Publifin. Les sept péchés capitaux.

Un article à lire en plusieurs fois si le cœur vous en dit. En sept fois, par exemple…

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1. L’HYPOCRISIE

La première chose qui frappe dans l’affaire Publifin, c’est la réponse originelle de nombreux gros bras de la politique, notamment liégeois : « c’est légal ». Cette réponse est d’une hypocrisie consternante. Car, bien sûr, tout ce qu’a fait Publifin, Nethys, Moreau, André Gilles et consorts est légal, ou plutôt, bien sûr qu’ils ont tout fait pour qu’on puisse le prétendre !

Mais les directeurs de l’administration, dans leur rapport au ministre Furlan sur les emplois fictifs des comités de secteur, sont dubitatifs. Leur comparaison avec les pratiques d’autres intercommunales est ravageuse. Et ils concluent que la légalité est peut-être au rendez-vous (laissant à un juge le soin d’en décider), mais que l’éthique est franchement contestable.

Tout ce beau monde a donc jugé normal de balancer l’éthique et l’esprit de la Loi qu’ils appliquaient, en préservant, en façade, une forme de légalité. Ça s’appelle de l’ingénierie juridique. Dans le cas des comités de secteur, elle a été soigneusement mise en œuvre pour satisfaire les amis ou anciens administrateurs d’intercommunales absorbées par Publifin, comme l’explique Le Vif de la semaine dernière. Mais ces comités ne sont que le sommet d’une gigantesque construction visant à s’affranchir des règles wallonnes.

Nos législateurs, surtout à gauche, fustigent volontiers les industriels qui ont recours à une telle ingénierie. Ici, ce sont eux-mêmes qui sont pris la main dans le sac. Nos mandataires ! Et tout cela, avec l’assentiment des grands partis traditionnels ! Tous clament aujourd’hui ne rien avoir su, ne rien avoir vu.

Et ce sont les mêmes, qui clament d’un côté leur révolte et annoncent des mesures sévères, et laissent de l’autre leurs propres mandataires voter au Conseil d’Administration de Publifin, des mesures de rétorsion contre les critiques (voir article précédent).

Enfin, l’hypocrisie atteint son comble quand on démissionne l’ensemble de ce même conseil de Publifin, sachant qu’en bas, dans les tonnes de filiales, le petit monde des protégés de Stéphane Moreau reste en place. Du moins, jusqu’à nouvel ordre.


2. LA CUPIDITÉ

Pour donner le change, Elio Di Rupo continue son indigne refrain sur les parvenus, donnant l’impression que quelques-uns lui auraient échappé. En réalité, ils étaient faciles à repérer et depuis longtemps. PS, MR et CDH ont, des années durant, avalisé une distribution de petits postes entre amis qui donne le tournis. En cause : la cupidité d’une partie du petit monde politique liégeois.

Commençons par le Conseil d’Administration de Publifin. Son président, André Gilles (fraîchement démissionné) est député provincial PS. Il est aussi président de Nethys (la filiale « privée » de Publifin). Il s’y retrouve aux côtés de Stéphane Moreau, tout comme dans Ogeo Fond (où le Condotiere liégeois serait bientôt poursuivi en justice), qui gère notamment les pensions complémentaires du… personnel de Publifin, avec un fonds social de 680 millions. À cela s’ajoute la présidence de la SOCOFE (société wallonne de financement public/privé — où Moreau siège aussi) qui a, par exemple, contribué à faire mûrir BeTV avant son rachat définitif par Nethys. On n’est jamais si bien servi…

André Gilles préside la société de financement wallonne qui a fait mûrir BeTV avant achat définitif par Nethys… qu’il préside aussi.

Le noyau des cupides est PS. Mais pour ne pas faire de jaloux, les deux vice-présidents sont MR et CDH. À eux trois, ils cumulent 40 mandats, dont 19 rémunérés(1). L’an dernier, c’était plus : l’ancien vice-président MR, aujourd’hui redevenu administrateur (démissionnaire ?), n’était autre que le recordman du cumul en Francophonie, Georges Pire, MR, avec 29 mandats, dont 17 rémunérés, selon cumuleo.be. En 2015, il glissait donc de vice-président de Publifin à vice-président de Nethys, tout en étant l’un des treize gérants (non rémunérés) du groupement d’intérêts économiques ALE-Brutélé. Treize gérants, pour une marge brute de… 26 euros.

