui, pour un nom. Tous, ils étaient au mauvais endroit, au mauvais moment.
Pour cesser d’alimenter la haine et la dissension que le Salafist State réussit déjà brillamment à optimiser entre citoyens de l’Occident, il va peut-être falloir qu’on se mette à réfléchir, plutôt qu’à réagir — de bonne foi, certes, mais aveuglément. Dans cette guerre — qui oppose une bande de blasphémateurs assassins qui a pris le nom de Dieu en otage, et les gens de bien de toute confession, de toute philosophie — nos réflexes sont devenus des armes que les barbares pointent vers nous, le sourire du malin aux lèvres. Évitons d’en toucher la gâchette.
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