Exclu. Les écrits antisémites, révisionnistes et homophobes d’Abu Jahjah, défendu par Alexis Deswaef (LDH). 

Article précédemment paru dans PAN en 2017 (à l’époque où j’en étais le rédacteur en chef).

Dyab Abou Jahjah était connu en Flandre surtout pour avoir dirigé la Ligue arabe européenne (AEL), islamiste et nationaliste. Il y défendait les Arabes belges discriminés. Après avoir été désigné par Guy Verhofstadt comme bon à enfermer pour agitation, puis blanchi par la justice, Jahjah a fondé Movement X, pour lutter contre les discriminations envers les Arabes ou musulmans principalement. Aujourd’hui, le trublion revient au-devant de la scène. L’ancien (?) milicien du Hezbollah a en effet décidé de lancer, avec Ahmet Koç (un soutien affirmé d’Erdogan) un parti qui luttera notamment contre « la discrimination, l’islamophobie et le racisme ».

Le rédacteur en chef du magazine juif anversois Joods Actueel a déclaré cette semaine vouloir créer un contre-mouvement, tant celui de Jahjah l’effraie. Il dit même avoir peur pour son intégrité physique. Voici pourquoi.

Retour en janvier 2017. Dyab Abou Jahjah vient d’être renvoyé par De Standaard où il tenait une chronique hebdo depuis trois ans. Il s’est en effet réjoui sur Facebook d’un attentat au camion-bélier qui a coûté la vie à quatre jeunes soldats israéliens : Libérons la Palestine « par tous les moyens nécessaires » a-t-il écrit. Le quotidien flamand considère qu’une telle justification de la violence explose le débat d’opinion et le vire. Ben oui. « Tous les moyens nécessaires », ça peut aussi signifier le terrorisme. Quelques mois plus tôt, une chronique d’Abou Jahjah avait déjà été censurée par la VRT parce qu’il y mettait sur le même plan Israël et l’État islamique. Restons simples.

Imaginant qu’un grand défenseur des libertés et de l’antiracisme vient de se faire exclure d’un méchant journal, Alexis Deswaef, président de La Ligue des Droits de l’Homme, monte alors sur son cheval blanc et cosigne avec 30 intellectuels un pamphlet qui défend Jahjah et exige son retour au Standaard.

D’autres intellectuels s’offusquent alors d’un tel soutien et publient à leur tour une lettre ouverte en rappelant qu’Abou Jahjah justifie tout de même un chti peu le terrorisme. Michel Gheude est l’un d’eux. Il est rapidement exclu du Comité de rédaction d’Agir par la Culture, le magazine du PAC (Présence et Action culturelles — PS). Monde étrange où l’on défend l’emploi d’un homme qui appelle à l’élimination des Juifs d’Israël, tout en virant celui qui ose y mettre un bémol.

Le problème, c’est qu’Abou Jahjah a de l’antiracisme une version bizarre : « la valise ou le cercueil » est son mantra pour les Juifs israéliens. Et ça n’a rien de nouveau : Pan a retrouvé des écrits relativement récents du personnage, qui ne laissent place qu’à une conclusion : Abou Jahjah est tout sauf un gardien des droits de l’homme. Le Standaard n’aurait jamais dû l’engager. Et Alexis Deswaef est une grosse cruche !

Dyab Abou Jahjah ne connaît pas encore le nom de son nouveau parti. Mais ce qu’il sait, c’est qu’il va le fonder avec un soutien radical de Recep Tayyip Erdogan, Ahmet Koç. Celui-ci a été viré du parti socialiste flamand (SP.a) pour avoir voué les partisans de Gülen aux gémonies, une attitude peu pacifique. Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg. Nous avons dégoté les textes publiés par Jahjah sur un site internet (aboujahjah.com) aujourd’hui fermé et remplacé par un autre, plus présentable (aboujahjah.org). On y découvre un aspect führieux du personnage.

Le 4 janvier 2009, Abou Jahjah écrivait ainsi : « Israël est condamné, il disparaîtra comme toute autre entité coloniale […] Vive le combat armé jusqu’à la complète libération de chaque pouce de terre arabe occupée. » En janvier 2008 (pendant la campagne de Gaza), il précisait : « Il n’y a pas de place pour des sionistes sur notre sol national arabe […] nous sommes déterminés à éradiquer chaque sioniste de la surface de la Terre. J’appelle les jeunes nationalistes arabes à répliquer par tout moyen nécessaire. » Tiens, déjà…

Le 15 mai 2009, pour le 61e anniversaire de la Nakbah, il écrivait : « Une fois de plus, nous renouvelons le serment de prendre le chemin de la résistance et du martyr jusqu’à ce que le dernier sioniste sera évacué de notre pays, et le dernier réfugié [palestiniens] revenu chez lui. » La valise ou le cercueil.