Avec ses 26 autres mandats, on se demande où il trouve encore le temps de vice-présider le Conseil provincial dont il est aussi député, payé par nos deniers. C’est Superman.

Monsieur Pire, le bien nommé, est de ce fait le seul Francophone dans le top 10 des cumulards du pays, palmarès 2015. Au passage, tous les autres recordmen sont néerlandophones ! Le champion de Belgique est SP.A, Marcel Logist, avec 30 mandats, tous rémunérés ! Comme bourgmestre de Tirlemont, Logist perçoit pourtant déjà 80 000 € bruts par an. Le 2e du top 10 national est N-VA (vous savez, ces gens si propres sur eux qui ne se distribuent pas de jolis « postjes »…), avec 40 mandats, dont 17 rémunérés. Avec déjà 97 000 bruts par an comme échevin à Anvers.

Le conseil d’administration de Publifin, c’est 367 mandats dont 170 rémunérés

Si certains sont beaucoup plus raisonnables, on retrouve dans le Conseil d’Administration quelques beaux champions de la gonflette mandataire : au total, les 28 mandataires s’y partagent 367 mandats, dont 170 rémunérés. Mais les plus beaux spécimens sont ceux qui ne (se) sont pas lancés trop à fond dans la politique et sont donc moins repérables. Ainsi, selon L’Écho, le CDH Philippe Buelen, directeur de cabinet du ministre Prévôt, encaisserait annuellement la bagatelle de 372 200 patates pour six mandats rémunérés bien ciblés, dont au moins un dans une filiale de Publifin (NeWin).

Harcelé par la presse, le malheureux a dû démissionner de « tous » ses mandats (bien qu’il ait omis d’en signaler… six !) Enfin, pas tous. Vendredi dernier, il se targuait de laisser tomber un mandat de plus pour qu’on arrête « d’écorner son intégrité ». Mais il n’écornera pas pour autant son portefeuille : il garde son mandat à la SOGEPA qui le payerait, selon l’Écho, quelque 300 000 euros par an.

Ensuite, il y a les plus chanceux : ceux qui ne dirigent rien d’officiel, et peuvent se sucrer à volonté sans même qu’on ne le sache. Il faut, pour repérer tous leurs mandats, aller fouiller dans les bilans de toutes les sociétés qui dépendent du public de près ou de loin. Bonne chance ! Quelques-uns ont été repérés par la presse dans l’affaire Publifin. Comme Daniel Weekers, conseiller stratégique de Stéphane Moreau, qui gagnerait au sein de la seule Nethys 600.000 euros par an hors avantages, pour 10 heures par semaine.

Nethys, la SA qui « contient » tout l’opérationnel de Publifin, était d’abord une coquille vide.

À propos de Weekers, une cocasserie. Nethys SA n’a pas été « créée » par Stéphane Moreau. En 2006, elle s’appelait Eurociel et n’avait pas de revenus. En 2010, c’était la Compagnie liégeoise de Radiodiffusion, qui consommait 40.000 euros sans rien produire. Daniel Weekers était alors déjà l’un des trois administrateurs. En 2012, il l’était toudi quand elle est devenue Tecteo Services. Toujours aucune activité au bilan cette année-là, sauf 6.000 euros de… produits financiers. Trois noms en dix ans, et puis, magie : on remplit la coquille vide, et ça devient la corne d’abondance Nethys ! Particulièrement pour Daniel Weekers, toujours fidèle au poste, tout comme il l’est chez BeTV, dont il est administrateur délégué. Mais il n’a toujours aucun mandat à déclarer !


3. LE NATIONALISME

Le mot est sûrement fort, mais on a dépassé ici la simple fierté régionale. Le « kop » de Publifin a réussi à faire passer l’idée que l’entreprise était le parangon de la réussite liégeoise et la preuve que la Cité ardente bat le reste de la Wallonie, Bruxelles, et dame même le pion à la Flandre ! Verdomme ! À les entendre, Moreau a doté la province d’un outil d’une magnificence cosmique. Chez les socialistes liégeois, c’est même devenu un dogme. Mais presque tous leurs arguments viennent en ligne directe de la propagande interne de l’entreprise, habilement ficelée.

Comme dans tout bon nationalisme, on flatte la fibre patriotique et on en profite pour y ajouter le culte de la personnalité : Stéphane Moreau, fierté locale, excellentissime bourgmestre d’Ans qui fait pleuvoir les opportunités sur sa commune. Vu ses pouvoirs, ce n’est pas étonnant.

