Les flèches du désamour. Quand la politique s’empare du sport.

Capture d’écran 2014-04-08 à 00.48.44Braîne-l’AlleudDimanche16 février 2014. Le championnat de Belgique de tir à l’arc indoor est annulé suite à un appel à la « résistance » d’un arbitre flamand. Ce trublion n’a rien trouvé de mieux que de se placer entre les tireurs et les cibles, invitant les participants flamands à faire de même, pour faire arrêter la compétition dont il contestait l’organisation. Un acte fou de la part d’un arbitre : les flèches de compétition sont potentiellement mortelles… Le ton est alors monté au point qu’on appela la police pour éviter un remake de la prise de Nottingham par Robin des Bois.  La veille déjà, le championnat junior dérapait suite au mécontentement «d’une minorité de Flamands», nous enseigne L’Avenir, un tantinet partial…

Ce samedi, donc, les enfants et les ados participaient au championnat des jeunes. En principe, on s’arrange pour que ces épreuves ne s’éternisent pas. Les gosses ont besoin de sommeil. Or, le retard invraisemblable — plus de trois heures — pris dès le midi par le club organisateur — Les Archers du Grand Serment de Saint-Sébastien Braine-l’Alleud ; mais dites ABA, c’est plus court — risquait d’éterniser la compétition, jusqu’à 22-23h, heure à laquelle les jeunes compétiteurs pouvaient enfin rentrer, avec leur famille, parfois à plus de 100 km de là. On comprend du coup que les relations entre les membres du club wallon et de nombreux parents,  néerlandophones, mais aussi francophones, furent houleuses. Le club, lui, incrimina derechef une dizaine de «Flamands» qui se seraient inscrits «à la dernière minute». C’est la version retenue par l’Avenir qui n’a visiblement pas contacté la ligue flamande. Pourtant, même à la ligue francophone, on reconnaît que l’irritation des parents était fondée : l’ABA a utilisé deux adresses mail dont une ne fonctionnait pas bien. «Il n’y a aucune mauvaise foi côté flamand», souligne-t-on même au secrétariat de la ligue francophone. L’ABA a bel et bien fait preuve d’amateurisme dans l’organisation de la compétition. Si là n’est pas la cause de la «révolte flamande» du lendemain, ça n’a certainement pas aidé.

Il est d’ailleurs très intéressant de se pencher un peu sur les interprétations des uns et des autres, selon leur langue maternelle. Une des causes de la querelle (loin d’être la seule) du dimanche est tragi-comique. Il s’agit de la couleur des pantalons. Le règlement national interdit notamment les «jeans», sans autre précision. Pour les Francophones, c’est un pantalon de toile Denim, donc bleu. Pour les Flamands, c’est un pantalon de toile tout court. Or, certains francophones portaient un «jean» beige, la couleur de leur club. Du coup, l’arbitre qui ne l’interdit pas fait du favoritisme francophone pour les Flamands, et celui qui l’interdit fait du favoritisme flamand pour les Francophones. 

Mais la vraie raison de la querelle du dimanche serait carrément politique. Certains des Néerlandophones auraient profité de l’amateurisme de l’ABA pour mener une véritable campagne communautaire. Un nombre limité de Flamands «à droite de la droite…», nous dit-on côté francophone, trouverait que la ligue flamande ne serait pas assez… flamande. La direction de la Handboogliga a en effet des relations très amicales avec celle de la Ligue francophone belge de Tir à L’Arc. Et les deux ligues siègent à parité (50/50) à la fédération belge. Certains Wallons pensent que les « nationalistes sportifs » néerlandophones voudraient le 60/40. La ligue flamande se demande « d’où ils sortent ce chiffre ». Une bisbille qui rappelle qu’en mars 2013, la Fédération de Gymnastique flamande avait aussi demandé le 60/40 (au lieu du 50/50) pour les membres du jury du Championnat de Belgique de gymnastique rythmique. Mécontente de cette répartition « politique », la délégation francophone avait alors quitté les lieux et le championnat fut annulé. Il faut savoir qu’en gymnastique rythmique, la note donnée par chaque juge est extrêmement subjective. De là à penser que les juges flamands vont forcément privilégier les Flamands, il n’y a qu’un pas que certains franchissent allègrement.

Dans ce pays, on serait forcément flamand ou wallon avant d’être un bon ou un mauvais juge ? Une vieille maladie apparemment incurable. Le problème, c’est que là aussi, la presse francophone avait publié la seule version de la délégation francophone, alimentant une impression de harcèlement politique dans le sport de la part des Flamands. Pourtant, les arguments de la Gymnastiek Federatie sont loin d’être négligeables : en fait, il y avait très peu de gymnastes francophones au championnat junior incriminé, et aucun (oui, aucun !) chez les adultes ! Une répartition 60/40 semblait être un très bon compromis et il n’avait rien de «politique». Depuis, les deux ligues ont trouvé la solution : pendant deux ans, on continue sur le 50/50, ce qui montre que la fédération flamande n’a rien d’extrémiste, le temps de mettre en place un système permettant de choisir, tout simplement, les jurés les plus compétents, indépendamment de leur langue ! 

C’est presque incroyable en Belgique. Rendez-vous compte : désigner les gens en vertu de leur compétence plutôt que de leur langue ! In-croy-a-ble !

Mais revenons à nos carquois. Léon Lejeune, secrétaire administratif de la Ligue francophone est dépité : « c’est hélas à l’image de ce qui se passe en Belgique, les élections approchent… ». Il comprend néanmoins la différence de mentalité. En Flandre, le Bloso (équivalent de l’ADEPS) est très branché performance. Les clubs doivent se distinguer pour espérer de bons subsides. En Communauté française, les résultats passent après la participation. Ça joue sur les deux mentalités et pour un participant flamand, les enjeux seront forcément plus crispants que pour un francophone. Il n’empêche. Une minorité d’archers flamands — et certains clubs — ont introduit le flamingantisme et le nationalisme dans un sport en principe de gentlemen. Ça, les deux ligues le reconnaissent. Si Léon Lejeune est désolé, il ne se fait pas d’illusion sur son «propre camp linguistique», glissant en confidence qu’il y a aussi des mauvais coucheurs côté wallon, mais qu’ils « n’ont pas encore trouvé les moyens d’agir ». Johan Steylaerts, vice-président de la ligue flamande, est au même diapason. Il n’hésite pas à qualifier ceux qui confondent sport et politique « d’usurpateurs ». 

Au final, on déplore la démission immédiate du président de la ligue flamande. Les deux présidents ont également démissionné de la fédération nationale. Et une plainte a été déposée à Nivelles pour incitation à l’émeute, et pour… xénophobie. Certains Francophones se sont en effet sentis offensés ! Comme quoi l’excès de fierté n’est pas une exclusivité flamande. Il est simplement mieux utilisé au Nord par certains acteurs politiques. Mais si demain, un parti nationaliste wallon devait offrir un leader charismatique et un programme économique irrésistible, tout indique que le virus infecterait rapidement des clubs sportifs — ben oui, si des Francophones confondent bagarre (pas très) sportive et «xénophobie»… Et visiblement, certains journalistes sont déjà fin prêts pour ne diffuser que la version francophone, faute de prendre la peine de donner un petit coup de fil de l’autre côté de cette satanée frontière linguistique qui n’est un mur que pour ceux qui le veulent bien. Au Nord comme au Sud.

Version étendue du billet éponyme paru dans Marianne Belgique.

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