Même les organisations pacifistes B’tselem ou La Paix maintenant ne trouvent pas grâce aux yeux de Jahjah. Le 16 octobre 2009, il publiait un pamphlet les déclarant affiliées à « l’entité sioniste », reprochant par exemple à B’tselem de considérer que l’assassinat de colons civils n’était pas un moyen de résistance acceptable.

Quant à l’antisémitisme pur et dur, celui des Protocoles des Sages de Sion, Dyab Abou Jahjah lui consacre tout un article en 2008, rédigé par Israel Shamir, un négationniste, selon The Gardian qui usurpe la judéité de son nom. Il semble d’abord y critiquer le pamphlet, pour néanmoins conclure que les Juifs discriminent les Américains « sinon, ils ne détiendraient pas 60 % des hautes fonctions dans les médias ». Ce chiffre, il est allé le pêcher chez Kevin Macdonald, un professeur de l’Université de Californie, suprémaciste blanc et antisémite notoire. Shamir reprend d’ailleurs aussi son mantra : les Juifs soutiendraient l’immigration non européenne pour faire disparaître les traces de l’exclusivité juive.

Mais il va plus loin. Selon l’article publié par Jahjah, les Juifs seraient aussi les inventeurs du politiquement correct, de la mondialisation, et de grands organisateurs de l’appauvrissement des autochtones partout sur la planète. Sa conclusion : « En résumé, une bonne partie — si pas la totalité — des idées attribuées aux Juifs par les Protocoles [des Sages de Sion] est en effet utile ou nécessaire au bien-être de la communauté juive, sans nécessiter la grande haine envers les gentils [que l’on retrouve dans les Protocoles] ni la guidance des mythiques Sages de Sion. C’est la raison de la persistance [de la popularité] des Protocoles. Paradoxalement, sans l’apartheid israélien, ces faits resteraient invisibles pour les communautés qui les hébergent. »

Un message qui n’aurait pas déplu à… 

On nous dira qu’Abou Jahjah est lui-même une victime de la violence israélienne, ayant dû fuir l’invasion du Sud-Liban lors d’un épisode qu’il dit sanglant. Et que son message doit être interprété comme celui d’un résistant, forcément virulent. 

Soit. Mais non. Parce que Jahjah ne défend pas uniquement le droit au massacre des colons juifs israéliens. Dans un article virulent contre les caricatures danoises, il se plaint aussi que « les musulmans et autres religieux en Europe ne peuvent pas exprimer leur dégoût de l’homosexualité et clairement dire que c’est une maladie et une déviance sans être persécuté pour leur homophobie. »

Ou encore : « Les musulmans et autres en Europe ne peuvent pas examiner librement l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de l’holocauste et exprimer librement une opinion différente de la ligne dogmatique dominante. » À savoir, nier l’existence des chambres à gaz. Et conclut que « l’Europe tient pour saint : des rabbins qui dansent sur des cadavres d’enfants palestiniens, des chambres à gaz imaginaires [hoax] bâties à Hollywood avec le cachet de Steven Spielberg et des pédés [faggots] qui propagent le Sida. Défendons la liberté absolue de parole ensemble, ne serait-ce pas une noble cause ? »

Pan propose qu’on pose la question aux signataires du pamphlet pro-Jahjah, qui se conclut par « Mais peut-être existe-t-il encore en Flandre ou, plus largement, en Belgique, un ou plusieurs médias capables d’offrir une tribune à des personnalités qui, certes, expriment parfois des opinions qui nous dérangent (sic), mais toujours dans un cadre respectueux (sic) du droit (sic) et de la démocratie (sic). »

Alors que notre société a un besoin absolu que les défenseurs des minorités soient des gens de dialogue et d’ouverture, la « communauté musulmane » de Flandre se tape un véritable boutefeu qui recommande aux Juifs d’Israël : « la valise ou le cercueil ». Avec désormais la bénédiction de la Ligue des Droits de l’Homme. Et de trente autres intellectuels. Les musulmans belges n’ont jamais été plus mal servis. La Palestine non plus.

Abou Jahjah n’a pas répondu à notre demande de commentaire.
Panar Abik