Du coup, tout ce que fait Nethys/Publifin est grandissime et merveilleux. On nous prie ainsi d’applaudir le rachat des câblo-opérateurs wallons de provinces présentées comme moins talentueuses (puisque leur télédistribution n’était pas rentable…), avant que les « Flamins » de Telenet ne s’en emparent ! Soit. Mais pourquoi les communes liégeoises devraient-elles bénéficier des revenus, par exemple, des abonnés au câble hennuyer ? Et pourquoi serait-il réjouissant, à l’inverse, que Liège soit aujourd’hui le centre du monde de l’éolien… flamand (voir plus bas) ?

Publifin, une multinationale au service du patriotisme liégeois ? Mais un gros risque pour les contribuables de la province ardente.

Le populisme est de la partie aussi. Lorsqu’on critique Publifin, des mandataires liégeois viennent nous prétendre qu’on critique ses 3000 travailleurs. Ou qu’on tape sur un homme gravement malade, parfois avec la larme à l’œil. Mais personne n’a jamais émis la moindre critique envers les travailleurs de l’intercommunale. On voudrait au contraire qu’ils puissent être vraiment fiers de leur activité.

On nous reproche ensuite d’être « contre Liège ». Pourtant, il me semble qu’aimer Liège, c’est préférer que son image ne soit pas ternie par de telles affaires. D’autant que Publifin est de moins en moins liégeois. On a jeté la logique territoriale de l’intercommunale au bûcher et prié tout le monde d’acquiescer — exactement le contraire d’Idelux, la cousine luxembourgeoise, qui réunit un maximum de métiers sur un seul territoire (2).

Comme tout nationalisme finit mal, cette propension à s’étendre géographiquement, soi-disant pour faire briller la cité ardente, mais surtout par ambition personnelle, pourrait mal finir. Que des intercommunales aient quelques intérêts hors de leur territoire, ce n’est pas idiot. Mais quand elles deviennent une sorte de multinationale régionaliste, elles tirent, au mieux un bénéfice d’activités qui ne les regardent pas, mais au pire, elles font courir le risque à leurs administrés de se ramasser un jour une faillite tout aussi gigantesque. Le saviez-vous ? La Sublime Porte de l’Intercommunale liégeoise possède ainsi, via Nethys et Elicio, un parc éolien au Kenya. Son résultat net 2015 était négatif de 95 millions d’euros. C’est au moins deux fois plus que ce que Liège perçoit annuellement en dividendes de Publifin !


4. L’ANTISOCIALISME

Le maître d’œuvre principal de tout ce bastringue, Stéphane Moreau, ne se dit pas simplement socialiste, il est (ou était jusqu’à aujourd’hui) bourgmestre socialiste à Ans, une ville où le salaire moyen par habitant plafonne à 16.149 euros par an (25.040 à Lasne par comparaison). Il s’en octroie au moins 60 fois plus. Or, c’est bien son parti qui crie au bain de sang social et aux horribles inégalités, et déclare privilégier l’équité, le petit ouvrier, la justice sociale. Aujourd’hui, la cohérence est la seule barrière contre le populisme. Et le PS y a perdu son propre latin !

Stéphane Moreau a réussi le rêve de tout grand patron bien « néolibéral » : se créer un bouclier antisocialiste et antisyndicats qui le rend intouchable. Mieux : il l’a fait de l’intérieur du parti !

Comme bourgmestre, Moreau gagnait déjà plus de 80.000 € bruts. Mais au PS, si prompt à saigner du cœur face à la détresse de travailleurs pauvres, on trouve normal (ou inévitable) qu’il lui en faille beaucoup, beaucoup plus. Moreau est donc (mandats rémunérés 2015) administrateur délégué d’IGIL et de Nethys, vice-président de la Société du Logement du Plateau, administrateur d’EDF-Luminus, Meusinvest, Publipart et SOCOFE. Il est aussi (en 2015) administrateur délégué d’OGEO Fund, à côté de son incontournable « associé » André Gilles. D’après un entrepreneur liégeois qui exige l’anonymat, « à Liège, rien ne peut se faire sans l’accord de Moreau ».

Le PS a laissé pousser en son sein un véritable néolibéral, brutal, et inégalitaire.

