Le prix d’une vie au pays de Maggie

 

IMG_2039Grâce à la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), on peut désormais estimer la valeur d’un «illégal» en Belgique. C’est l’histoire d’un Arménien d’environ cinquante-cinq ans, décédé en juillet 2012 suite au refus de l’Office des Étrangers de lui accorder un droit de séjour pour raison médicale. Un tel droit est pourtant consacré par l’article 9ter de la Loi sur l’accès au territoire. Il protège les personnes qui ont un besoin vital de soins médicaux.

Notre Arménien avait un besoin vital d’une transplantation hépatique. Mais les autorités belges lui ont refusé le permis de séjour (et sans permis, pas de soins spécialisés). Le quinquagénaire s’est donc défendu devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Le 6 juin 2012, celle-ci donnait à la Belgique l’ordre d’assurer d’urgence «des soins médicaux appropriés […]» Ces mesures n’ont apparemment pas été prises à temps, puisque l’homme décéda moins d’un mois plus tard ! Risquant d’être condamnée par la CEDH, la Belgique a donc négocié une transaction financière avec la famille du défunt pour faire classer l’affaire au niveau européen. Le montant de la transaction : 40.000 €. La vie d’un «illégal» en Belgique vaut donc un petit 4×4 sans trop d’options. Mais ça, c’est dans le meilleur des cas.

L’article 9ter autorise «L’étranger qui séjourne en Belgique et qui souffre d’une maladie [entraînant] un risque réel pour sa vie» à demander «au ministre ou à son délégué» un droit de séjour pour raisons médicales. Mais notamment «lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine […]» Le hic, c’est que cet article a fait l’objet de pas mal d’abus. Certains utilisaient le système sur base de broutilles uniquement pour ralentir la machine à expulser. Selon Le Journal du Médecin, il suffisait parfois «d’un ongle incarné» ! Le gouvernement a réagi début 2012 en ajoutant un «filtre médical» à la loi existante. Désormais, une vingtaine de médecins-contrôleurs sont chargés par l’Office des Étrangers d’examiner d’abord le dossier médical du demandeur avant d’aller plus loin dans la procédure. Si le dossier n’est pas convaincant à leurs yeux, la personne est vouée à l’expulsion.

Mais surtout, presque immédiatement privée de soins décents. Le problème, c’est que l’Office des Étrangers aurait alors «obligé» les médecins-contrôleurs à ne plus laisser passer que des patients dont la maladie était «à un stade très avancé», une directive qu’ils appliquent avec zèle. Le résultat ? Une chute vertigineuse du nombre de permis de séjour attribués à des malades : de 7.002 en 2011 à seulement 977 pour les six premiers mois de 2013 (soit 1.954 sur base annuelle). Soit 3,5 fois moins en moins de deux ans ! Il faut être pratiquement sur son lit de mort pour encore avoir droit à un permis de séjour médical. À moins de confondre médecine et soins paliatifs, ce n’est évidemment pas l’esprit de la loi ! 

L’Office des Étrangers est notamment d’une sévérité radicale envers les «sidéens». Au Centre de Référence Sida du CHU de Charleroi, les mauvaises nouvelles s’accumulent : les dossiers envoyés sont presque tous refusés par les médecins-contrôleurs de l’Office. Il s’agit de généralistes, pas forcément inscrits à l’Ordre des Médecins, qui n’examinent jamais les patients et décident en «toute indépendance» sur base des dossiers qui leur sont remis. Les diagnostics des spécialistes qui traitent les malades sont même parfois remis en question ! On se demande sur quelle base, puisque la Secrétaire d’État Maggie De Block a exclu tout contact entre les médecins-contrôleurs et les médecins traitants. Selon elle, ce serait illégal. Elle assure aussi qu’elle a une base de donnée très fiable sur les soins existants dans les pays où l’on renvoie les demandeurs déboutés. Une affirmation plus que douteuse quand on sait qu’une Somalienne souffrant du Sida a été renvoyée dans son pays par l’Office, alors qu’il n’y a pratiquement plus de médecins en Somalie ! 

Même le risque de torture ou d’assassinat politique ne semble plus être un critère. Un Rwandais souffrant du SIDA a ainsi vu son dossier refusé alors que, quelques mois plus tôt, son fils avait été retrouvé mort, à peine deux jours après son retour au pays ! Le père ayant lui-même été «interrogé» brutalement, ce qui a causé sa demande d’asile en Belgique, il craint de subir le même sort. Mais le Conseil du Contentieux des Étrangers ne se satisfait même plus des évidences : «L’acte de décès […] tend à prouver que [le fils] a été victime de mauvais traitements mais […] ne donne aucune indication sur les auteurs présumés.» Autrement dit, si les autorités rwandaises étaient responsable de son assassinat, il faudrait qu’elles le reconnaissent publiquement ! Absurde. Quant à l’aspect médical, l’Office des Étrangers a estimé que le risque de décès n’était pas «immédiat» tout en reconnaissant qu’il y avait «très peu, voire pas de possibilités de traitement» au Rwanda ! 