Pourtant, le gros de ses revenus provient d’une entreprise publique, une intercommunale. Moreau a pris soin de créer un double écran pour faire croire que son revenu était privé et se servir discrètement, à satiété, ainsi que ses lieutenants. Il a fait de l’intercommunale proprement dite (Publifin SCIRL) une coquille vide en soustrayant l’ensemble de ses activités à tout contrôle public. C’est planifié et mis en place avec soin. En fait, il a fait mieux encore que privatiser des services publics : il se les est pratiquement appropriés en distribuant les faveurs, le tout avec l’argent des contribuables !

Avec près d’un million de revenu annuel, Moreau se sera aussi servi trois fois plus que la limite imposée — morale socialiste impose — aux patrons des sociétés publiques par… Elio Di Rupo lui-même ! Quand ce même Di Rupo lui demande de choisir entre bourgmestre et patron de Nethys, il sous-entend qu’il peut garder son million par an et ne remet même pas en cause ce revenu atterrant ! Moreau gagne à tous les coups, comme les plus magnifiques condottieres de « l’horrible » monde néolibéral.

Moreau gagne plus que la patronne de Proximus.

Ce revenu n’est pas seulement ahurissant pour un socialiste, il est aussi démesuré par rapport à l’entreprise. Moreau toucherait en effet près d’un tiers de plus que Dominique Leroy, patronne de Proximus, alors que cette dernière entreprise fait au moins 6 fois plus de chiffre que Nethys (6 milliards de revenu pour Proximus contre 900 millions pour Publifin, en 2015), et 9 fois plus de bénéfices avant impôts (835 Mio contre 96 Mio).

Le PS se cherche alors des excuses. À la fédération liégeoise, on vous prie de le célébrer pour avoir transformé une intercommunale « boiteuse » en pôle multimétiers, polywallon. Peut-être. Mais c’est aussi grâce à des méthodes patronales qui n’ont rien à envier à celles de multinationales tant décriées par Elio « mon cœur saigne » Di Rupo, y compris dans son brillant plaidoyer pour la justice sociale qui introduit les 21 mesures qui vont — haha — nettoyer tout ça !

Moreau menace un ouvrier d’un demi-million de dommages et intérêts.

En 2009, Moreau imposait les 38 h au lieu des 36 h et baissait les primes barémiques de 40 %. Et pas en douceur. Une vidéo publiée par David Leloup (Médor) le montre en patron très à droite, et très remonté contre les syndicats. Un « boss » qui a été jusqu’à menacer l’ouvrier qui a mis cette vidéo en ligne de 500.000 euros de dommages et intérêts — une vie de travail pour l’ouvrier, qui a alors retiré sa vidéo. Justice sociale ?

Dans cette vidéo, Moreau, en bon « ultralibéral » annonce un bénéfice zéro pour faire plier les syndicats. Or, à la fin de 2009, le résultat consolidé de Tecteo présentera un bénéfice de 17 millions, et de 11 millions l’année suivante. Mais ce qu’on voit surtout dans ces bilans, c’est une hausse considérable du chiffre d’affaires consolidé (de 365 Mio en 2008, à 440 Mio en 2009, puis 554 en 2010) et une chute du bénéfice opérationnel dès 2008 ( de 56 Mio à —34 Mio).

Dans son bilan 2009, Tecteo met cette baisse colossale sur le dos de la CREG (la commission de régulation) qui a refusé ses conditions malgré des recours juridiques gagnés. Mais la frénésie d’acquisitions du capitaine d’industrie Moreau semble avoir au moins autant contribué à cette chute du bénéfice opérationnel.

Un nabab qui a peut-être fait payer à son personnel le coût exorbitant de sa propre ambition.

Car le même bilan 2009 salue la prise de contrôle de BeTV (payante), la reprise de Win dans NeWin SA (payante), et des « investissements sans précédent » dans Voo (payants). On peut donc se demander si, plus encore que les communes (300 millions ponctionnées sur leur revenu, selon Le Soir), ce n’est pas surtout le personnel qui aura été le cochon payeur du gigantisme Stéphanois. Justice sociale ?

Alors que celui-ci s’est sacrifié, Nethys rémunère aujourd’hui grassement sa direction, quelques administrateurs veinards, ses technocrates, des comités obscurs, et finance des dizaines d’administrateurs répartis sur la bagatelle de 69 filiales et sous-filiales… Justice sociale ?

Moreau peut se permettre une telle générosité, parce qu’il verse ensuite annuellement trois ou quatre dizaines de millions aux actionnaires — les communes et la province de Liège. Comme ceux-ci siègent au Conseil d’administration, ils ne moufteront pas de toute façon, même si on leur explique qu’ils auraient pu toucher beaucoup plus ! Son système est autoverrouillé. Le personnel, lui, n’a plus personne pour le défendre ! Merci patron !

Or, une intercommunale dirigée par des socialistes devrait être un modèle social pour les entreprises privées. La preuve que les recettes socialistes fonctionnent. Que les 36 heures sont bénéfiques. Qu’un employé bien traité et bien payé est plus productif. Que l’emploi est la première priorité. Jobs, jobs, jobs ! Pour maigre consolation, on nous ânonne, tout fier, que le call center de Voo n’est pas au Maroc, mais à Liège, binamé. Mais bon sang, pour une intercommunale, c’est bien la moindre des choses !

Bref, le PS et le CDH qui, depuis qu’ils sont antiTTIP, fustigent les méchantes multinationales qui usent d’ingénierie fiscale et juridique, ont laissé Stéphane Moreau faire exactement cela. Pour comprendre Publifin, c’est une bonne soixantaine de bilans qu’il faudrait analyser, sachant que l’ingénierie se niche un peu partout. Impossible, donc. Et, ultime ironie, Publifin est désormais elle-même une multinationale, avec des intérêts en France, en Serbie, en Roumanie et au Kenya !


5. LA DISSIMULATION

Pour échapper à la transparence requise par la législation wallonne, Moreau et son équipe de technocrates ont tout d’abord pris soin d’inclure la commune de Fourons (en Flandre) dans la première mouture de « leur » intercommunale. Quand, ensuite, la législation wallonne a concerné aussi les intercommunales actives dans d’autres régions, ils ont littéralement déconnecté l’ensemble de l’activité de la coopérative publique pour la confier à une S.A. Puis, ils ont séparé les entreprises acquises, mettant les salaires dans une boîte et les revenus dans une autre, créant un puzzle opaque. La carte des entreprises liées à Publifin montre du coup un goût prononcé pour l’architecture postmoderne.

La magie commence au sommet. Contrairement à ce qui a été dit, Publifin ne possède pas Nethys directement. Presque tout ce que l’intercommunale possède directement, c’est 99,9 % des parts d’une SA de droit privé appelée Finanpart. C’est un holding financier qui, à son tour, possède 99,9 % de Nethys SA.

Finanpart n’a que 3 administrateurs — le président du CA, Pol Heyse (ex-administrateur délégué de RTL), Bénédicte Bayer (PS) et Gil Simon (PS). On les retrouve un peu partout dans le groupe. Pol Heyse n’est pas rémunéré par Finanpart, mais l’est comme membre du comité de direction de Nethys (la filiale). Combien ? Mystère !

Il est aussi présent au conseil de la filiale de Nethys et de Resa (la SA gaz-électricité du groupe). Selon le CSA, il est aussi administrateur délégué de BeTV. Avec Gil Simon, il se retrouve encore au conseil d’administration d’Elicio, la filiale éolienne rachetée « aux Flamands » (ex Eurawinds). Une autre filiale colossale qui n’a à nouveau que… trois administrateurs. Ah, oui, au passage : Pol Heyse a « oublié » de signaler ce mandat en 2015…

Une entreprise qui ne dépense rien, ne produit rien, et reçoit 20 millions d’euros de dividendes.

La troisième administratrice de Finanpart, Bénédicte Bayer, est à la fois directrice générale de Publifin (la maison-mère) et membre du comité de direction de Nethys (la filiale). Elle a aussi des mandats dans les filiales de la filiale, dont BeTV, NeWin, Wallonie-Bruxelles Contact Center, mais aussi chez les Amis de M, qui possédait, en 2015, 2 % de M. Belgique (Semeb SA), journal fermé sur une perte de 2,5 millions, mais dont la faillite n’a apparemment pas été déclarée. Semeb est tout en bas de l’organigramme de Nethys, comme filiale à 16,5 % de… BeTV. Il amusant de retrouver deux des trois administrateurs du holding financier de Publifin tout en bas de la structure, dans une entité en perdition.

Le troisième administrateur, Gil Simon, a une tendance similaire à se retrouver un peu partout dans les comités d’administration, de Nethys à NeWin en passant par les 3 sociétés du groupe L’Avenir.