Dans bien d’autres cas, le refus des médecins contrôleurs amènent le demandeur ou la demandeuse à une sanction terrible et immédiate : l’arrêt brutal d’un suivi médical digne de ce nom. Pour H.S., l’Arménien, ce fut un arrêt de mort. Il semble évident que l’Office des Étrangers doit refuser les cas de fraude manifeste pour permettre que le droit d’asile s’exerce normalement pour ceux qui en ont vraiment besoin. Mais à force de ne voir que des pays en paix partout (l’Afghanistan, par exemple) et à nier les excès de certains régimes, il n’est plus aujourd’hui qu’un système de radiation quasi-systématique, en tout cas en matière de réfugiés «médicaux» — les plus vulnérables !   

Régulièrement interpellée  à la Chambre et au Sénat, Maggie De Block se retranche derrière le fait qu’elle ne se mêle pas de cas individuels. C’est évidemment très pratique. Mais est-ce acceptable ? Elle affirme aussi que l’Office des Étrangers travaille «en toute indépendance» et qu’elle ne peut rien faire parce qu’elle n’a aucun pouvoir sur lui. C’est pourtant la même Maggie De Block qui se targue d’avoir réduit l’asile à sa plus infime proportion, et ce sont bien les chiffres de l’Office qui lui valent aujourd’hui sa popularité. Où l’on se dit  que gérer un secrétariat d’État — surtout celui où s’accumulent tant de tragédies humaines — ne peut se résumer à un décompte des entrées et des sorties. Bâtir sa popularité sur le nombre de malades refusés revient aussi à la bâtir sur un certain nombre de cercueils.

 

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0 Comments

  1. Albert Jacquemart
    mai 20, 14:53 Reply
    Une erreure de manipulation m'a fait mettre 3*! Je voulais 5. Désolé! Sinon,je partage évidemment.
    • Marcel Sel
      mai 20, 15:17 Reply
      Trois pater et trois avé et vous êtes pardonné !
  2. denis dinsart
    mai 21, 08:48 Reply
    Selon l'office des étrangers tout demandeur d'asile est un fraudeur en puissance.
  3. GuyF
    mai 21, 20:39 Reply
    Maggy est médecin elle a fait serment de soigner et de ne pas nuire. Ceux qui lui voue un culte sont de sombres individus !!
  4. Capucine
    mai 22, 15:11 Reply
    elle est zentille ,toujours souriante ,sympathique ,une femme bien en chair qui respire la joie de vivre ,elle aime tout le monde,elle sourit toujours,elle a le profil pour faire un très sale boulot . Combien vaut une personne agee dans notre démocratie quand elle coûte plus que ce qu elle ne rapporte ? Combien de rapports médicaux sont tronqués dans nos hôpitaux pour ne pas avoir d ennuis financiers,comment donner une estimation de négligences médicales quand c est eux qui décident .En maison de repos ,un petit vieux tombe du lit ,pas de barrière de sécurité ,5 heures face au sol,appel du medecin 3 jours apres,plaie ouverte mal soignée,septicémie et bye bye la vie ..2100 euros par moi .....aller porter plainte ,vous vous casserez la figure sur des aides qui n aboutissent a rien ,on vous fait courrir,on vous donne de l espoir .on vous écouté,on vous fait tourner en rond ,on retourne la vapeur,on vous culpabilise ,on vous fait enrager ,pleurer et vous vous en sortez épuisé.Un Homme est mort ,au suivant.........
  5. St Marc
    mai 28, 13:23 Reply
    Et alors ? Si on suit votre interprétation de l'article, la Belgique serait dans l'obligation de soigner le monde entier (des malades dont la vie est en danger, ya que ça dans les pays sous-développés). Au contraire il faut d'urgence abolir cet article et dans la foulée le droit au regroupement familial et le droit d'asile. Autrement notre système court à sa perte.
  6. jean
    juillet 13, 19:08 Reply
    Il y a quelques mois, un article de bon sens, publié ici, pointait avec raison l'inique système de cotisations sociales appliqué aux indépendants et PME. Ces cotisation élevées servent entre-autres à financer les frais de santé. Qui incluent les honoraires de spécialistes. Dans les hôpitaux. On doit aussi cotiser pour toute la terre? Mme De Block limite les abus.

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