Finanpart ne produit rien, n’emploie personne, dépensait 8.500 euros de frais en 2015 et ramassait 20 millions de revenus définitivement taxés, probablement de sa filiale Nethys. À quoi elle sert ? Serait-ce un coussinet entre l’intercommunale et une société anonyme active (Nethys) pour renforcer l’obscurité ? Genre, une société-écran ? Répond-elle à un souci d’ingénierie fiscale ? Ou s’agit-il de contourner d’avance une loi qui imposerait aux filiales directes des intercommunales la même transparence ? Dans ce cas, Nethys ne serait pas concernée, puisqu’elle est filiale de filiale…

Un organigramme qui ferait passer Caterpillar pour une PME fouronnaise.

Finanpart possède donc à son tour 99,99 % de Nethys, société anonyme privée dirigée par Stéphane Moreau. Celle-ci possède une kyrielle d’autres sociétés anonymes, à donner le tournis. ACM, BeTV, Credis, Ecetia, L’avenir, Elicio, Inter-Régies, L’avenir Advertising, Le travailleur chez lui, Newin, NRB, Promocell, Publilec, Resa, Socofe, Taxshelter, Teb Foncière, Teb Participations, Telenet Tecteo Bidco, Wallonie-Bruxelles Contact Center, Wallonie Data Center, Hydro Chaudfontaine, L’avenir Développement et The New Pub (le magazine spécialisé destiné aux publicitaires et annonceurs).

Plusieurs de ces entreprises ont elles aussi des filiales. Dans le bilan consolidé de Publifin SCRL, on en trouve la bagatelle de 69, principalement des SA. En plus de participations dans Liège Airport (50,36 %), et au travers des entreprises de Nethys, Publifin possède des participations souvent majoritaires dans des sociétés étrangères — acquises notamment lors du rachat d’Eurawinds, entreprise flamande soutenue par un autre socialiste, Johan Vande Lanotte, bourgmestre d’Ostende, et qui avait, en 2013, avalé quelque 180 millions d’euros, principalement d’argent public.

Et c’est aussi avec l’argent public de Publifin que Nethys a épongé les dettes d’Elicio, pour la faire atterrir dans le giron liégeois. Mais alors que beaucoup se targuent de ce joli coup joué à la Flandre (achat pour un euro symbolique, dit-on, mais on oublie alors le remboursement des dettes…), on peut se demander si Publifin sera assez robuste pour continuer à financer ses innombrables parcs éoliens.

L’éolien flamand sera-t-il le boulet à la liégeoise qui fera couler la province ardente ?

Parce qu’Elicio est en perte, et creuse encore. En 2015, l’entreprise faisait 2,8 millions de chiffre. Mais 7,5 millions de pertes. Un déficit deux fois plus important qu’en 2014. En deux ans, elle a déjà accumulé 11 millions de négatif. Les trois-quarts de ses nombreuses filiales ont un résultat net négatif tous les ans. Seuls les parcs brugeois et ostendais sont en positif, mais maigrement. À l’opposé, Elicio France est en perte (3) de 25 millions. Electrawinds Belgrade (Serbie) de 329 millions. Et la filiale kényane (!!!) accusait 94 millions de résultat net négatif. Quant à la filiale la plus rentable, c’est Bruges, avec un maigre 660.000 euros.

Stéphane Moreau est aujourd’hui célébré pour sa propension à racheter des entreprises au rabais et en faire profiter les communes et la province de Liège pour excuse de ses excès. Mais il serait temps de se demander si ce n’est pas un Jean-Marie Meissier local : vous savez, cet autre condottiere qui avait fait de la Compagnie Générale des Eaux française une mégaentreprise achetant tous azimuts sous le nom de Vivendi, et qui a failli amener tout le bazar dans une gigantesque faillite. Lui aussi avait le goût de la dissimulation.

Parce que si Publifin a eu les reins assez solides pour racheter cet énorme ensemble en déroute (aux frais du contribuable), que même la Flandre n’avait pas pu (ou voulu) sauver, rien ne dit qu’elle les aura pour attendre que toutes ces éoliennes rapportent. Et s’il y avait anguille sous roche, tout nous amène à penser qu’on ne nous le dirait pas.

Entre Brocéliandes Énergies Locales (France), Elicio Bretagne (France), Elicio France, Les Hauts Bosquets (France) trois parcs Electrawinds en Serbie et un au Kenya, on joue peut-être au jackpot. Un job de multinationale, pas d’intercommunale. Surtout quand, au Nord-Kivu, on mélange les investissements de Nethys et de son propre directeur. Selon Sudpresse, le capital de la SA Électricité du bassin de Ivugha est divisé en quatre parts : la société Elicio (appartenant à Nethys), Stéphane Moreau (patron de Nethys), Marc Beyens (bras droit de Moreau) et la « Société civile familiale M3 » de Pierre Meyers (administrateur chez Nethys) et ses deux fils. » Dernier épisode étrange où l’on se demande quel est le rapport entre une intercommunale liégeoise et un barrage en Afrique.

Quand Voo n’est pas au rendez-voo des bilans.

Enfin, le fleuron public de Nethys est lui aussi « dissimulé ». Les bilans ne révèlent pas séparément les revenus, ni les coûts de Voo. Pas plus qu’ils ne détaillent les investissements consentis. Alors qu’un simple call center a droit, dans ce groupe, à sa propre SA, l’activité Voo est noyée dans celle de Nethys. Allez savoir combien ça coûte ou combien ça rapporte réellement !La seule info publique, c’est le résultat de Brutélé, la partie bruxelloise de Voo. Elle affichait en 2015, un coquet 15 millions de bénéfice avant impôts, pour 120 millions de chiffre d’affaires.

Consolation : le rapport annuel de Publifin se félicite du « résultat net positif après impôts » de Voo et de la croissance « de 36 % de son EBITDA ». Et voilà, c’est tout. Refermez les volets, il fait déjà trop clair.


6. L’AMOUR DU POUVOIR

Le plus grave et le plus alarmant, c’est que ce n’est pas l’intercommunale qui dirige la SA Nethys, mais bien l’inverse : la décision opérationnelle est noyautée au niveau de la SA par Stéphane Moreau et ses lieutenants. Le conseil d’administration de Publifin se contente donc d’approuver les décisions du condottiere, qui oublie parfois de le consulter sur des sujets fondamentaux,   Mais comment les administrateurs de Publifin, (où Stéphane Moreau ne figure pas ; ahurissant pour un patron, non ?) pourraient juger la qualité des projets qu’on leur demande d’approuver, quand les infos viennent de ceux-là mêmes qui en exigent l’approbation ?

Cet omnipouvoir d’un patron de sous-filiale sur la maison mère ne suffit apparemment pas. De par sa puissance, Nethys est réputée influente jusqu’au Parlement wallon. Selon Jean-Luc Croucke (MR), plusieurs amendements auraient ainsi été imposés au parlement wallon par Tecteo (l’ancêtre de Publifin) en 2014.

La loi votée ce jour-là permettait de faire passer un GRD (Gestionnaire de Réseau de Distribution) électricité, traditionnellement public ou intercommunal, en société anonyme. Jean-Marc Nollet défend le projet en expliquant qu’il est légitime de permettre l’ouverture de son capital au privé, par exemple. D’où l’idée de sociétés anonymes. Mais il assure avoir prévu des limites et surtout un barème pour les directeurs, vers les 245.000 euros par an maximum.

Resa. 350 millions de chiffre, et pas un centime de rémunérations.

En 2014, Publifin envoyait toute la gestion électrique dans sa filiale de filiale de filiale, Resa. En 2015, le Parlement wallon faisait rebelote pour le gaz. Et le lendemain, paf, Publifin transférait toutes ses activités de GRD à sa même sous-sous-sous-filiale privée Résa. On a quand même l’impression que ces deux lois répondaient particulièrement bien aux souhaits de Publifin.

Elle s’en vante dans son rapport annuel : « La modification du Décret wallon […] a, de fait, permis […] l’apport de la branche d’activités gaz à RESA SA. En juin 2015, RESA SA a pris pleinement jouissance de ces réseaux et s’est vu transférer […] la désignation en qualité de gestionnaire de réseaux de distribution de gaz octroyée initialement à Publifin SCIRL. »

Un transfert soigneusement encadré par des règles barémiques, donc. Mais est-ce efficace ? La filiale Resa, c’est 350 millions d’euros de ventes et prestations en 2015. Et pas un centime de rémunérations ! Elles sont dans une autre filiale… Tout ça, pour un bénéfice d’exploitation de 80 millions d’euros et 72 millions de bénef avant impôt. Je vous présente la poule aux œufs d’or.

On peut aussi se demander si l’amour de l’influence ne va pas plus haut. Le vice-président au Conseil d’administration de RESA n’était autre que Claude Parmentier, bourgmestre de Wanze, chef de cabinet adjoint de l’ex-ministre Paul Furlan. Mais il vous jure qu’il n’avait aucune influence sur Furlan.

Dernière cocasserie. Le président du Conseil d’administration de Resa est l’intercommunale Publifin elle-même. Mais représentée par… héhé… André Gilles. Et l’administrateur délégué, c’est l’entreprise Nethys SA. Représentée, à son tour par… héhé… Stéphane Moreau. Du coup, ces deux-là siègent à la tête de Resa, sans devoir signaler leur mandat. Une façon de contourner les balises posées dans les deux lois de 2014 et 2015 ?


7. L’ARROGANCE


Enfin, il y a la manie de tout contrôler, y compris son image. Ce qu’on fait, mais aussi ce que les autres publient sur vous. Chez Publifin/Moreau, on n’en est pas à la première menace, parfois juridique et financière, contre un journal, un journaliste ou un opinioniste (cf. l’ouvrier qui avait posté une vidéo). Certains s’autocensurent.

Publifin a aussi une politique digne d’un mégagroupe d’entertainment. Comme Jean-Marie Meissier, Moreau n’a pas pu limiter son métier à la production et la distribution de gaz et d’électricité, ni mème à sa géographie naturelle. Le câble était bien plus tentant, qui ouvrait au monde culturel, qui fait plus joli.

D’où le grappin mis sur Voo, et sur une des chaînes qu’elle diffuse, BeTV. Mais aussi le rachat de joyaux de la presse francophone comme L’Avenir ou Moustique. C’est stratégique, selon Publifin. Pour promouvoir les contenus qui passent sur Voo, et notamment BeTV, par exemple. Ou créer des synergies de contenu entre la presse, le web, la téloche. Reste à voir s’il y a réellement une passerelle viable entre tous ces médias.

Problème : un journal qui devrait enquêter sans pitié sur les pratiques de Publifin est-il aussi libre de le faire s’il lui appartient à 100 % ? Un magazine télé qui dépend du même groupe que BeTV peut-il critiquer librement les choix de la chaîne ? Chez Moustique, ni Publifin, ni Moreau n’ont fait la couverture récemment. Mais à L’Avenir, on a largement couvert le dossier, notamment en publiant les revenus détaillés des membres des commissions consultatives. On ne saura toutefois jamais si le journal a pu être aussi incisif qu’il l’aurait été s’il avait appartenu à qui que ce soit d’autre.


Voilà. À présent, n’oubliez pas de me régler mon jeton de présence de minimum 2€ au moyen du bouton Paypal ci-contre !

(Note : je n’accepte pas plus de 50€ par trimestre des mandataires politiques, quel que soit leur bord.)

 

Notes

  1. sur les cumuls : le nombre de cumuls n’est pas un indicateur suffisant. Un mandataire qui cumule 10 mandats rémunérés à 50 euros chacun par mois est un travailleur pauvre à côté d’un bourgmestre monomandat à 95.000 euros, par exemple. Il faut donc améliorer le système en donnant le rapport exact de chaque mandat. Le nombre de mandats présentés ici ne tient pas compte du revenu, mais il me semblait éclairant dans ce cadre précis où les cumuls de 20 mandats et plus ne sont pas rares.
  2. Ayant réalisé un film pour Idelux par le passé, j’ai peut-être un biais positif, mais la cohésion de leur projet est bien réelle.
  3. Précisément, le résultat net repris dans la liste des filiales est négatif.
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3 Comments

  1. u'tz
    février 01, 22:20 Reply
    mort au pire ami de...; élio t'aurait dû - si t'étais pas un soucieux socialdémocrate à la con (sauf éveil vu que trump va niquer les gays par la trompe) allah con donc soumis au blairisme - dire à l'arrogant camarade moreau, alléï valet reste mayeur d'ans avec un goût de bon pub wallon, laisse topmanager tectéo par un autre connard litcheux qui tombera à ta place... un peu de rugosité socialisse dans ce monde de brut néolibéral... mais moreau n'écoute pas, un vrai topmanager hyperpayé (depuis le vader de freya), vive le vrai socialisme pour vidanger les prisons de ses petits trafiquants afin de laisser de la place moreau et à tous ces flamands du top10 des salauds

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